Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

ChroniqueCulture et idées

« Cet été, pas de valise. Je m’accrocherai à mon champ »

« Cet été [...] je rangerai les outils, je chargerai les caisses de tomates, et je rentrerai à la maison », écrit le le maraîcher bio Mathieu Yon.

Durant les vacances d’été, il y a la solitude, écrit le maraîcher Mathieu Yon. Il ne fera pas ses valises. En réconfort, des vacanciers viendront chercher ses légumes, qui ont un goût de liberté.

Mathieu Yon. © Enzo Dubesset / Reporterre
Le néopaysan Mathieu Yon est chroniqueur pour Reporterre. Il vous raconte régulièrement les joies et les déboires de son installation dans la Drôme en tant que maraîcher biologique en circuit court.


Il y a ce pincement au cœur au moment du départ, lorsque les valises sont prêtes, que la voiture est chargée et qu’il ne reste plus qu’à enfiler ses chaussures à la hâte. L’été, je regarde les autres partir en vacances. Pour ma part, je traverse une solitude. Je reste dans mon champ. C’est ma condition paysanne.

La maison se vide, quelque chose en moi aussi. Il n’y a plus personne à border le soir. Seulement le chat qui tourne autour de sa gamelle. Au début, une forme d’ennui apparaît, comme une tristesse estivale. Être attaché à ce point à un lieu engendre parfois un sentiment de lassitude.

Alors, je me mets à parler aux plantes : je palisse les aubergines, je guide les tomates, j’enroule les concombres, je chausse les poireaux. Et peu à peu, quelque chose me lie et me console, quelque chose se met en mouvement.

Je ne sais pas d’où ça vient. Des grillons qui m’accompagnent le soir ? De l’odeur du tilleul qui envoûte le champ ? Ou de mon corps assis dans l’herbe, comme une botte de paille tombée de la remorque ?

La terre est une consolation. Cette consolation ne se gagne pas facilement. Elle demande du travail, de la patience. Ce n’est pas un travail rémunéré, ni même reconnu. C’est un travail d’attention, une manière d’entrer dans le quotidien comme dans une église, ou tout autre lieu qui serait à la fois sacré et déserté.

« Je croiserai des vacanciers sur le marché, et mes légumes auront pour eux un goût d’été et de liberté. » Pxfuel/CC

J’ai toujours aimé les lieux et les gens oubliés, au bord des routes du progrès : ceux qui restent quand tout le monde part, happés par des lendemains qui chantent. C’est pour cette raison que les paysans et les personnes âgées me bouleversent. Ils ne partent pas. Ils ne se déplacent pratiquement pas. Ils rentrent à l’intérieur du temps, par contrainte et par défaut, presque à reculons.

Et puis quelque chose se passe, quelque chose lâche, et le corps s’abandonne. Par ce mouvement si simple, ils inventent des paysages. Il suffit de regarder leurs mains et leurs visages pour y voir une beauté à couper le souffle. Il suffit de regarder.

« Cet été, je m’accrocherai à mon champ comme aux mains d’un ami »

Je ne suis encore qu’un apprenti. Mon visage ne dessine pas des ravins, mes mains n’ont pas le vertige des jours. Cela viendra peut-être. Avec le temps. Si mon champ parvient à me retenir.

Cet été, je ne préparerai pas de valise. Je m’accrocherai à mon champ comme aux mains d’un ami. Et j’imaginerai des plages et des calanques, au bord des jours qui s’achèvent. Entre chien et loup, je rangerai les outils, je chargerai les caisses de tomates, et je rentrerai à la maison.

Le lendemain, je croiserai des vacanciers sur le marché, et mes légumes auront pour eux un goût d’été et de liberté : ce goût qu’ils étaient venus chercher, parfois de très loin. Et leur mine réjouie me fera prendre conscience d’une chose : je n’ai plus besoin de cocktails et de fonds marins pour retrouver ce goût. Chaque matin, la rosée me rend ivre. Et mon champ donne sur la Voie lactée.

Le poète Philippe Jaccottet écrivait, au sommet de la montagne de la Lance :

« Pour qu’on me lie avec des liens pareils,
je veux bien tendre les deux mains »
.

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende