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Climat

Climat et biodiversité, deux menaces « inextricablement connectées »

Parc national des Écrins, Hautes-Alpes, juin 2021.

Il faut penser ensemble la lutte contre le dérèglement climatique et contre l’effondrement de la biodiversité, selon un rapport du Giec et de l’IPBES. Des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui font fi de potentiels effets sur la faune et la flore sont contre-productives, alertent les chercheurs.

La lutte contre le dérèglement climatique et celle contre l’effondrement de la biodiversité sont à mener de pair. Ces crises sont en effet « inextricablement connectées », assurent, univoques, les cinquante auteurs d’un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et du groupe d’experts international sur la biodiversité (IPBES) publié jeudi 10 juin [1]. Jusqu’ici, ces organismes n’avaient jamais analysé ensemble les liens entre ces deux grandes crises.

Elles ont des « leviers communs », détaille à Reporterre Yunne Shin, chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et coautrice du rapport. L’accroissement démographique, nos modes de production et de consommation, nos modèles économiques tournés vers la croissance… ont des conséquences sur l’une comme sur l’autre. De même, le réchauffement de la température moyenne menace la faune et la flore tandis que des espaces naturels préservés peuvent, dans une certaine mesure, atténuer le dérèglement du climat. D’où l’intérêt de mettre en place des actions favorables à la fois au climat et à la biodiversité. « On peut faire d’une pierre deux coups, frapper plus fort et plus loin à coups équivalents », résume Yunne Shin.

De nombreuses mesures permettraient ainsi de limiter l’effondrement de la biodiversité tout en atténuant le réchauffement climatique, selon les auteurs du rapport. Réduire la déforestation contribuerait à réduire les émissions de gaz à effet de serre en absorbant entre 0,4 et 5,8 gigatonnes d’équivalent carbone par an, tout en préservant des écosystèmes riches en biodiversité. Idem pour la transformation des systèmes agricoles : mettre en place des mesures de conservation des sols et réduire l’utilisation d’engrais bénéficierait à la fois aux espèces végétales et animales, et absorberait l’équivalent d’entre trois et six gigatonnes de dioxyde de carbone par an.

Mesure bénéfique à la biodiversité et à la lutte contre la crise climatique : la réduction de la déforestation. © Fairy Creek Blockade

« Beaucoup de pistes concernent la limitation des déchets alimentaires dans les pays développés, note Yunne Shin. En réduisant de moitié ces pertes, on pourrait gagner 10 % de terres agricoles. Ces terres pourraient ensuite être réservées à de multiples usages, que ce soit pour la restauration de la nature ou la production de bioénergies. » Réduire notre consommation de produits carnés, importants émetteurs de gaz à effet de serre, pourrait également profiter à la fois au climat et à la biodiversité, selon la chercheuse.

Stopper les subventions à la pêche industrielle et aux pratiques agricoles néfastes

Ces actions à l’échelle individuelle doivent cependant s’accompagner d’actions à l’échelle nationale et internationale, souligne Paul Leadley, professeur à l’université Paris-Saclay et qui a contribué à l’écriture du rapport. « Il existe des subventions pour la pêche industrielle et pour des pratiques agricoles plutôt néfastes, comme on l’a vu avec la politique agricole commune, au détriment du climat et de la biodiversité. Il faut qu’on change tout le système, à la fois nos comportements individuels et nos politiques nationales et internationales. »

Un barrage hydraulique en Arizona, aux États-Unis. RJA1988/Pixabay

Le rapport met également en garde contre les actions visant à atténuer le changement climatique sans prise en compte de leurs conséquences pour la biodiversité. Les mesures de reforestation peuvent ainsi devenir néfastes si elles sont réalisées sans prise en compte des spécificités des écosystèmes locaux. « Certains articles scientifiques ont suggéré qu’en plantant des arbres dans les savanes, on pourrait absorber beaucoup de carbone, explique à Reporterre Paul Leadley. Cela pourrait être catastrophique pour la biodiversité. »

Les biocarburants peuvent aussi être de faux amis de la transition écologique. « Si on les développe à petite échelle, cela pourrait avoir des effets positifs pour le climat, dit Paul Leadley. À trop grande échelle, les espaces dédiés à leur production pourraient entrer en compétition avec les espaces naturels et agricoles, et poser un risque en matière de sécurité alimentaire. » Les auteurs du rapport insistent sur la nécessité de prendre en compte les effets négatifs de l’ensemble des mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Dans certains cas, la construction de barrages et d’éoliennes peut par exemple se faire au détriment des espèces migratrices, notent les experts. Les fermes solaires géantes peuvent également entraîner la destruction d’espaces préservés.

À l’inverse, si les mesures de conservation de la biodiversité s’avèrent dans leur grande majorité bénéfiques pour le climat, miser uniquement sur la protection et la restauration d’espaces naturels pour atténuer le changement climatique risque de s’avérer inefficace. « Les mesures de protection de la biodiversité ne peuvent pas tout faire, explique Yunne Shin. Elles doivent être accompagnées d’une politique de réduction massive des émissions de gaz à effet de serre. »

83 % de la biomasse animale sauvage disparus au cours des 150 dernières années

Que ce soit pour le climat ou la biodiversité, les mesures mises en place par les gouvernements restent loin d’être à la hauteur des enjeux. En dépit de la pandémie de Covid-19, les concentrations de CO2 dans l’atmosphère ont atteint un nouveau record de 419 ppm (parties par millions) en mai 2021. Côté biodiversité, alors que les auteurs du rapport estiment qu’il faudrait protéger entre 30 et 50 % de la planète, seulement 15 % des terres et 7.5 % des mers le sont aujourd’hui, à des niveaux souvent trop faibles pour être efficaces. Au cours des 150 dernières années, les activités humaines ont provoqué la perte de 83 % de la biomasse animale sauvage, et de 41,5 % de celle des végétaux.

Le réchauffement de la température moyenne menace la flore : 41,5 % de la masse de végétaux a disparu en 150 ans. © E.B/Reporterre

Les premiers effets du changement climatique sur la biodiversité peuvent déjà être observés. En forêt de Fontainebleau, en Île-de-France, la succession d’hivers et d’été trop chauds provoque des dépérissements d’arbres, raconte Paul Leadley. Sur l’ensemble du globe, des espèces migrent vers les pôles afin de fuir la chaleur de leurs habitats d’origine. La situation est tout aussi préoccupante en mer. En Méditerranée orientale, ajoute Yunne Shin, de nouvelles espèces en provenance de la mer Rouge, comme le poisson-lapin, apparaissent et déstabilisent les écosystèmes.

« Nous avons devant nous une décennie absolument critique pour changer de trajectoire », alerte Paul Leadley. Yunne Shin confirme : « Si l’on trouve qu’il est difficile d’atténuer l’érosion de la biodiversité et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui, il faut savoir que cela sera encore plus difficile, voire impossible, si nous attendons encore quelques décennies. »

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