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EntretienNumérique

Christophe Cassou : « Le climatoscepticisme a la couleur de l’extrême droite »

Le scientifique Christophe Cassou à Saix (Tarn), le 23 avril 2023.

Harcelé sur Twitter par des climatosceptiques, le scientifique Christophe Cassou a décidé de fermer son compte. Il revient sur les attaques et le dénigrement subis, et qui ciblent en masse d’autres experts du climat.

Christophe Cassou est climatologue et directeur de recherche du CNRS au Cerfacs de Toulouse. Il est l’un des coauteurs du sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).



Reporterre — Christophe Cassou, vous avez récemment été cyberharcelé. Début août, ces attaques vous ont poussé à suspendre votre compte (@cassouman40) sur X, anciennement Twitter. Pourquoi avez-vous pris cette décision ?

Christophe Cassou — La charge mentale était devenue trop forte. À la longue, les attaques climatosceptiques sont nauséabondes, délétères et usantes. Je me suis rendu compte qu’elles me faisaient perdre du temps en me déconcentrant, en mobilisant des énergies négatives de haine, de clivage et de violence qui ne me correspondent pas et que je déteste. Cela me détournait de mon cœur de métier : la production de connaissances et la diffusion du savoir contenu dans la littérature scientifique. Lutter contre cette grande entreprise de désinformation n’est pas mon travail. Cela dépasse le simple chercheur que je suis et c’est un tonneau des Danaïdes. Je ne suis également pas certain que ce soit une bonne stratégie de répondre et de donner de la visibilité à ces contenus.


Comment se sont manifestées ces attaques ? De qui provenaient-elles ?

Mes notifications étaient polluées depuis plusieurs mois par les commentaires irrespectueux d’une horde de comptes climatosceptiques. Les profils se ressemblaient : pour la plupart de genre masculin, liés à la sphère complotiste, avec des liens plus ou moins étroits avec l’ultradroite américaine, les extrêmes droites européennes et les « patriotes ».

Comme l’a montré le chercheur David Chavalarias, leur mode opératoire s’appuie sur la rhétorique dite des « 5D » : discrédit, déformation, distraction, dissuasion et division. On peut maintenant y rajouter « dénigrement ». Ces comptes n’ont rien à voir avec ceux des climatosceptiques que j’appelle « honnêtes », qui, du fait de leur méconnaissance du système climatique — c’est normal, c’est un système complexe —, peuvent émettre des doutes et confondent des faits scientifiques avec des opinions, parce qu’ils ne sont pas familiers avec la méthode scientifique. Éventuellement, ces climatosceptiques-là peuvent changer d’avis après discussion respectueuse et partage de contenus, ce qui est chouette.

Le plus blessant et révoltant à la longue, c’est la remise en cause de l’intégrité professionnelle et déontologique des scientifiques. Pour ces profils climatosceptiques véreux, les climatologues seraient manipulés, malhonnêtes ; ils surestimeraient, survendraient la gravité du changement climatique... Ils seraient volontairement alarmistes alors que nous sommes alarmants sur la base de faits et d’éléments probants.

Je trouve cela dur, dans la mesure où l’on fait notre travail dans la plus grande rigueur et transparence, qu’on lance l’alerte depuis des décennies et qu’on est en train de suivre la trajectoire climatique qu’on avait anticipée il y a dix ou quinze ans. Tout prouve aujourd’hui que nos projections sont justes, ce qui est à la fois rassurant — c’est un gage que l’on n’a pas raté un processus majeur — et en même temps assez terrible face à des risques émergents et menaçants que l’on peut dès lors anticiper avec confiance.

« Les attaques climatosceptiques sont nauséabondes, délétères et usantes »

Et puis, j’ai reçu des attaques sur mon physique. J’ai subi une intervention chirurgicale au visage et, pendant un petit moment, il est resté tuméfié. On m’a alors présenté comme un alcoolique, on a dit que je m’étais fait tabasser et que c’était bien fait pour moi. Je commençais aussi à recevoir des messages sur ma messagerie professionnelle, avec des titres pas forcément explicites, comme « Merci de votre intervention ». J’ouvrais et, dans le corps du mail, je découvrais un flot de haine. Sur la durée, c’est devenu envahissant et pesant. J’ai considéré qu’on avait passé un cran dans cette atmosphère nauséabonde et délétère, et j’ai suspendu mon compte.


Vous mettiez du soin à partager l’état des connaissances sur le changement climatique et à déconstruire des discours climatosceptiques. N’est-ce pas un crève-cœur de devoir abandonner cet espace ?

Un crève-cœur, non. Je le vois comme une pause nécessaire, un moment de réflexion sur la communication. Je compte réactiver mon compte, j’ignore encore quand. J’ai toujours cette volonté de faire monter en compétence des lecteurs, des auditeurs ou des spectateurs qui n’ont pas forcément intégré les connaissances du fonctionnement complexe du système climatique. Avec Valérie Masson-Delmotte nous sommes les rares climatologues à le faire sur Twitter. Je pense que nous touchons des communautés particulières, celle des journalistes et aussi celle des enseignants, qui m’envoient beaucoup de messages de soutien depuis que j’ai suspendu mon compte. Merci à eux.

Écrire des fils de cinquante tweets, cela prend du temps, beaucoup de temps, mais cela permet aussi de structurer son esprit, de réfléchir à la manière dont les faits peuvent être organisés pour raconter une histoire qui fait sens. Je pars souvent d’un évènement météorologique, que je replace dans le contexte climatique, en exposant comment et dans quelle mesure les activités humaines l’influencent, avec une mise en perspective sur les potentialités d’adaptation à un climat qui change vite et d’atténuation pour limiter le réchauffement et les risques. Un peu comme le Giec, en fait.

C’est aussi une manière, pour les scientifiques, de se positionner dans un moment d’histoire très particulier : comment s’inscrit-on en appui et soutien aux transitions et transformations actuelles sur la base des connaissances ? C’est aussi l’occasion de questionner notre rôle par rapport aux mouvements de désobéissance civile, par exemple.

Lire aussi : Crise écologique : la révolte des scientifiques

Alors que juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais enregistré à l’échelle planétaire, Thomas Ménagé, député du Rassemblement national du Loiret, a déclaré le 21 août : « Nous ne pouvons pas nous baser uniquement sur les données du Giec [...] Ils ont parfois tendance à exagérer. » Comment expliquez-vous la montée en puissance des discours climatosceptiques ?

J’ai le sentiment que les discours rassuristes — dans lesquels j’inclus les discours technosolutionnistes — sont de plus en plus prégnants depuis la sortie du dernier rapport du Giec, en 2021. Le changement climatique est très palpable, très perceptible dans notre quotidien et, de ce fait, les discours se sont déplacés : ils ne portent plus tant sur le déni du changement climatique que sur le déni de sa gravité et de l’urgence à agir.

Dans ce contexte, la sortie de ce député RN n’est pas si surprenante. Je rappelle qu’en juin 2022, quand une quarantaine de scientifiques ont formé les députés sur le parvis de l’Assemblée nationale, le jour de leur prise de fonction, seul un député RN est venu, sur 88. Fait largement étayé dans les études sociopolitiques : le climatoscepticisme, et une partie du climatorassurisme, a une coloration politique, celle de l’extrême droite. Cet épisode devant l’Assemblée en est une des multiples illustrations concrètes.

Lire aussi : Rapport du Giec : « Les climatosceptiques ne se tairont jamais »

Si le député du Loiret était venu nous voir, peut-être aurait-il compris la différence entre des faits scientifiques qui reposent sur des lois de physique non négociables, et des opinions. Les faits sont synthétisés par le Giec et ne portent pas de jugement de valeur.

Par exemple, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont calés sur la relation proportionnelle entre le cumul du CO2 dans l’atmosphère émis par les activités humaines depuis 1850 et le niveau de réchauffement. Chaque tonne de CO2 additionnelle contribue à un réchauffement additionnel. C’est factuel. Ça ne sort pas du chapeau de 700 « magiciens » du Giec. Et donc tout retard supplémentaire dans les réductions des émissions est un incrément de température additionnel selon les lois de la physique… et pas celles supposées du Giec.

« Elon Musk nous a noyés dans un climat nauséabond »

Le journaliste de France inter aurait pu reprendre ce député en lui demandant, avec ses choix politiques, à quel niveau de réchauffement il se situait. 4 à 5 °C d’ici 2100 ? Si les hommes et femmes politiques s’accommodent du business as usual, soyons clairs : ils nous exposent à un niveau de risque très grand de souffrance inacceptable, d’insécurité alimentaire croissante et d’une injustice sociale déstabilisante. Rappelons que nous ne sommes pas tous égaux face aux risques climatiques, qui touchent les plus vulnérables. Nous sommes tous en capacité d’agir, mais de manière différenciée.


Une étude publiée mi-août révèle que la moitié des défenseurs du climat et de la biodiversité ont abandonné Twitter (rebaptisé X) depuis la prise de contrôle d’Elon Musk en octobre. N’est-ce pas une défaite que de laisser le monopole de Twitter aux climatosceptiques ?

Je n’en suis pas certain. Si les climatologues et les militants écologistes désertent tous Twitter, mais que ce dernier reste une source d’information importante pour les journalistes et une vitrine pour les politiques, alors oui c’est une défaite. Mais si la communauté de journalistes va chercher d’autres lieux d’information, que ce réseau social cesse d’être un des acteurs importants dans la société d’aujourd’hui, dans ce cas c’est une victoire : celle d’avoir initié la chute de ce réseau-là et de ce qu’il devient depuis sa prise en main par Elon Musk, qui nous a noyés dans un climat nauséabond et en a fait un lieu délétère.


Quelles alternatives existe-t-il ?

Je ne sais pas. C’est peut-être le moment d’inventer collectivement de nouvelles formes de réseaux sociaux ou des espaces d’échanges et de partage de connaissances ? Je me suis inscrit sur LinkedIn, il y a aussi Bluesky qui émerge dans la communauté climat et dans une atmosphère pour le moment bienveillante. Sur LinkedIn, je crois que je vais rapidement déchanter tant le climatorassurisme y est fort et parfois empreint de greenwashing. Être présent dans les transformations sociétales via le partage de faits scientifiques, c’est en tout cas un enjeu important pour les scientifiques.


Vous participez notamment au « Journal Météo Climat » de France Télévisions, qui donne plus de place au changement climatique...

Oui, et c’est une initiative dont je suis très content, qui permet de sortir de nos bulles et de toucher un très grand nombre de personnes, qui se posent légitimement des questions et qui sont en recherche de connaissances. Des personnes qui ne viennent pas dans les conférences, qui ne sont pas exposées à la science, à la méthode scientifique. C’est une grande vitrine, ce sont six millions de téléspectateurs chaque jour en combinant France 2 et France 3. C’est une manière aussi de rendre visible et d’incarner la recherche publique française et ses chercheurs et chercheuses, quel que soit leur laboratoire.

En amont de la COP21 à Paris, avec des collègues et une médiatrice scientifique formidable, nous avions aussi monté une exposition itinérante, Le Train du climat, qui ralliait dix-neuf villes-étapes en France. L’idée était simple : mettre des scientifiques dans un train et parler, à partir des supports de l’exposition, à tout un public qui n’était pas habitué à rencontrer le monde de la recherche, sa diversité, sa richesse et son humanité. Nous avions eu 30 000 visiteurs en trois semaines, c’était incroyable. Ces objets de médiation sont, il me semble, des pistes et des espaces prometteurs pour transmettre nos connaissances aux citoyens en support à leur réflexion.

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