Certificat « savoirs verts » : au collège, une formation écolo sans moyens ni profs

L'objectif du certificat est d'attester les connaissances des collégiens sur les écogestes et la compréhension du changement climatique. - Unsplash/Kenny Eliason
L'objectif du certificat est d'attester les connaissances des collégiens sur les écogestes et la compréhension du changement climatique. - Unsplash/Kenny Eliason
Durée de lecture : 6 minutes
Pédagogie ÉducationFin 2024, un certificat des « savoirs verts » devrait voir le jour afin de tester les collégiens sur le thème de l’écologie. Pour les enseignants, c’est loin d’être suffisant pour former les jeunes à cet enjeu.
Les élèves de troisième pourront passer un certificat des « savoirs verts » dès la fin de l’année 2024. C’est ce qu’a annoncé la Première ministre Élisabeth Borne lors du conseil national de la refondation de la jeunesse le 21 juin à Matignon. Objectif, attester les connaissances des collégiens sur les manières de « bien s’alimenter, trier les déchets, comprendre le changement climatique, protéger la planète », a précisé la Première ministre.
A priori, ce certificat pourrait prendre la forme d’une plateforme numérique de tests, à l’image de celle de Pix, le certificat des compétences numériques, ou d’Év@lang, un test de positionnement en anglais. Pour l’heure, on n’en sait pas plus. Contacté par Reporterre, le ministère de l’Éducation nationale a seulement précisé que le Centre national d’enseignement à distance (Cned) avait été chargé d’élaborer ce certificat. Le reste était encore entre les mains des services de la Première ministre, qui n’avaient toujours pas répondu aux questions de Reporterre le 3 juillet — ni sur le contenu exact de la certification, ni sur le budget alloué à ce projet.
Cette démarche s’inscrit dans les vingt mesures « pour la transition écologique à l’école », présentées le 23 juin par le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye à l’occasion de la remise des prix des écodélégués. Parmi elles, la mobilisation du fonds d’innovation pédagogique — 500 millions d’euros sur le quinquennat — pour financer des projets écolos de toutes sortes, un appui sur la demi-journée de découverte des métiers en cinquième, l’introduction de considérations écologiques dans le service national universel…
« Une certification, ce n’est pas une formation »
« C’est positif dans la mesure où ça raconte que ce sujet gagne ses lettres de noblesse dans l’Éducation nationale, réagit Diane Granoux, agrégée d’histoire-géographie, enseignante au lycée Eugène Hénaff de Bagnolet (Seine-Saint-Denis) et membre du collectif Enseignant.es pour la planète, contactée par Reporterre. On sait bien que tant qu’un enseignement n’est pas évalué, il n’est pas pris au sérieux, ni par les élèves, ni par les familles, ni par les directions. »

Mais au-delà du signal, pas grand-chose ne va dans le projet de la Première ministre, déplore l’enseignante. Première interrogation : quels moyens seront accordés pour préparer les élèves ? « Une certification, ce n’est pas une formation, précise Diane Granoux. Or, rien n’a été mis en place : ni moyens, ni profs, ni formations de prof. » Fabrice Rabat, professeur de SVT à Lorient (Morbihan) et membre du SNES-FSU, craint que la préparation à ce nouveau certificat ne vienne alourdir des programmes scolaires de troisième déjà bien denses. Et de redouter l’alternative entre « préparer les élèves à la certification pendant les heures de cours en rentrant dans une logique de bachotage, ou faire ses cours normalement et advienne que pourra pour le test ».
Diane Granoux regrette aussi l’irruption d’une énième plateforme numérique dans les enseignements. « On va remettre les élèves derrière les écrans alors qu’il faudrait plutôt les sensibiliser à la pollution numérique », soupire-t-elle. Ce format laisse aussi les collégiens très seuls face à la crise écologique et l’emballement du climat qui peuvent être « extrêmement anxiogènes ».
Greenwashing
Sur le fond, le contenu du certificat tel qu’il se dessine ne satisfait pas non plus l’enseignante. « Bien s’alimenter, trier les déchets… Tout cela semble très orienté vers les écogestes, très individualiste », analyse-t-elle. À l’inverse, il faudrait selon elle amener les collégiens à une vision beaucoup plus globale des enjeux écologiques. « Le problème des projets écologiques au collège du genre ramasser les papiers dans la cour, c’est que les élèves se concentrent sur le mauvais consommateur qui a jeté le plastique par terre et n’a pas trié. Aucun élève ne va vous dire que le problème, c’est l’emballage », raconte-t-elle.
Ceci alors que, de manière paradoxale, les adolescents ne croient pas aux écogestes, de ce qu’elle observe. « Quand on leur parle d’écologie, ce sont les seules idées qu’ils ont, alors même qu’ils savent que c’est vain. C’est terrible. Il serait très important de les amener à travailler des choses qui ne seraient pas vaines : par exemple, comment réorganiser les cours de récréation, la cantine, les salles de classe pour qu’elles soient plus écolos ? Comment agir collectivement pour cela ? » propose la membre d’Enseignant.es pour la planète.
Autre piste, renforcer les savoirs scientifiques. « L’intitulé même « savoirs verts » sent le greenwashing à plein nez, estime Diane Granoux. Il a une tonalité rassurante et suggère qu’en appliquant deux trois astuces, vous serez une bonne personne. Mais nous, ce qu’on veut transmettre, ce ne sont pas des savoirs verts, mais des savoirs scientifiques rigoureux. » Une opinion partagée par Fabrice Rabat : « Il faut s’appuyer sur le socle scientifique pour encourager l’émancipation et la prise de conscience des élèves », affirme-t-il.
« Allons en forêt, au parc, plutôt que de rester devant des écrans ! »
Mais les connaissances scientifiques ne font pas tout. Diane Granoux plaide pour que les élèves multiplient les expériences dehors. « Allons en forêt, au parc, même juste à côté du collège, plutôt que de rester devant des écrans ! » lance-t-elle, exaspérée. Fabrice Rabat, lui, apprécierait des partenariats et des projets collaboratifs avec des associations écologistes agréées par le ministère de la Transition écologique. « À Lorient, où j’enseigne, certains établissements travaillent sur les microplastiques avec le bateau scientifique Tara ; d’autres avec l’Observatoire du plancton de Port-Louis », donne-t-il comme exemples.
De fait, certains programmes de sciences participatives, comme « sauvages de ma rue » consacré aux fleurs et herbes folles qui colonisent les interstices de la ville, proposent depuis longtemps des formats pour les scolaires. En avril 2016, Reporterre avait assisté à une sortie consacrée à ces végétaux urbains, pendant une heure de SVT, en présence d’une botaniste du Muséum national d’histoire naturelle. Le syndicaliste insiste aussi sur le fait qu’un collège capable d’ouvrir ses élèves aux questions écologiques est un collège où il fait bon enseigner, et apprendre. « Il est plus facile de faire des activités en effectifs réduits plutôt qu’avec des classes à trente élèves, rappelle-t-il. C’est valable non seulement pour les sciences expérimentales, mais pour toutes les disciplines. »
Enfin, quels résultats peut attendre le collège dans sa mission de sensibilisation, si le reste de la société ne montre pas l’exemple ? « Le premier lieu de l’engagement écologique est le politique, assène en conclusion Fabrice Rabat. C’est au politique de faire le nécessaire, que ce soit en termes de prise de conscience ou de mesures à mettre en place. » À l’entendre, ce n’est pas encore fait : « Il est quand même étonnant qu’au même conseil des ministres, le 21 juin, Élisabeth Borne annonce ce certificat des savoirs verts et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin la dissolution des Soulèvements de la Terre. »