Comment TotalÉnergies a imposé son projet de terminal méthanier au Havre

Le méthanier, destiné à importer du gaz naturel liquéfié, doit entrer en service à partir du 15 septembre. - Wikimedia Commons
Le méthanier, destiné à importer du gaz naturel liquéfié, doit entrer en service à partir du 15 septembre. - Wikimedia Commons
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ÉnergieDans une enquête publiée le 28 juin, le site Disclose révèle les stratégies de TotalÉnergies pour imposer son projet de navire transportant du gaz naturel liquéfié jusqu’au port du Havre.
C’est un véritable « bateau-usine » qui devrait entrer en fonctionnement dès la rentrée prochaine sur le port du Havre. Le futur terminal méthanier de TotalÉnergies fait l’objet d’une enquête de Disclose publiée le 28 juin, qui décrit l’opération de lobbying mise en œuvre par le pétrolier pour faire valider ce projet jusqu’au sommet de l’État.
Sous le prétexte d’un besoin national en gaz non avéré, politiques et industriels ont tout mis en œuvre pour accélérer le projet de terminal méthanier, allant jusqu’à modifier un projet de loi. Une opération que l’organisation Greenpeace France dénonce également dans un rapport intitulé Terminal méthanier flottant du Havre : symbole d’une politique climatique et énergétique à la dérive publié simultanément.
Reporterre a rencontré le journaliste Pierre Leibovici qui a enquêté pour Disclose.
Reporterre — Le projet méthanier de TotalÉnergies répond-il aux exigences énergétiques de la France ?
Pierre Leibovici — Il y a un immense décalage entre le cri d’alarme du gouvernement sur la sécurité d’approvisionnement en gaz des consommateurs français, comparé aux chiffres que nous avons analysés avec Greenpeace. La consommation de gaz baisse continuellement dans notre pays depuis l’été dernier et, en 2022, la France a même ré-exporté vers ses voisins européens 25 % du gaz acheminé sur son sol. Sans compter que les quatre terminaux méthaniers déjà existants en France ne sont pas pleinement utilisés. Seules 67 % de leurs capacités ont été utilisées sur les cinq premiers mois de l’année 2023.
Or, lors de mon investigation, j’ai découvert l’existence d’études de faisabilité menées par GRT Gaz, le principal gestionnaire du réseau français, pour installer deux terminaux méthaniers supplémentaires dans la région du Havre d’ici à 2031. Une perspective qui risque d’enfermer la France à long terme dans une dépendance au gaz fossile. Ces projets sont annoncés dans des documents publics, mais très bien cachés sur leur site, et donc les élus du territoire concerné n’en ont jamais entendu parler.
Comment TotalÉnergies a-t-il œuvré pour que ce premier projet de terminal méthanier voie le jour ?
Le lobbying s’est manifesté jusqu’au plus haut sommet de l’État. Des réunions ont été organisées à la demande de TotalÉnergies avec les services du ministère de la Transition écologique, les services du Premier ministre et le cabinet du président de la République. D’après le registre des actions de lobbying de la HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique), TotalÉnergies et ses partenaires du projet, GRTgaz, la filiale d’Engie chargée du transport du gaz en France, et Haropa Port, l’établissement public qui administre le port du Havre, se sont coordonnés pour multiplier les réunions avec le gouvernement afin d’encourager « la simplification des procédures pour accélérer la mise en production d’un terminal méthanier flottant au Havre compte tenu de la gravité de la crise énergétique ».
Une démarche qui a porté ses fruits puisque quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle en avril 2022, Jean Castex a missionné cinq hauts fonctionnaires pour accélérer les procédures réglementaires vis-à-vis de l’environnement sur les grands projets industriels en France, dont celui du méthanier du Havre. Je ne peux pas affirmer que ce projet de loi est un copier-coller des éléments de langage de TotalÉnergies, mais c’est intéressant de voir à quel point le gouvernement a repris à son compte l’idée d’une menace pour la sécurité énergétique de la France. Maintenant, début 2023, on parle même de menace pour l’approvisionnement de l’Europe. Comme si le gouvernement cherchait de nouveaux arguments pour justifier à tout prix ce projet d’importation de gaz fossiles.
Qu’avez-vous découvert concernant le risque industriel du site du terminal du Havre ?
Contrairement à toutes les autres usines de la zone industrielle du Havre, il y a une opacité totale sur les risques industriels et d’accidents du projet de TotalÉnergies. L’État n’a pas organisé d’enquête publique sur le sujet, ni de débat public local. Il n’y a absolument aucune information pour le public alors que ce bateau-usine devrait être dans le port du Havre dès cet été. Même l’association France nature environnement Normandie, qui a demandé à la préfecture d’obtenir l’étude de danger qui synthétise les risques accidentels du projet, n’a pas reçu de réponse de la préfecture de Seine-Maritime.
Trois recours ont été déposés au total, et seront donc examinés en audience publique le 6 juillet au tribunal administratif de Rouen. Le tribunal administratif pourrait tout à fait entendre les arguments des associations, qui ont constitué plusieurs dizaines de pages de mémoire pour faire reconnaître le statut d’installation classée pour la protection de l’environnement sur ce projet. Si le tribunal administratif déclare que l’État a commis une erreur de droit sur ce projet, cela pourrait au moins retarder sa mise en service.