Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

EnquêteSéries d’été

Comment partager la nature avec ses jeunes enfants

Toucher, regarder, jouer, expérimenter… Avant même leurs trois ans, les enfants peuvent s’épanouir de multiples façons dans la nature. Et participer aux activités de plein air de leurs parents.

Vous lisez le second volet de notre série « Nature et aventure font grandir les enfants ». Retrouvez tous les articles ici.



Avant, on était ornithologue amateur, jardinier passionné, randonneur infatigable. Puis un être minuscule déboule et nous voilà parents. Comment partager avec son petit de moins de trois ans son plaisir d’être en pleine nature ? Quelles activités lui proposer et comment l’intégrer aux siennes ? Reporterre a posé la question à des professionnelles de la petite enfance éprises de grand air.


  • L’herbe, l’eau, la terre… prendre le temps de l’éveil sensoriel

Par où commencer ? Tout simplement par s’asseoir dans l’herbe avec son bébé. « Pour un bébé de moins d’un an, c’est une activité en soi de sentir l’herbe sous soi, le sable sous sa main », dit Suzie Houdelet, directrice d’une micro-crèche en plein air Plantine.

Gillian Cante, qui rédige une thèse sur le jeu libre et sensoriel dans la nature et a fondé la crèche parentale Giving Tree à Strasbourg, propose d’accompagner ce moment de découverte en parlant à son tout petit, en lui montrant les nuages qui passent, les insectes, les feuillages, en lui expliquant ce qu’il ressent. Voire de le caresser avec des feuilles, des brindilles, en l’interrogeant : est-ce que c’est doux, est-ce que ça chatouille ?

Pour les plus grands, retirer ses chaussures peut être une expérience très intéressante. « On peut marcher sur l’herbe, dans l’eau, sur la terre, les copeaux de bois », dit Claire Grolleau, présidente de Label Vie, qui a créé le label « écolo crèche ». Les plus téméraires pourront tester l’expérience avec les yeux bandés, « une petite mise en scène qui permet à l’enfant de se concentrer sur une partie de son corps ».

Entrer en contact avec les différentes surfaces et matières des milieux naturels participe à l’éveil sensoriel. Andre Taissin / Unsplash

Jennifer Charbonneau, éducatrice jeunes enfants et formatrice à l’association Label Vie, se régale en voyant de tout petits doigts de pied se recroqueviller dans le sable, lors de la première sortie à la plage. « C’est un réflexe de surprise du corps confronté à une texture qu’il ne connaît pas. Au parent de parler pour accompagner ces sensations nouvelles. » Elles imprégneront pour longtemps leur palette de goûts et dégoûts.

« On voit des enfants arriver qui ne veulent rien toucher de ce qui colle aux mains ou aux pieds. Ils font une crise au moindre grain de sable collé. Ils n’ont pas eu l’occasion d’être en contact avec des matières naturelles », regrette Claire Grolleau.


  • Attraper, patouiller, transvaser… le grand jeu de la manipulation

Terre, argile, sable, cailloux, bois, herbe, eau… Les possibilités sont quasi illimitées. Aux plus petits, de un à deux ans, on laissera bâtons et feuilles à disposition en leur proposant éventuellement de faire de petites brochettes. Puis, progressivement, on pourra introduire des ustensiles : gobelet, petits contenants, cuillère.

« Remplir, vider, transvaser, fermer, recommencer »

« Les enfants vont remplir, vider, transvaser, fermer, recommencer. Cela peut les occuper toute la journée », indique Suzie Houdelet. Les plus âgés, déjà friands de jeux d’imitation, adoreront faire semblant de cuisiner des soupes en mélangeant des feuilles, des glands et autres trouvailles dans un fond d’eau.


  • Observer, écouter… premières expériences naturalistes

Pas besoin d’investir dans un safari au Kenya. Cécile Couderc, cofondatrice de Plantine, se contente de retourner un caillou pour découvrir les fourmis, vers de terre et autres petites bêtes cachées dessous. Gillian Cante agrémente ce petit jeu en dessinant un cercle de son pouce et son index, pour aider l’enfant à focaliser son attention.

Plus sophistiquée mais toujours low tech, Claire Grolleau n’oublie jamais son rouleau (vide) de papier toilette ou d’essuie-tout quand elle emmène des tout-petits en forêt. « On regarde à travers. Ça ne grossit rien du tout mais ça aide à se concentrer, ce n’est pas fragile et c’est très amusant ! »

Mais le nec plus ultra reste la loupe, un objet « extraordinaire » pour les plus jeunes. Pour cette activité, que les adultes n’hésitent pas à se mettre à hauteur de leur enfant, aussi bien physiquement que mentalement. « On a pris l’habitude de réfléchir, d’analyser. C’est intéressant de se laisser porter par la première découverte de son enfant. »

« Les enfants ont une acuité auditive surprenante »

La présidente de Label Vie invite aussi à écouter les bruits de la nature — l’eau, le vent dans les feuilles, le bourdonnement des insectes. Pour pimenter le jeu, on peut s’asseoir, fermer les yeux et ouvrir la bouche « pour libérer les canaux auditifs et amplifier sa capacité d’écoute ».

« C’est une posture un peu théâtrale et très amusante. Les enfants ont une acuité auditive surprenante », observe-t-elle. Vous êtes un peu ornithologue ? N’hésitez pas à attirer l’attention de votre bébé sur le bruit du pivert ou le roucoulement de la tourterelle ou du pigeon. « Un enfant a une grosse mémoire de ces choses-là. Il va l’enregistrer pour la vie. »


  • Ramasser, disposer, ramener… collectionneur et artiste de nature

Khadija Herhar, directrice de la crèche municipale en plein air Saint-Maurice à Lyon, les appelle les « trésors de la nature » : tous ces feuillages, pommes de pin, marrons, plumes… que les tout-petits adorent ramasser lors de leurs explorations. « Votre enfant pourra ensuite les mettre en scène ou les garder précieusement », explique-t-elle.

Première possibilité, le land art. « Les plus petits peuvent faire des dessins avec des cailloux. Les plus grands, une œuvre d’art éphémère : un bonhomme de rien du tout, un semblant de maison, ou tout simplement un tas », dit Claire Grolleau. Pour les parents qui se sentent une fibre plus artistique que naturaliste, cette activité peut permettre de partager de bons moments de plein air avec son enfant.

Les enfants deviennent rapidement friands de petits trésors collectés dans les forêts. Ksenia Makagonova / Unsplash

À partir de deux ans, de nombreux enfants adorent collectionner les objets. « On ramasse les cailloux, on les garde dans ses poches, ça fait des souvenirs », explique Claire Grolleau. Les mieux équipés pourront prévoir une petite boîte ou un petit pochon de tissu. Les plus ambitieux emmèneront carrément un petit bloc d’argile humide.

« C’est assez facile à trouver dans le commerce et on peut l’utiliser pour faire des empreintes de feuille ou de branche et les garder en souvenir sans abîmer le végétal. Les enfants aiment beaucoup faire ça », dit la présidente de Label Vie. Pour les plantes les plus communes, on peut tout simplement ramener les feuilles chez soi et les utiliser pour des collages.


  • Remplir son arrosoir de cailloux : les vertus du jeu libre

Et si l’activité nature la plus élaborée pour les 0-3 ans était tout simplement… l’absence d’activité ? C’est l’approche que défend Khadija Herhar : « Nous privilégions beaucoup le jeu libre et en particulier le jeu exploratoire. Il n’est pas nécessaire de chercher à occuper l’enfant en permanence. Il est important de le laisser se saisir seul de la découverte des éléments naturels pour favoriser son imaginaire et son autonomie, tout en l’accompagnant dans ses expériences. »

Jennifer Charbonneau est sur la même ligne, même si elle reconnaît que la pratique du jeu libre demande un peu d’entraînement : « L’activité est rassurante car elle a un objectif prédéfini. Se poser à un endroit où on n’a pas l’habitude d’être, ça peut ramener du vide, être déstabilisant pour les parents et même les enfants les plus âgés qui ont été habitués à ce qu’on leur propose toujours des choses à faire. »

Apprécier la lenteur du monde

Mais très vite, l’imagination prend le dessus et l’enfant se lance dans la cueillette de fleurs… ou remplit son arrosoir de cailloux trouvés en chemin.

Surtout, le jeu libre peut aider les parents les plus perfectionnistes à lâcher un peu la pression. « Notre société encourage l’hyperactivité. Il faut que les enfants soient toujours occupés, qu’ils consomment, qu’ils apprennent en permanence, regrette Gillian Cante. Pour les parents, le premier exercice, c’est de poser le téléphone, s’enlever cette pression et apprécier la lenteur du monde. »


  • Participer, s’émerveiller, se détendre… et l’adulte dans tout ça ?

Soyons clairs : on ne transmet rien de positif en s’ennuyant ferme. « Entre zéro et trois ans, l’intention de l’adulte décuple le jeu de l’enfant, insiste Suzie Houdelet. Il faut que l’adulte arrive à s’émerveiller en voyant son enfant s’émerveiller devant un escargot, ou en retournant un caillou. »

C’est cette fraîcheur, cet enthousiasme que Cécile Couderc encourage à cultiver dans son rapport quotidien à la nature : « Pas besoin d’activités extraordinaires ou d’arbres centenaires pour vivre des choses chouettes. Ça peut être tout simplement aller chercher des escargots après la pluie ou arroser le potager pieds nus le soir. »

C’est pour cette raison que Claire Grolleau encourage « à 2 000 % » le fait de partager ses activités de plein air préférées avec son tout petit. On peut prendre en portage son tout petit bébé. S’il marche déjà, il peut participer.

Partager ses activités avec les jeunes enfants et les y faire participer décuple leur intérêt. Sandra Seitamaa / Unsplash

Vous adorez votre potager ? « Quand vous êtes en train de biner, vous pouvez demander à votre enfant de casser les mottes. Vous serez surpris de le voir s’exécuter et sans s’arrêter ! » s’amuse la présidente de Label Vie.

On peut aussi lui proposer de remplir les pots pour les semis et de faire les trous pour les graines avec son doigt. Voire lui confier une petite parcelle où il pourra grattouiller en toute liberté, éventuellement avec une petite pelle à main et un petit arrosoir. « Les moins de trois ans apprennent beaucoup par imitation. Il se sentira le roi du jardin ! »

« Le tout-petit en portage va sentir le plaisir que vous éprouvez à être dehors »

Ceux qui préfèrent la randonnée peuvent aussi partager leur passion. « Le tout-petit en portage va sentir le plaisir que vous éprouvez à être dehors, va sentir le soleil sur sa peau, voir les feuilles bouger au gré du vent. C’est très précieux », assure Claire Grolleau.

Pour les plus grands, la présidente de Label Vie a plusieurs astuces pour les encourager à marcher : chercher la prochaine balise — trait jaune ou trait rouge et blanc ? —, chercher un ingrédient précis — caillou en forme de cœur, gland — pour la soupe qu’on va préparer à l’écureuil ou au hérisson.

« Il faut rendre la sortie ludique. Les parents sont stupéfaits de voir à quel point leur enfant de grande section de crèche est capable de marcher sur de longues distances. Même s’il faut des temps de pause ! »

Marine Pépin, animatrice nature et fondatrice de la structure d’accompagnement et d’éducation à l’environnement Culture Biome, emmène toujours avec elle des petits livres sur la nature pour occuper les tout-petits.

« J’ai aussi des petites figurines des espèces qu’on peut trouver dans le milieu. C’est sympa d’observer les animaux en vrai puis de les manipuler sous forme de jouets ! Même s’ils trouvent parfois des usages inattendus, comme celui de petites pelles », dit-elle.


  • Ne pas arracher, ne pas écraser… Les prémisses d’une conscience écolo

L’idée n’est pas de faire de l’embrigadement (quoique). Mais ces expériences de nature sont l’occasion de premiers échanges sur le vivant. Si l’enfant écrabouille une coccinelle, « on peut dire à l’enfant qu’il ne pourra plus la regarder s’envoler, voir où elle va ou ce qu’elle mange. Ce sont des notions que les petits peuvent entendre, même s’ils ne parlent pas », assure Marine Pépin.

Si le petit veut garder le souvenir d’une fleur croisée en chemin, on peut l’observer et la prendre en photo plutôt que la cueillir. « Planter une petite graine à la maison et observer le temps qu’elle met à pousser peut aider l’enfant à prendre conscience de la nécessité de prendre soin des plantes », poursuit l’éducatrice nature.

Ces sorties sont aussi l’occasion de déconstruire certaines représentations, transmises très tôt aux enfants. Lors d’une visite en crèche où elle montrait des figurines d’insectes, Jennifer Charbonneau s’est aperçue que les petits l’alertaient sur le fait que la fourmi piquait.

« De nombreux enfants ne connaissaient la fourmi qu’à travers la comptine »

« En discutant avec les professionnelles, on a réalisé que de nombreux enfants ne connaissaient la fourmi qu’à travers la comptine La fourmi m’a piqué la main. Ça fait réfléchir ! Il ne s’agit pas de remasteriser des comptines qui ont d’autres intérêts par ailleurs, mais de proposer d’autres représentations plus positives. »

Et d’ouvrir les yeux sur ses propres peurs : lors de ses formations, Jennifer Charbonneau demande aux professionnels de la petite enfance de faire des recherches sur les insectes volants, pour mettre à bas certaines idées reçues.

Tout cela suffira-t-il à élever une génération d’écologistes ? Pas de certitude, mais une conviction : « On considère qu’en reconnectant les enfants à la nature dès leur plus jeune âge, ils vont davantage l’aimer et en prendre soin, dit Cécile Couderc. Et peut-être devenir, demain, des citoyens plus engagés. »

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende