Avions, poules en cage, pesticides... ce qu’ont voté les députés sous Macron

L'Assemblée le 28 janvier 2021. - © Anne Speltz/Reporterre
L'Assemblée le 28 janvier 2021. - © Anne Speltz/Reporterre
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Politique LégislativesInterdiction de vols intérieurs, réautorisation des néonicotinoïdes, poules en cage... qu’ont voté les députés sous Macron ? Reporterre a fait le bilan, et analysé en infographies neuf mesures jugées « importantes » pour l’écologie.
La campagne pour les législatives est lancée, placée sous le signe du climat. Chaque parti revendique sa fibre écolo, et tout aspirant député doit désormais se parer de ses plus beaux atours verts. Réelle conviction ou beau discours ? Reporterre a voulu gratter ce vernis en s’intéressant au passif des différents partis. Car beaucoup disposaient déjà d’élus au sein de l’Assemblée nationale sortante. Ont-ils défendu, ou non, des politiques climatiques ambitieuses ? Ont-ils porté, ou pas, la protection du vivant ?
« Il y a eu quelques petits pas assez anecdotiques, de vrais reculs et énormément de blabla, résume, amer, Clément Sénéchal, de Greenpeace. La ratification du Ceta, la réautorisation des néonicotinoïdes, la baisse des impôts de production, les coupes dans les effectifs des fonctionnaires de l’environnement... sur tous ces plans, on a reculé. » Plus précisément, « la majorité présidentielle n’a pas fait le boulot sur l’écologie ». Avec 267 membres, le groupe de La République en marche (LREM) était en effet de loin le plus nombreux. En ajoutant leurs alliés du Modem et du groupe Agir ensemble, les députés macronistes dépassaient donc largement la majorité absolue (289 députés). De quoi leur laisser des coudées franches pour imposer ou refuser les mesures écolos débattues.
Il y a pourtant eu pléthore de textes aux noms affriolants : loi pour la sortie des hydrocarbures, loi Énergie Climat, loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, loi d’orientation des mobilités, loi Climat et Résilience... « Des coquilles vides, dénonce M. Sénéchal. Le gouvernement et sa majorité ont occupé le terrain, mais les textes proposés n’étaient pas du tout à la hauteur de la crise écologique, avec des mesures insuffisantes. » Même son de cloche mitigé chez L214 : « La question animale a été débattue à plusieurs reprises, parfois sans que rien n’ait été adopté, parfois avec de petites avancées, constate Samuel Airaud, porte-parole de l’association. Mais la majorité a systématiquement refusé de légiférer sur la chasse ou l’élevage intensif. » Côté avancées, il cite les menus végétariens dans les cantines, l’interdiction de l’élevage de visons ou la fin de la détention d’animaux sauvages dans les cirques et les delphinariums.
Pour le militant animaliste, tous les partis politiques ne sont pas à loger à la même enseigne : « Le groupe Écologie Démocratie Solidarité [constitué de mai à octobre 2020 par des députés écolos déçus du macronisme] a énormément fait pour la cause animale, et le groupe de La France insoumise a toujours voté dans le sens des animaux, dit-il. Même au sein de la majorité, certains députés étaient très engagés sur ces questions... mais ils n’étaient pas assez nombreux. » Pour Clément Sénéchal, « la majorité était constituée d’un régiment de nouveaux entrants, qui manquaient d’autonomie et de connaissance sur les sujets écolos ; beaucoup dépendaient de Macron pour la suite de leur carrière, ils n’avaient pas intérêt à “désobéir” ». L’écologiste espère ainsi que la prochaine Assemblée sera plus diverse, et plus équilibrée, « avec des rapports de force plus fructueux ».
Pour aller plus loin, Reporterre a dressé un bilan écolo des députés sortants. L’affaire n’était pas simple : il fallait fouiller dans le détail des grandes lois environnementales du quinquennat, scruter les votes — quand ils étaient publics — sur des articles ou des amendements précis. Faute de pouvoir être exhaustifs, nous avons sélectionné neuf mesures écolos ou climaticides débattues (mais pas forcément adoptées), et nous avons regardé comment chaque groupe parlementaire a voté.
1. La ratification du Ceta
Considéré comme climaticide, l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne a été ratifié par l’Assemblée nationale le 23 juillet 2019.
Sur 553 députés votants, 266 ont voté pour, 213 ont voté contre, 74 se sont abstenus.
2. La réautorisation des néonicotinoïdes
Les pesticides néonicotinoïdes tuent les abeilles et les insectes pollinisateurs. C’est pourquoi ils ont été interdits en 2018. Mais face à une maladie ravageant les cultures de betteraves, les députés ont réautorisé ces insecticides en 2021, malgré leur nocivité étayée par de nombreuses études scientifiques.
Sur 527 votants, 313 ont voté pour, 158 contre, et 56 se sont abstenus.
3. L’interdiction des lignes intérieures en cas d’alternative ferroviaire
Il s’agissait d’une des propositions phares de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) : « Organiser progressivement la fin du trafic aérien sur les vols intérieurs d’ici 2025, uniquement sur les lignes où il existe une alternative bas carbone satisfaisante en prix et en temps (sur un trajet de moins de 4 heures). » Mais l’Assemblée a finalement adopté une version fortement édulcorée de cette mesure : l’interdiction des vols intérieurs est effective seulement s’il existe une alternative de moins de 2 h 30, avec des dérogations possibles pour les correspondances. Certains députés ont bien tenté de faire passer quatre amendements différents pour rétablir l’ambition des 4 heures… en vain. Nous avons analysé le vote d’un de ces amendements portant la mesure de la CCC, proposé par le groupe de La France insoumise.
Sur 79 votants, 69 ont voté contre, 7 ont voté pour, 3 se sont abstenus.
4. L’interdiction de l’élevage en cage des poules
Les ONG attendaient l’interdiction de l’élevage des poules en cage. Emmanuel Macron l’avait promis lors de sa campagne présidentielle. Lors de la loi Agriculture et Alimentation, les députés ont voté l’interdiction, à compter du 1er janvier 2022, de la vente d’œufs provenant d’installations d’élevage en cage. Cette mesure, adoptée par 72 députés sur 76 votants, n’est cependant pas suffisante : de nombreuses poules pourront toujours être élevées en cage afin de fournir des œufs à l’industrie agroalimentaire, pour des pâtes, des gâteaux, des plats transformés... Selon L214, au moins douze amendements différents proposaient d’abolir progressivement l’élevage industriel de poules. Tous ont été rejetés. Parmi eux, l’amendement no 2020 de La France insoumise.
Il a été rejeté par 59 députés, sur 66 votants ; 5 ont voté pour, 2 se sont abstenus.
5. L’interdiction de la publicité pour des produits polluants
Les ravages de la publicité sur l’environnement sont désormais bien connus. C’est pourquoi nombre d’associations demandent l’interdiction des spots vantant des industries polluantes. Dans le cadre de la loi Économie circulaire, plusieurs députés ont ainsi tenté d’encadrer ces pratiques commerciales, en proposant notamment l’interdiction de « la diffusion de messages publicitaires qui inciteraient à la surconsommation ou au gaspillage de ressources naturelles ». Comme tous ceux similaires, cet amendement, porté par le député Matthieu Orphelin, a été rejeté.
Sur 38 votants, 27 ont voté contre, 10 ont voté pour, 1 s’est abstenu.
6. La limitation des entrepôts de e-commerce
Parmi les pistes pour freiner l’artificialisation des sols, la Convention citoyenne pour le climat proposait de « prendre immédiatement des mesures coercitives pour stopper les aménagements de zones commerciales périurbaines très consommatrices d’espace ». La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, avait d’abord semblé favorable à un gel des chantiers... avant que le gouvernement ne fasse machine arrière. Après moult rebondissements, les députés n’ont adopté aucune restriction à l’implantation des entreprises de e-commerce comme Amazon. Pourtant, une série d’amendements (2497, 146, 5580) ont été proposés pour durcir les conditions d’installation d’entrepôts.
Pour les trois amendements cités ci-dessus, tous rejetés, voici ce qu’ont voté les différents groupes.
7. La mise en place d’un menu végétarien dans les cantines
C’est l’une des principales avancées de la loi Climat saluée par les associations environnementales : le texte prévoit l’instauration d’un menu végétarien par jour dès 2023 pour tous les gestionnaires de restauration collective de l’État, des établissements et des entreprises publics « dès lors qu’ils proposent habituellement un choix multiple de menus ». Certaines associations et députés ont regretté que cette « option végétarienne » ne soit pas mise en place plus tôt et qu’elle ne concerne que les établissements publics.
Sur 103 votants, cette mesure a été adoptée par 89 députés. 12 se sont abstenus ; 2 ont voté contre.
8. L’exclusion du soja et de l’huile de palme des biocarburants
Parmi les plantes utilisées pour faire du carburant figuraient le soja et le palmier à huile, dont la production est source de déforestation dans les zones tropicales. Mais fin 2020, les députés ont décidé d’exclure l’huile de soja et l’huile de palme de la liste des biocarburants. Un amendement adopté de justesse, contre l’avis du gouvernement. C’est une victoire pour l’environnement, selon l’association Canopée, qui suit de près ce dossier.
Sur 71 votants , 33 ont voté pour cette exclusion, 32 ont voté contre, 6 se sont abstenus.
9. La conditionnalité écologique des aides publiques
À la suite de la pandémie, l’État a financièrement soutenu nombre d’entreprises plombées par le confinement et les restrictions sanitaires. Nombre d’associations ont plaidé pour que l’octroi de ces aides soit conditionné à la mise en place de mesures écologiques et sociales. Limitation des dividendes, interdiction de la fraude fiscale, respect de l’Accord de Paris... En 2020, lors de l’examen du budget rectificatif censé entériner les aides publiques, plusieurs députés ont proposé des amendements posant de telles conditions. En vain. Nous avons examiné les votes de trois de ces amendements (2810, 2812, 2813).
Méthode utilisée
Pour réaliser ce bilan, nous avons sélectionné neuf mesures parmi celles identifiées par plusieurs associations environnementales comme « importantes » pour l’écologie. Ces mesures — telle que l’interdiction des vols intérieurs — ont fait l’objet soit d’articles dans différentes lois, soit d’amendements — autrement dit des propositions de modifications ou d’ajouts à des articles. Ils peuvent être présentés par la majorité, le gouvernement ou l’opposition.
Nous aurions souhaité analyser plus de mesures, sauf que les votes des députés ne sont pas systématiquement publiés, loin de là. Pour qu’un scrutin sur un article ou sur un amendement soit public, et donc consigné sur le site de l’Assemblée nationale, il faut qu’il y ait eu une demande expresse d’un des groupes parlementaires. Ce qui n’est pas toujours le cas.
Les groupes politiques jouent un rôle essentiel à l’Assemblée. Ils doivent être constitués de quinze membres au minimum, ce qui explique que certaines forces politiques, comme le Rassemblement national, n’aient pas de groupe. Les postes à responsabilité, les sièges dans les commissions permanentes et les temps de parole sont divisés à la représentation proportionnelle des groupes.
Voici les différents groupes de la 15e législature, en mai 2022 :
- LREM (majorité présidentielle) : 263
- Les Républicains (droite) : 92
- Modem et apparentés (majorité présidentielle) : 53
- Socialistes et apparentés (gauche) : 25
- Agir ensemble (majorité présidentielle) : 22
- UDI (centre droit) : 19
- Liberté et territoire (centre) : 17
- France insoumise (gauche) : 17
- Gauche démocrate et républicaine (communistes) : 15
- Non inscrits : 23, dont 8 députés Rassemblement national. Dans nos infographies, nous n’avons pas pris en compte les votes des députés non inscrits, sauf ceux du Rassemblement national.
À noter, de mai à octobre 2020, d’anciens députés de la majorité présidentielle, notamment déçus par le manque d’ambition écologique, ont créé le groupe Écologie démocratie solidarité, présidé par Matthieu Oprhelin.
Vous constaterez que la plupart des amendements ou des articles ont été votés par très peu de députés. À l’Assemblée, les séances peuvent s’éterniser, durer très tard (même la nuit) : aucun parlementaire n’assiste à la totalité des débats.