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ReportageQuotidien

Ces retraitées qui ont choisi l’habitat partagé

L’habitat participatif séduit de plus en plus de seniors. Être au contact de plus jeunes est un rempart contre l’isolement. Mais pour les personnes dépendantes, ces logements ont des limites.

Montpellier (Hérault), reportage

Attablées dans la salle commune, Nanou et Marie-France discutent tranquillement de la pluie — qui tombe dru ce jour-là — et du beau temps. Elles reviennent d’un déjeuner « entre seniors », qu’elles organisent chaque semaine avec les huit autres retraitées de leur immeuble. La résidence n’a pourtant rien d’une maison de retraite : le MasCobado est un habitat participatif et écolo [1], qui réunit, aux portes de Montpellier, vingt-trois familles, de 7 à… 83 ans. « C’est le meilleur endroit pour vieillir », sourit Marie-France, la doyenne.

Dans l’appartement de Marie-France, les pièces communes et le jardin sont des espaces de vie à part entière. ©David Richard / Reporterre

Comme elle, de nombreuses têtes blanches plébiscitent l’habitat partagé : elles représentent les deux tiers des candidats pour intégrer ce type de logements. Alors que la population française ne cesse d’avancer en âge [2], à l’heure où la fin de vie reste un sujet tabou, l’habitat participatif pourrait-il constituer une alternative pour bien vieillir « Cette forme d’habitat est de plus en plus perçue comme une alternative à la maison de retraite ou à la solitude du maintien à domicile, constatent les acteurs du secteur dans un guide pratique dédié au sujet [3]. Mais [il s’agit] aussi et surtout d’un moyen particulièrement efficace de s’ancrer et se maintenir dans la vie pour repousser l’âge de la dépendance, mieux la vivre, voire pour l’éviter complètement. »

L’appartement de Marie-France donne sur des vignes. ©David Richard / Reporterre

« On a les avantages de la solitude dans un contexte solidaire »

« C’est sécurisant pour une femme âgée et seule de vivre auprès d’autres personnes, témoigne Marie-France. Et en même temps, comme on a chacune notre appartement, on n’est pas obligée de tout faire en collectif. On a les avantages de la solitude dans un contexte solidaire. » Les aînées du MasCobado peuvent ainsi compter sur leurs voisins pour les courses, le petit bricolage ou les problèmes informatiques. « Vivre entourée d’autres personnes qui peuvent nous aider m’a permis de m’autonomiser, de me sentir rassurée et donc de tester des choses, assure Nanou. Nous sommes un petit village, où nous pouvons nous porter assistance. »

« L’intergénérationnel [la cohabitation sous un même toit de plusieurs générations] apporte beaucoup de sécurité, poursuit-elle, même si ce n’est pas toujours facile. » Jeunes familles et retraités ne partagent pas toujours les mêmes rythmes, la même énergie. Vivre ensemble peut constituer un défi. Certains groupes de personnes âgées font ainsi le choix du monogénérationnel, pour « vieillir ensemble et vieillir moins bêtes » [4].

Nanou est retraitée et vit au rez-de-chaussée. Elle a un petit jardin, un poulailler, dont tout le monde s’occupe à tour de rôle. ©David Richard / Reporterre

Au-delà de l’entraide, « l’habitat participatif développe une vie sociale de proximité et évite l’isolement », d’après le guide pratique. Apéros hebdomadaires, ateliers d’entretien du jardin commun, assemblées des habitants… « Ça m’oblige à sortir de mon trou, plaisante Marie-France. Les voisins sont un peu devenus ma nouvelle famille. » Rester acteur ou actrice de son quotidien, faire partie d’une communauté, maintenir des relations amicales... « Ce choix de vie plus collectif pallie efficacement un certain nombre de facteurs (isolement, laisser-aller, dépression) dont on sait qu’ils peuvent provoquer un vieillissement prématuré, souligne ainsi le guide. Dans la grande majorité des cas, vivre en habitat participatif permet de prolonger la vie en bonne santé. »

Cela « ne constitue pas à lui seul une alternative à la maison de retraite »

Pour autant, l’habitat partagé « ne constitue pas à lui seul une alternative à la maison de retraite », précise Pierre Lévy, membre de Regain, qui a rédigé le guide. D’après les chiffres transmis par le réseau Habitat participatif France, il y aurait actuellement 367 résidences construites, auxquelles s’ajoutent les projets en travaux ou en phase d’étude. Soit quelque 9 700 logements. Pas de quoi accueillir tous les seniors de l’Hexagone.

Le petit jardin de Nanou, dont tout le monde s’occupe. ©David Richard / Reporterre

Autre obstacle, « si les Ehpad sont prévus pour les personnes en perte d’autonomie, ajoute M. Lévy, ce n’est généralement pas le cas des habitats participatifs ». Au MasCobado, malgré la présence d’une petite dizaine de plus de 60 ans, la question de la dépendance et de la fin de vie n’a été que très récemment abordée. « On a été confrontés à des maladies, à des accidents de la vie, des chutes, raconte Marie-France. On s’est alors demandé que pouvait le collectif… »

Des discussions balbutiantes, quelques petits gestes — installer un canapé près du jardin pour partager le café avec les personnes à mobilité réduite ; échanger les numéros des personnes à prévenir en cas d’incident — et une conviction, pour Nanou : « L’habitat participatif n’est pas fait pour se substituer au corps médical ou à la famille. En revanche, on peut apporter une attention accrue. Une prise en compte plutôt qu’une prise en charge. »

« J’espère rester ici le plus longtemps possible »

D’autres groupes ont poussé plus loin la réflexion. À Draguignan, les membres de Kairos ont réservé un espace pour permettre à celles et ceux en perte d’autonomie de continuer à vivre sur place. Logement adapté, présence de soignants et d’aidants professionnels. Le but : que l’on puisse vivre et mourir au sein du collectif. C’est ce qu’on appelle de l’habitat inclusif.

Des jardins extérieurs. ©David Richard / Reporterre

À l’inverse, à Chamarel, situé à Vaulx-en-Velin (Auvergne-Rhône-Alpes), les résidents se sont entendus pour que lorsque la dépendance s’installe, celles et ceux qui en sont affectés quittent leur logement pour trouver une assistance ailleurs, notamment en Ehpad. Accompagner une personne dont l’état de santé s’est fortement dégradé peut en effet se révéler énergivore et complexe pour un groupe, d’autant plus si ses membres sont eux-mêmes âgés.

« Il n’y a pas de solution unique, insiste Pierre Lévy, mais il est important que chaque groupe et chaque personne se pose la question “Jusqu’où veut-on aller ensemble”. » Pour Marie-France, la réponse est claire : « J’espère rester ici le plus longtemps possible », sourit-elle. Dans son appartement cosy de 60 m2, les livres, les beaux objets et les sculptures en bois flotté racontent une vie bien remplie et toujours riche. « Je ne pourrais pas être mieux ailleurs », conclut-elle.


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