Ces youtubeurs qui parlent d’écologie au plus grand nombre

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Culture et idéesPartager c’est sympa, La Barbe et Professeur Feuillage ont fait le choix de YouTube : ils y diffusent des vidéos rythmées et inspirantes pour expliquer l’écologie et pousser à l’engagement. Avec d’autres youtubeurs écolos, ils ont lancé une campagne en ligne #ilestencoretemps à l’occasion de la sortie du rapport du Giec. Reporterre les a rencontrés.
Lundi 8 octobre, une vingtaine de youtubeurs ont lancé une campagne en ligne #ilestencoretemps à l’occasion de la parution du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Pour ces vidéastes écolos, l’engagement sur les réseaux sociaux et les plateformes en ligne n’a plus grand-chose de virtuel. Portraits croisés de trois chaînes YouTube particulièrement actives sur le sujet.
Partager c’est sympa
Les plus connectés connaissent déjà sa casquette, son phrasé et son style caractéristique : « Salut, c’est Vincent Verzat, bienvenue sur le vlog des gens qui s’bougent ! » Il est la face visible de l’équipe de la chaîne Partager c’est sympa. Il fait de la vidéo depuis le lycée et des études supérieures, jusqu’à un master en relations internationales, « je voulais faire de la diplomatie pour la paix ». Et puis, il réalise ses premiers vlogs sur YouTube, en 2015, en réaction aux attentats.
Au départ, explique Vincent (28 ans), « je faisais des vidéos seul depuis ma chambre et ça a intéressé plusieurs ONG, comme 350.org ou les Amis de Terre, avec qui je suis parti au Texas, en 2017, sur une lutte contre les gaz de schiste ». À partir de ce moment, sa chaîne a décollé et est devenu et un organe de com’ des mouvements citoyens, qui financent la majeure partie de ses activités : vidéos courtes, percutantes avec un montage au cordeau, on a pu le retrouver avec Alternatiba, pendant Nuit debout, dans les opérations pour le désinvestissement des énergies fossiles, etc. Partager c’est sympa est suivi par 109.000 personnes sur Facebook.
Avec le temps, la petite famille de Partager c’est sympa s’est agrandie. Juliette, la coscénariste, est venue à l’écologie, comme beaucoup dans ce milieu, avec les mobilisations pour la COP21, en 2015. Se définissant elle-même comme « hypersensible », elle insiste sur « l’importance des émotions, comme moteurs pour l’action ». Une essence qui se retrouve dans les vidéos, qui jouent à fond la carte d’un esprit « positif », où l’on est tutoyé pour agir. Avec Vincent et Juliette, Margaux, chargée de la production, et Victor, autre coscénariste, travaillent à inscrire la chaîne dans la galaxie de l’écologie : « On joue le rôle de tiers de confiance pour donner à voir des causes militantes, qui ont parfois du mal à s’adresser au grand public. »
- Juliette, Vincent et Victor, de Partager c’est sympa.
La Barbe
Si l’écologie est bien à l’ordre du jour sur YouTube, c’est souvent dans des vidéos inspirantes, invitant au geste individuel ou à un changement de pratique de consommation, et touchant surtout les classes moyennes urbaines de moins de 35 ans, l’essentiel de l’audience de la chaîne internet. Plus rares sont les chaînes traitant plus globalement de l’enjeu écologique. Certains tentent de concilier le format face-caméra et humour avec leur engagement. Ainsi Nicolas Meyrieux. Après son enfance à Grenoble, il est monté à Paris pour être comédien, vivant dans la dèche pendant deux ans avant de suivre une formation au cours Florent. Se définissant comme « humoriste d’investigation », il a eu le déclic environnemental en 2009 en voyant le film naturaliste Océans, de Jacques Perrin. Nicolas prend alors « une sorte de pilule à la Matrix » et se lance dans une « obsessionnelle course à l’information » sur l’environnement avant de lancer sur YouTube, fin 2015, La Barbe, dont le nom provient « de l’expression râleuse de ma grand-mère ». Il a été repéré par la boîte de production IRL, dédiée aux « nouvelles écritures » de France Télévision, qui lui a permis de mener son projet sur le petit écran (L’Autre JT sur France 4, puis FranceTVinfo), et sur internet. Le bilan ? Une soixantaine de vidéos traitant tantôt des inégalités scolaires, du sexisme, mais de plus en plus souvent d’écologie (eau, déchets nucléaires, obsolescence programmée…). Et une audience de presque 200.000 abonnés YouTube. « Le problème c’est qu’au bout d’un moment, ce sont toujours les mêmes informations, les mêmes responsables et on arrive presque à une écriture automatique », soupire Nicolas Meyrieux (32 ans), déplorant un autoformatage aujourd’hui très fréquent.
Professeur Feuillage
C’est qu’il est « difficile de faire rire en général et encore plus avec l’écologie », insistent le professeur - alias Mathieu Duméry, journaliste devenu comédien — et Lénie Cherino — danseuse puis comédienne. Ce duo de comédiens trentenaires, élevés avec Hara Kiri et Coluche, a choisi, avec Professeur Feuillage, lancé en 2014, de se démarquer par une esthétique rétro-trash, poussant certains stéréotypes sexistes jusqu’au burlesque.
« On a démarré en tournant dans des squats, en totale autoproduction, on payait en fromage et en bière, raconte Lénie Cherino. Puis, on a commencé à être invités par des associations », jusqu’à être aujourd’hui coproduits depuis 2016 par IRL, comme La Barbe. Leur chaîne YouTube compte 110.000 abonnés. Avec des ressorts humoristiques un peu en dessous de la ceinture, le contenu est plus fin qu’il n’y parait, et traite en nuance de sujets délicats comme la fission nucléaire, l’éolien ou l’agroécologie.
Reste une souci... écologique : le système YouTube, fondé sur la publicité, en lui-même pose un véritable problème écologique. Si Google, le propriétaire du média, est toujours prompt à communiquer sur son écoresponsabilité, la mise en ligne de 400 heures de vidéos toutes les minutes ne va pas sans des consommations électriques démesurées et des serveurs tournant à plein jour et nuit. Des contradictions auxquelles réfléchit l’équipe du Professeur Feuillage, qui souhaite reprendre en profondeur la difficile question de la pollution numérique, déjà traitée il y a deux ans.
De son côté, Partager c’est sympa refuse de monétiser ses vidéos YouTube, qui sont vierges de publicité, mais profite à plein de la viralité des contenus sur Facebook. Plutôt que de produire une vidéo ou deux par jour, la plupart des créatifs sur YouTube jouent désormais une carte plus qualitative et dépendent moins des revenus publicitaires (qui ne cessent de diminuer par ailleurs) que des dons directs de leurs abonnés ou des partenariats avec des collectivités ou des ONG.
Une forme nouvelle de militantisme
La marque de fabrique de cette petite communauté, c’est aussi l’esprit plus coopératif dans le travail lui-même, avec des collaborations fréquentes et de nombreux projets en commun. Dernier en date, la grande campagne lancée le 8 octobre dernier à la parution du rapport du Giec : #ilestencoretemps. Une initiative qui agrège une vingtaine de vidéastes appelant à l’action immédiate individuelle mais aussi et surtout collective pour sauver le climat avec un site web dédié.
Porte-voix sans être avant-garde, ces vidéastes ne dénigrent en rien les médias indépendants « qui fournissent le contenu de fond de tout notre travail », et encore moins les militants traditionnels, « sur lesquelles on s’appuie toujours pour agir », souligne Vincent Verzat. Tous croient en la « pluralité des pratiques militantes », en ne s’interdisant presque aucun outil d’action collective du moment qu’il fasse avancer la cause. Ce qui pousse désormais Nicolas Meyrieux à franchir un cap en démarrant cet automne l’émission « Habitons demain », sur l’habitat responsable, sur TF1, financé par… Leroy Merlin. « Si on veut changer le monde aujourd’hui, il faut s’emparer des médias mainstream », estime-t-il. Conscient des concessions de fond que cela impose et du sentiment de trahison qu’un tel choix peut générer, le même s’engage « en même temps » dans l’aventure du JTerre, programme autoproduit totalement indépendant réunissant tous ces vidéastes écolos.
Une émission mensuelle « d’actu des vivants qui veulent le rester » et multidiffusée en direct sur de nombreuses chaînes, toujours pour élargir l’auditorat et « arrêter de parler seulement aux convaincus ». Encore assez artisanal dans sa forme, ce JTerre devrait s’étoffer dans ses prochaines éditions avec, promet-on, « une invitée remarquable » dès ce mois d’octobre, avant « pourquoi pas, d’inviter Reporterre et Bastamag ? » lancent-ils. Le message est passé.
D’AUTRES CHAÎNES FRANCOPHONES TRAITANT D’ÉCOLOGIE
- Osons causer ;
- Les Parasites, avec notamment le vrai/faux documentaire « La boucherie éthique » ;
- Pierre Rigaux, militant naturaliste ;
- Et Tout le monde s’en fout ;
- Le Biais vert ;
- Jihem Doe (véganisme) ;
- Next (effondrement et colapsollogie).