C’était mieux avant ? Pour la nature, certainement

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L’idéologie du progrès, dit l’auteur de cette tribune, disqualifie toute référence au passé sur le registre du « retour à la bougie ». Pourtant, la nature se portait mieux avant, quand l’homme ne possédait pas les moyens techniques de la détruire à grande échelle.
Simon Charbonneau est juriste et maître de conférences honoraire à l’université de Bordeaux I. Il est l’auteur de Le prix de la démesure.

L’un des préjugés de l’idéologie du progrès est de dévaloriser tout ce dont on a hérité du passé, qui serait porteur uniquement d’une nostalgie sans justification rationnelle ou autrement à faire l’objet d’une muséification. Il s’agit là d’une attitude classique de nos opposants, destinée à disqualifier nos arguments, du genre « retour à la bougie ». La caricature dans ce domaine est représentée par le dernier livre du « philosophe » Michel Serres, intitulé C’était mieux avant !. Suite de Petite Poucette, ventant les miracles de la souris permettant d’accéder à internet, il était illustré par une paysanne lavant son linge à la fontaine, une image destinée à démystifier le passé.
Si dans certains domaines comme la santé, le confort domestique et tous les métiers pénibles, le progrès peut apparaître indiscutable (encore faudrait-il ne pas ignorer tous les revers de la médaille !), le bilan écologique actuel nous démontre abondamment que la situation antérieure des pays les plus développés était dans ce domaine beaucoup plus satisfaisante. Moins d’urbanisation, moins d’infrastructures de transports, moins de pollutions de tous types, si l’on s’en tient par exemple aux années de l’immédiat après-guerre. S’il y a un domaine indiscutable de régression, c’est donc bien celui de la protection de la nature ! Ce constat est à vrai dire celui des « vieux » qui ont vécu douloureusement la dégradation du contexte écologique provoquée par l’expansion du système industriel dans tous les domaines, expansion qui continue, comme le montre l’exemple actuel de la prolifération des champs d’éoliennes dans des paysages jusqu’à présent inviolés. Ce sont les naturalistes qui observent l’avancée de ce désastre en voyant disparaître certaines espèces d’oiseaux dans ce qui reste de nos haies ou de poissons de nos ruisseaux ou encore les randonneurs qui observent les « progrès » de l’artificialisation de la montagne dans l’ignorance des statistiques officielles abstraites de la chute de la biodiversité. Tout cela pour dire que pour l’homme, la nature n’existe pas seulement en lui en tant qu’animal mais aussi par la relation qu’il a pu établir avec elle !

Or, tout le monde a constaté que, paradoxalement, dans les déclarations officielles relatives à la crise écologique, il est manifestement interdit d’exprimer un sentiment de perte irréparable pour tous les amoureux de la nature. Cet interdit inconscient est révélateur de l’emprise idéologique de l’imaginaire progressiste des années d’après-guerre, destiné à occulter le désastre écologique en cours et qui continue à sévir aujourd’hui dans nos esprits du XXIe siècle. Pourtant, imaginer que l’on puisse par exemple observer à nouveau dans nos ruisseaux campagnards les vairons, goujons et écrevisses à pattes blanches comme par le passé, serait la preuve tangible de la réussite de nos politiques publiques de restauration de la faune halieutique !
Les anciennes sociétés n’avaient tout simplement pas les moyens de destruction que nous avons aujourd’hui
Si l’on veut vraiment prendre la mesure du défi de la protection de la nature aujourd’hui, il faut alors poursuivre la réflexion en se demandant pourquoi donc la nature en question était mieux jadis protégée alors qu’il n’existait encore ni prise de conscience, ni politique globale de protection de la nature !! À vrai dire, la réponse est assez simple lorsque l’on y réfléchit un peu : les anciennes sociétés n’avaient tout simplement pas les moyens de destruction que nous avons aujourd’hui. L’arbre restait l’ennemi du paysan qui n’avait pas de tronçonneuse pour l’abattre mais pouvait vivre avec, car il faisait partie de son environnement familier.
C’est donc l’expansion fulgurante de nos moyens techniques qui est à l’origine de nos malheurs, faut-il le rappeler ! Par conséquent, si l’humanité veut stopper le désastre en cours, les hommes doivent à tout prix renoncer à rechercher l’efficacité technique au détriment des finalités qui la justifient, au contraire de ce qu’ils font maintenant. Ce qui signifie qu’ils doivent dorénavant cultiver une nouvelle exigence éthique fondée, comme l’a écrit Ellul il y a déjà longtemps, sur la renonciation à la recherche de la puissance dans tous les domaines.
À ce stade du raisonnement, il faut dire que l’on perçoit alors l’ampleur de la tâche qui attend l’homme moderne pour éviter les catastrophes à venir étant donné l’inertie de la société dans laquelle il vit.