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ReportageLégislatives

Rachel Keke, bientôt la première femme de chambre à l’Assemblée ?

Rachel Keke à Chevilly-Larue, le 15 juin 2022.

Figure du combat des femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles, la candidate Nupes aux législatives se veut le porte-voix des classes populaires.

Chevilly-Larue (Val-de-Marne), reportage

De délicieux effluves de pastèque, de cerises, d’abricots et de pêches émanent de la place Nelson Mandela, à Chevilly-Larue, où se tient le marché. « Allez, allez », hèlent les commerçants derrière leurs étals colorés, baignés par les rayons du soleil. Dans la tiédeur de l’après-midi, vers 15 heures, l’atmosphère fruitée pulse d’une vibration nouvelle. Une dizaine de journalistes se mêlent aux chalands, photographiant et filmant sous toutes les coutures un personnage singulier, qui s’engouffre dans l’allée : Rachel Keke, une Chevillaise de 48 ans qui, tout sourire, distribue des tracts en glissant de petites blagues ou en demandant aux têtes connues des nouvelles de leurs proches.

Si elle attire tant les lumières médiatiques, c’est que la candidate aux législatives pour la Nupes [1], dans la septième circonscription du Val-de-Marne, pourrait réaliser un tour de force sans précédent : devenir la première femme de chambre à s’asseoir sur les bancs de l’Assemblée nationale.

Rachel Keke rencontrant des habitants de Chevilly-Larue, le 15 juin 2022. © NnoMan Cadoret/Reporterre

« Je veux être la voix des sans-voix »

Depuis 2003, cette Franco-Ivoirienne s’occupe du ménage au sein de l’hôtel Ibis Batignolles, dans le 17e arrondissement. Avant de briguer le Palais Bourbon, elle était donc de cette France qui vit en banlieue, et prend des bus de nuit pour aller travailler à Paris. « Comme tous les invisibles, quand tout le monde dort », dit-elle. Avant de devenir gouvernante [2], elle a nettoyé jusqu’à quarante chambres par jour pendant quinze ans. « Des cadences impossibles, on se tue au travail, dit-elle. Beaucoup tombent malades, ont des tendinites, mal au dos ou au canal carpien. »

Fatiguée de courber l’échine, elle est devenue la figure du combat victorieux des femmes de chambre qui ont tenu tête au grand groupe hôtelier Accor pendant vingt-deux mois de grève, entre 2019 et 2021. « Il a fallu tenir les piquets de grève quelles que soient les saisons et les douleurs, résister aux insultes et aux menaces de licenciement, se souvient-elle. Mais nous avons prouvé que se battre n’était pas vain : les salaires ont augmenté, les cadences se sont ralenties... »

Rachel Keke : « J’ai beaucoup appris des coups reçus dans ma vie. » © NnoMan Cadoret/Reporterre

Forte de cette expérience victorieuse, et toujours mue par un irrépressible désir « d’être entendue », elle s’est lancée à l’assaut de l’Hémicycle. Après avoir longuement hésité. « Je n’ai pas fait Sciences Po, je me suis demandé si j’en étais capable, mais tout compte fait, la réponse est oui : j’ai beaucoup appris des coups reçus dans ma vie », confie cette mère de cinq enfants, qui a longtemps peiné à se loger après son arrivée en France, en 2000. Désormais, elle se sent prête à « secouer le cocotier » : « Je veux être la voix des sans-voix, des travailleurs qui se lèvent tôt, qui se détruisent le corps à faire des métiers, qu’on a appelés “les essentiels” pendant le Covid-19 et qui n’ont récolté, en retour, que du mépris et des difficultés toujours plus grandes à boucler les fins de mois. »

Un match serré

« Oh, mais on vous a vue à la télé ! », s’amuse Fatoumata, 44 ans, qui remplit son cabas de denrées. À Reporterre, cette aide-soignante en maison de retraite dire qu’elle se « réjouit » à l’idée « qu’une femme noire puisse me représenter parmi tous ces élus qui, dans leur très grande majorité, ne me ressemblent pas et n’ont aucune idée de ce que l’on peut vivre quand on est une personne pauvre, avec un métier fatiguant ». « Malheureusement, je ne pourrai pas voter car je n’ai pas la nationalité française, alors j’espère que les électeurs feront le bon choix », confie-t-elle, avant de rentrer chez elle avec ses enfants.

Pour Fatoumata, la candidature de Rachel Keke est importante pour la diversité. © NnoMan Cadoret/Reporterre

Au premier tour, c’est bel et bien Rachel Keke qui est arrivée en tête. Avec 37,22 % des voix, elle a devancé de treize points l’ancienne ministre des Sports Roxana Maracineanu (Renaissance, 23,77 %). L’écart, important, inquiète la macronie, qui multiplie les attaques frontales contre la Nupes : invitée sur France Info lundi 13 juin, Roxana Maracineanu a enjoint « toutes les personnes qui n’ont pas voté pour Rachel Keke » à la rejoindre dans son « front républicain ».

Ces propos ont suscité l’émoi de la gauche. « La ministre déchue se vautre dans l’indignité en appelant à faire “barrage” à Rachel Keke », a estimé Mathilde Panot, candidate La France insoumise (LFI) dans le Val-de-Marne et présidente du groupe insoumis à l’Assemblée. Elle s’est dite fière « d’envoyer à l’Assemblée la première femme de chambre de l’histoire ». « Dépourvus de tous repères, les candidats Renaissance s’égarent dans des eaux saumâtres, a embrayé l’eurodéputé Europe Écologie-Les Verts (EELV) David Cormand. En n’appelant pas à battre le RN tout en revendiquant un front républicain contre la Nupes, ils banalisent l’extrême droite. »

La rivale de Rachel Keke, Roxana Maracineanu, était aussi sur la place du marché. © NnoMan Cadoret/Reporterre

« Je suis une guerrière et une guerrière prend toujours des coups »

Sur les coups de 17 heures, Roxana Maracineanu apparaît justement au marché de Chevilly. À distance de Rachel Keke, l’ancienne championne de natation mange une pastèque et montre aux enfants sa photo sur les affiches. « Regarde, c’est moi ! » Interrogée sur la polémique, elle concède que sa concurrente « a un parcours remarquable », tout en rappelant qu’elle vient elle-même d’« un milieu très modeste » et a migré de Roumanie « avec deux valises ». « Mais je tiens à signaler aux électeurs que c’est surtout la candidate de Jean-Luc Mélenchon, la femme qui va voter le programme de La France insoumise. » À ses côtés, l’une de ses proches conseillères va plus loin : « Nous, on n’envoie pas une nageuse à l’Assemblée, on envoie une députée qui est prête à faire le job. Il faut être en capacité de le faire. On n’envoie pas des symboles pour voter des lois. »

« Je suis une guerrière et une guerrière prend toujours des coups », relativise Rachel Keke. Pour elle, ce serait même plutôt bon signe : « Maracineanu a peur. » En attendant d’en découdre dans les urnes avec sa rivale, elle se voit déjà, lundi 20 juin, « entrer au Palais Bourbon en dansant ». Le scrutin de dimanche s’annonce serré : l’ex-ministre des Sports espère convaincre celles et ceux qui ont glissé un bulletin Vincent Jeanbrun, le candidat LR, arrivé troisième au premier tour.

Éric Coquerel l’a encouragée à se présenter. © NnoMan Cadoret/Reporterre

« Si Rachel gagne, je ne lui donne pas quelques semaines pour être l’une des vedettes de l’Assemblée », parie Éric Coquerel, député sortant et candidat dans la 1re circonscription de Seine-Saint-Denis, qui l’avait encouragée à se présenter. « L’enjeu, c’est qu’elle ne soit pas la seule, que les classes populaires soient beaucoup mieux représentées. C’est un travail de fond que la gauche mène, et j’espère que son histoire pourra inspirer des milliers de Rachel l’envie de s’impliquer », ajoute-t-il.

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