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ReportagePolitique

Les nouveaux députés formés par des scientifiques à la crise climatique

Députés et scientifiques réunis pour parler de réchauffement climatique, le 21 juin 2022.

À l’occasion de la rentrée parlementaire, une trentaine de scientifiques ont proposé de former les députés aux enjeux environnementaux. Seule une partie d’entre eux, pour la plupart déjà sensibilisés, ont répondu présent.

Paris (7e), reportage

C’est à un cours un peu particulier qu’ont été conviés, mardi 21 juin, les tout nouveaux représentants de la nation. Dans un bosquet de l’esplanade des Invalides, à quelques pas de l’Assemblée nationale, un grand barnum, des tables et une ribambelle de chaises sont installés. Sous les tilleuls, des scientifiques de renom (climatologues, hydrologues, biologistes ou encore géographes) attendent sagement l’arrivée de leurs premiers élèves. L’objectif de cette classe en plein air : sensibiliser les députés au réchauffement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, afin que ces enjeux irriguent « l’ensemble des lois » qui seront adoptées au cours de la prochaine mandature.

Ce projet est né d’une rencontre entre le climatologue Christophe Cassou, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), et l’ex-député écolo Matthieu Orphelin. Les lois qui seront votées dans les prochains mois, notamment celle sur le pouvoir d’achat, « peuvent avoir un impact très positif ou très négatif sur le climat et la biodiversité », explique ce dernier. D’où l’idée de proposer un « kit de premiers secours » aux députés qui manquent de connaissances en la matière. Ils sont probablement nombreux : d’après une récente étude de l’Agence de la transition écologique (Ademe), 21 % des parlementaires de la précédente mandature pensaient que le changement climatique n’était qu’une « hypothèse » sur laquelle les scientifiques ne seraient « pas tous d’accord » (ce pourcentage montait à 38 % chez les élus de droite).

Députés et scientifiques réunis pour parler de réchauffement climatique, le 21 juin 2022. © Tiphaine Blot/Reporterre

Plus de trente-cinq spécialistes du climat et de la biodiversité, épaulés par le collectif d’étudiants et de jeunes diplômés Pour un réveil écologique, ont accepté de se relayer pour animer ces trois jours de formation, du lundi au mercredi 22 juin. Un investissement temporel conséquent, justifié par la gravité de la situation. « Le changement climatique n’est pas un paysage vers lequel on se dirige. Il est partout », assure Christophe Cassou, avant de rappeler que la France n’est « pas dans les clous ».

Les scientifiques doivent selon lui jouer le rôle de médiateurs. « Il est essentiel que les personnes qui fabriquent nos lois prennent leurs décisions sur la base de connaissances robustes et solides, et non sur des groupes de pression », abonde l’océanographe et coauteur du Giec Jean-Baptiste Sallée. Tous les participants insistent sur le caractère apartisan de cette initiative : « Les informations que nous présentons sont démontrées, dit la géographe Magali Reghezza. On met nos opinions à la porte du labo. »

Députés présents le 21 juin 2022. © Tiphaine Blot/Reporterre

58 sur 577 députés

La veille, au premier jour de la rentrée parlementaire, l’évènement n’avait pas attiré la foule. Seule Danielle Simonnet, élue France insoumise dans la 15e circonscription de Paris, avait fait le déplacement. La deuxième session a eu davantage de succès. L’ensemble des députés d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) sont arrivés mardi en début de matinée, suivis d’une poignée de membres du MoDem et de Renaissance (ex-LREM). Une importante délégation de La France insoumise les a remplacés dans l’après-midi.

À droite, le climatologue Christophe Cassou. © Tiphaine Blot/Reporterre

Répartis entre les tables, sur lesquelles a été placée une synthèse des conclusions du dernier rapport du Giec, les « élèves » ont écouté pendant une trentaine de minutes les exposés des scientifiques. Étaient surtout évoquées les bases : « La grande constatation, c’est que la biodiversité décline », rappelle le chercheur en biologie Philippe Grandcolas à sa classe de neuf députés, avant que sa collègue Magali Reghezza n’évoque les conséquences du réchauffement climatique sur le territoire. Un peu plus loin, une table discute des leviers pour repenser nos manières de consommer et de produire. Face aux professeurs, tous opinent du chef, regards sérieux et sourcils froncés.

En fin de journée, 58 des 577 députés (36 membres de la Nupes, 20 Ensemble, ainsi que 2 élus divers droite et gauche) sont passés entre les mains des experts. La grande majorité d’entre eux reconnaissent être déjà sensibles, voire bien informés, sur ces enjeux. Seul le député Charles de Courson (Les Centristes) est brièvement venu expliquer aux formateurs que la France n’avait selon lui pas d’efforts supplémentaires à fournir, avant de s’éclipser. À part lui, « ceux qui sont venus sont plutôt les bons élèves qui veulent montrer qu’ils sont là », admet un organisateur.

Delphine Batho avec le climatologue Christophe Cassou. © Tiphaine Blot/Reporterre

« Ce n’est pas qu’une question de formation, c’est aussi une question de politique »

L’enjeu est ailleurs : « Pour nous, le plus important, c’est de se mettre sur le radar des députés, de rester des interlocuteurs tout au long de leurs mandats », explique Lola Vallejo, directrice du programme climat de l’Iddri [1]. L’évènement est l’occasion de nouer un premier lien. Sa formation finie, la nouvelle députée (LFI) Rachel Keke, figure du combat des femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles, remercie d’une accolade chaleureuse ses professeurs. Elle promet de les revoir. « Il faut que je me forme pour aller au combat », sourit-elle.

Rachel Keke avec des scientifiques présents. © Tiphaine Blot/Reporterre

Silence radio, en revanche, du côté des Républicains et du Rassemblement national. Les élus de ces partis, qui ont voté en faveur de nombreuses mesures néfastes pour l’environnement au cours de la dernière mandature, auraient pourtant probablement bénéficié d’une bonne piqûre de rappel. « Ils ne veulent pas être formés, car ils s’accrochent à un ancien système qui nous envoie dans le mur », estime l’écoféministe Sandrine Rousseau, nouvellement élue (sous l’étiquette EELV) à la 9e circonscription de Paris. Ces formations devraient selon elle être rendues obligatoires par le président de l’Assemblée.

Sandrine Rousseau le 21 juin 2022. © Tiphaine Blot/Reporterre

« Ce n’est pas qu’une question de formation, c’est aussi une question de politique », affirme quant à elle Mathilde Panot, élue (LFI) dans la 10e circonscription du Val-de-Marne, à la sortie de son cours. Ce partage de connaissances est salutaire, dit-elle, « car il crée une alerte. Mais sur les néonicotinoïdes [insecticides tueurs d’abeilles], par exemple, personne ne peut me faire croire que les députés qui ont voté pour leur réautorisation n’avaient pas conscience de leur nocivité ».

« Évidemment, l’information n’est pas la seule chose qui bloque, reconnaît Léa Falco, du collectif Pour un réveil écologique. C’est aussi une question de choix politique. » L’étudiante et activiste juge néanmoins « nécessaires » ces formations, et espère réitérer l’expérience au Sénat dans quelques mois. « S’il y a un socle de connaissances communes, on saura que, si les députés n’agissent pas, c’est qu’ils n’en ont pas la volonté. »



LA DROITE ET L’EXTRÊME DROITE QUASI ABSENTES

Au terme de la formation, mercredi 22 juin, 154 députés (27 % de l’hémicycle) avaient été initiés aux enjeux climatiques par l’équipe de scientifiques : 80 Ensemble ! (sur 246), 70 Nupes (sur 142), 1 Les Républicains (sur 64), 1 Rassemblement National (sur 89), ainsi qu’un divers droite et un divers gauche. C’est moins que ce qu’espéraient les organisateurs, qui visaient une majorité absolue (soit 289 députés). « La spontanéité des échanges, par petits groupes, a permis un vrai partage, qui irriguera l’exercice de leur mandat, en circonscription comme en hémicycle », se sont néanmoins félicités Christophe Cassou et Matthieu Orphelin dans un communiqué.

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