Boulangerie solaire, désertion, jardiner sans se fatiguer... À lire ce printemps

- © Juliette de Montvallon / Reporterre
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Durée de lecture : 11 minutes
Sélection culturelleL’actualité écologiste, c’est aussi la culture. Parmi cette nouvelle et riche sélection : une boulangerie à l’énergie solaire, des ingénieurs qui bifurquent, la touristification des villes...
LIVRES
• La boulangerie solaire
Peut-être en aviez-vous déjà entendu parler sur Reporterre. Il y a quatre ans, Arnaud Crétot créait NeoLoco, la première boulangerie solaire d’Europe. Une entreprise « post-capitaliste » unique qui parvient, grâce à ses 3 salariés et aux 57 miroirs de son four solaire, à cuire chaque semaine plusieurs centaines de kilos de pain sans électricité. L’ancien ingénieur a tiré de cette expérimentation un livre, dans lequel il relate la genèse de ce projet et détaille son fonctionnement actuel. La dernière partie de cet ouvrage réjouissant soulève une question passionnante : comment appliquer ce modèle à d’autres secteurs (comme le textile ou la chimie) et fonctionner, à grande échelle, avec le seul concours des énergies intermittentes ? Réduction de nos besoins, modification de nos habitudes culturelles, réorganisation des transports et du travail… Prendre un virage vers l’énergie solaire est « à notre portée », assure l’ingénieur. Et promet un futur lumineux.
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La boulangerie solaire — Un exemple pour un futur radieux, d’Arnaud Crétot, aux éditions Terre vivante, mars 2023, 96 p., 10 euros. |
• Jardiner sans se fatiguer
« Comment avons-nous, en France, pu passer à côté de Ruth Stout ? » s’interroge Didier Helmstetter dans la préface de ce livre, best-seller américain traduit pour la 1ʳᵉ fois en français. Cet Alsacien, ingénieur agronome, est connu pour avoir publié Le Potager du paresseux, un ouvrage dans lequel il expose sa méthode de jardinage : cultiver sous une épaisse couche de foin. Il se croyait un peu l’inventeur de cette technique permettant de récolter des légumes avec très peu d’efforts. Jusqu’au jour où, en 2017, il découvre qu’aux États-Unis, une vieille dame faisait déjà son potager ainsi dès les années 1950. Elle s’appelait Ruth Stout, vivait dans le Connecticut, avait écrit, elle aussi, des livres sur ce sujet et était devenue célèbre dans son pays. Elle pratiqua « le mulch » jusqu’à sa mort, en 1980. Ce livre a donc été écrit en 1963 par une femme qui n’avait pas de formation scientifique, mais qui savait observer la nature et se fier à son bon sens. L’ouvrage est annoté tout au long par Didier Helmstetter afin d’éclairer certains points avec son regard de scientifique ou les comparer avec sa propre expérience.
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Jardiner sans se fatiguer, de Ruth Stout, préface de Didier Helmstetter, aux éditions Tana, février 2023, 304 p., 17,90 euros. |
• Lettre aux ingénieurs qui doutent
Ce petit livre est à mettre entre les mains de tous les ingénieurs en dissonance cognitive. Ancien ingénieur dans le domaine de la robotique, Olivier Lefebvre s’y demande pourquoi tant de ses anciens confrères s’obstinent à « creuser le sillon de trajectoires insoutenables » dans le cadre de leur travail, alors que leur conscience écologique leur intiment de prendre le large. Faut-il incriminer l’idéal de vie bourgeois ? La « pensée ultra-rationalisante » inculquée aux jeunes ingénieurs dès l’école ? Ou bien la structure des entreprises capitalistes, qui les aliène au point de les priver de tout sens de la responsabilité ? Joliment écrit et fort bien documenté — on retrouve, au fil des pages, la pensée d’intellectuels aussi divers que Simone Weil, Jean-Paul Sartre, Lewis Mumford ou Hannah Arendt —, cet ouvrage fourbira les armes de tous ceux qui rêvent — ou hésitent — à déserter, enfin, la « cage dorée » de leurs emplois destructeurs.
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Lettre aux ingénieurs qui doutent, d’Olivier Lefebvre, aux éditions L’Échappée, mai 2023, 144 p., 14 euros. |
• Histoire naturelle du silence
Qu’est-ce que le silence ? À quoi sert-il ? Où le trouver ? Avec le talent d’un conteur, l’écoacousticien Jérôme Sueur nous entraîne, dans ce livre empreint de poésie, dans le monde merveilleux du silence, de plus en plus menacé par la cacophonie humaine. On y découvre, ébahi, les mille et une fonctions du silence pour nos camarades à plumes, à poils et à écailles. Outil de camouflage, technique de chasse, arme de séduction, la discrétion sonore sonne « tout sauf creux », explique l’enseignant-chercheur au Muséum d’histoire naturelle : elle joue au contraire un rôle essentiel dans la structuration du monde animal. Un ouvrage passionnant, que l’on achève avec une furieuse envie d’éteindre nos moteurs et d’ouvrir grand nos oreilles aux soupirs du vivant.
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Histoire naturelle du silence, de Jérôme Sueur, aux éditions Actes Sud, avril 2023, 272 p., 22 euros. |
• Dans les filets
Voilà un ouvrage qui devrait plaire à la fois aux aquarellistes et aux amoureux de l’océan. Avec le concours du dessinateur scientifique Jean-François Dejouannet, les chercheurs Bernard Seret et Pascal Bach y rendent compte de la « face invisible de la pêche », c’est-à-dire des millions de poissons et mammifères marins qui meurent chaque année, de manière accidentelle, dans les filets des pêcheries thonières tropicales. De la sériole limon à la comète saumon, en passant par le poisson-lune et le requin-baleine, les trois auteurs donnent corps aux victimes collatérales de la pêche industrielle. On s’instruit, on s’émerveille et on s’inquiète en faisant couler entre nos doigts les planches illustrées de ce magnifique catalogue, qui donne à voir la beauté d’espèces (hélas) trop souvent menacées.
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Dans les filets, de Bernard Seret, Pascal Bach et Jean-François Dejouannet (aquarelles), aux éditions MKF, avril 2023, 248 p., 35 euros. |
• Habiter une ville touristique
C’est l’histoire d’une petite ville du littoral breton, Douarnenez, où les Airbnb et les résidences secondaires ont peu à peu remplacé les usines de sardines. Une ville devenue trop chère pour ceux qui y travaillent, contraints d’aller vivre plusieurs dizaines de kilomètres plus loin. Un lieu façonné pour le tourisme, dont les bars ferment l’hiver, mais où l’on sert encore l’été « des crêpes passées 15 heures ». Au terme d’un long travail d’enquête, le collectif d’habitants Droit à la ville Douarnenez explique comment maires, promoteurs et agents immobiliers « confisquent » la vue sur mer des plus précaires, annihilant ainsi les usages populaires de la ville. Un essai stimulant, qui permet de mieux comprendre les mécanismes de touristification des villes côtières, en Bretagne et au-delà.
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Habiter une ville touristique — Une vue sur mer pour les précaires, du collectif Droit à la ville Douarnenez, aux éditions Éditions du commun, avril 2023, 242 p., 16 euros. |
• En lutte ! Carnet de chants
Saviez-vous que les paroles originales russes du « Chant des partisans » ont été écrites et composées en 1942 par une femme, Anna Betoulinsky ? Plus connue sous son nom de scène Anna Marly, elle décrit dans son texte la lutte clandestine et nocturne que mènent les « vengeurs du peuple », « là-bas où le corbeau ne vole pas ». Ce chant sera bientôt choisi par la Résistance, et traduit en français par Joseph Kessel et Maurice Druon. C’est l’une des mille et une choses à découvrir — ou redécouvrir — dans ce carnet de chants de lutte, écrit par quatre professeurs d’histoire-géographie, également animateurs du blog Histgéobox. Les auteurs ont choisi 24 chansons emblématiques balayant périodes, luttes et styles variés : « La Chanson de Craonne », « Porcherie », « Bella Ciao », « Debout les femmes », « Balance ton quoi »… À la prochaine manif’, vous n’aurez plus d’excuse pour ne pas chanter toutes les paroles de « L’Internationale ».
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En lutte ! Carnet de chants, d’Étienne Augris, Julien Blottière, Jean-Christophe Diedrich et Véronique Servat, aux Éditions du détour, septembre 2022, 224 p., 18,90 euros. |
• Le changement climatique
Votre enfant se demande à quoi ressemblera le climat quand il sera adulte ? Votre nièce a du mal à comprendre pourquoi la Terre se réchauffe, et voudrait savoir si la technologie va nous sauver ? Toutes les réponses à ces questions pas si enfantines se trouvent entre les pages du dernier-né de la collection « J’explore » des éditions Fleurus, consacré au changement climatique. Dans ce petit livre savamment illustré, la chercheuse au CNRS Camille Risi met à disposition des 6-9 ans le b.a.-ba des sciences climatiques et des solutions connues pour enrayer la surchauffe de notre planète (spoiler : « Seul un mode de vie plus sobre permettra de contenir complètement le réchauffement. ») Un ouvrage fort utile aux plus jeunes, et à leurs parents ayant raté les synthèses des derniers rapports du Giec.
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Le changement climatique, de Camille Risi et Fanny Le Bagousse (illustratrice), aux éditions Fleurus, collection J’explore, mars 2023, 48 p., 11,95 euros. |
• Bivouac
Au cœur du Québec, une forêt d’épinettes menacée par un pipeline. Et une lutte, qui se forme, qui s’organise, qui monte en force. Des caravanes bringuebalantes, un campement super bien rodé, une cabane au fond des bois. Voilà pour le décor. Côté personnage, on suit Anouk, la « femme renard », Raphaëlle, gardienne des bois, Riopelle-Robin, farouche militant écologiste. On suit leurs amours passionnées, leurs cheminements révolutionnaires et leur combat pour sauver la forêt. Un récit juste, bouillonnant, qui fait du bien. Car il y existe encore peu de romans qui racontent nos luttes, nos espoirs, nos peurs, nos douleurs et surtout nos joies.
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Bivouac, de Gabrielle Filteau-Chiba, aux éditions Stock, février 2023, 368 p., 22 euros. |
• Les racines libertaires de l’écologie politique
Dès les années 1960, une poignée d’hommes avait deviné l’impasse où conduisait le culte du progrès technique, devenu le veau d’or des temps modernes. Épris de liberté individuelle, méfiants vis-à-vis de l’État autant que des partis politiques, ils appelaient à une révolution qu’ils souhaitaient radicale et non violente. Dans un essai dense et convaincant, l’universitaire Patrick Chastenet ressuscite cinq de ces prophètes, dont trois qu’il a côtoyé (Jacques Ellul, Ivan Illich, Bertrand Charbonneau) et deux qui, magie des livres, sont devenus des intimes (Elisée Reclus et Murray Bookchin). C’est une lecture revigorante à une époque qui se gargarise d’oxymores (« Croissance verte », « développement durable ») et agit si parcimonieusement.
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Les racines libertaires de l’écologie politique, de Patrick Chastenet, aux éditions L’Échappée, février 2023, 240 p., 20 euros. |
BD
• La Femme corneille
C’est en jouant à Pokémon Go — un jeu sur mobile — que Marie-Lan Taÿ Pamart fait la connaissance de Frédéric Jiguet, chercheur spécialiste des corvidés. Cette « rencontre du troisième type » va changer sa vie : elle devient vite accro aux corneilles. Dans cette bande dessinée documentaire, le journaliste Geoffrey Le Guilcher nous emmène dans les pas de la jeune fille, devenue « corneilliste ». Et nous fait découvrir l’une des plus prodigieuses intelligences animales. Car les corvidés pratiquent le « chant des morts », transmettent des informations d’une génération à l’autre, et sont capables de fabriquer et d’utiliser des outils.
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La Femme corneille — Enquête sur le monde caché des oiseaux noirs, de Geoffrey Le Guilcher et Camille Royer, aux éditions Futuropolis, février 2023, 160 p., 22 euros. |
• Cache-cache bâton
« Ton projet me donne des sueurs froides… Tu aurais pu attendre qu’on soit morts… », dit Jean-Paul à son fils, Emmanuel Lepage. Mais le bédéiste — auteur de nombreux et magnifiques ouvrages dessinés — n’en démord pas : dans son dernier livre, il offre un récit intime et documentaire sur son enfance. Car les parents d’Emmanuel ont participé, dans les années 1970, à une aventure alors peu commune : créer une communauté autour des valeurs chrétiennes. À travers des dessins délicats, tout empreints de tendresse, il raconte le cheminement des siens et de leurs amis, mais retrace aussi, plus largement, une histoire sociale de la France des années 1960 et 1970. Avec une motivation : « Comprendre pourquoi, aujourd’hui comme hier, des gens inventent d’autres façons d’être ensemble. »
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Cache-cache bâton, d’Emmanuel Lepage, aux éditions Futuropolis, novembre 2023, 304 p., 29,90 euros. |
FILM
• Les gardiennes de la planète
« Il n’y a plus rien à dire sur les baleines », pourrait penser l’écolo désabusé. Pas un artiste qui n’en ait déjà fait une chanson, un poème ou un tableau, éclipsant le sort tout aussi funeste des animaux moins charismatiques. Et pourtant. Le réalisateur Jean-Albert Lièvre montre que les mastodontes marins ont encore de quoi nous émerveiller. Si sa forme narrative ne brille pas par son originalité, ce documentaire regorge d’images époustouflantes. On y découvre, magnifiquement filmés, cachalots et baleines bleues en train de s’accoupler, d’allaiter, de chasser ou encore de jouer entre les vagues. Une heure et vingt-deux minutes instructives et enchanteresses, à se laisser bercer dans les abysses par le chant des mammifères marins. Lorsque la lumière se rallume, on se dit qu’il y a décidément mieux à idolâtrer sur Terre que des montres et des sacs de luxe.
Les gardiennes de la planète, de Jean-Albert Lièvre, février 2023, 1 h 22.