Tiques et maladie de Lyme : pas de panique !

Les tiques sont devenues la bête noire des randonneurs. - © Camille Jacquelot / Reporterre
Les tiques sont devenues la bête noire des randonneurs. - © Camille Jacquelot / Reporterre
Durée de lecture : 8 minutes
AnimauxQui ne s’est pas déjà fait piquer par une tique lors d’une balade ? Ce mystérieux suceur de sang enquiquine bien des promeneurs. Si la prudence est primordiale, les experts interrogés relativisent le risque.
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Elles mesurent quelques millimètres à peine, et pourtant, les tiques sont devenues la bête noire des randonneurs. « J’ai déjà été piquée plusieurs fois, nous écrivait une lectrice au mois de juillet. Malgré les chaussettes, le pantalon, les manches longues, la casquette. Elles m’empêchent d’ailleurs de trop randonner en forêt aujourd’hui. Ça me stresse. J’ai trop peur de la maladie de Lyme. » Ces acariens, suceurs de sang, véhiculent en effet la borréliose de Lyme, maladie bactérienne, mais également des virus, comme l’encéphalite à tiques, ou bien des parasites.
Comment les tiques s’accrochent-elles à notre peau ? Elles montent sur une tige ou un arbuste et se mettent à l’affût. Elles attendent, leurs deux pattes de devant tendues. À l’extrémité de celles-ci, se situe l’organe de Haller, qui leur permet de ressentir les vibrations, les émissions de CO₂ et les odeurs de leur proie. La tique se laisse alors tomber sur cette dernière à son passage.
« Contrairement à une idée reçue, les tiques ne tombent pas des arbres, précise Sara Moutailler, directrice de l’Unité mixte de recherche Biologie et immunologie parasitaires à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Elles peuvent grimper sur un arbuste plus ou moins haut et se retrouver à hauteur de nos épaules, mais jamais dans un arbre. » Ensuite, elles vont choisir un endroit pour se fixer sur notre peau. Et ce peut être n’importe où. Une lectrice témoigne avoir déjà trouvé une tique… dans ses cils !
« Les causes de son expansion sont multifactorielles »
Faut-il alors renoncer à se balader en forêt ? « Non, répond la spécialiste. Ce qui est important, c’est d’être conscient du risque. » Et d’avoir les bons réflexes. Certes, les cas de maladie de Lyme sont en hausse ces dernières années. Mais les tiques, elles, ne sont pas forcément plus nombreuses. « C’est plutôt leur aire de répartition qui est en augmentation, poursuit-elle. Ixodes ricinus — de son nom scientifique —, la tique la plus fréquente en Europe, est aussi celle qui véhicule le plus d’agents pathogènes. Or, on constate qu’elle gagne par exemple du terrain en altitude. Avant, on la trouvait jusqu’à 600-800 mètres maximum, désormais, elle est observée jusqu’à 1 500 mètres d’altitude. »

La faute au dérèglement climatique, mais pas seulement. Certes, la hausse des températures modifie la zone de répartition des animaux sur lesquels la tique se nourrit, comme les rongeurs, les ongulés, les oiseaux… Mais la sécheresse et les canicules sont plutôt préjudiciables au minuscule vampire qui aime l’humidité du sol, nécessaire à sa réhydratation. « Les causes de l’expansion des tiques sont multifactorielles », insiste Nathalie Boulanger, entomologiste médicale à l’Université de Strasbourg, qui travaille sur ce sujet depuis vingt ans.
Celle-ci pointe d’abord la modification des paysages et des pratiques de sylviculture. « Avant les années 1970, on utilisait massivement le DDT, un puissant pesticide, pour lutter contre le scolyte des arbres (un insecte qui s’attaque notamment aux épicéas). Les populations de tiques étaient probablement touchées. On avait aussi recours aux herbicides pour « nettoyer » la forêt. Et on utilisait tout le bois des arbres coupés, rappelle-t-elle. Aujourd’hui, on laisse plus de bois au sol pour des raisons de biodiversité, mais aussi pour des raisons économiques. Cela crée des zones plus propices aux rongeurs, hôtes importants des tiques. »
Une étude menée en Lorraine a également révélé les conséquences de l’agrainage [1] pratiqué par les chasseurs. « Nous avons constaté qu’il y avait dix fois plus de tiques dans les zones forestières avec agrainage », dit Nathalie Boulanger. Autrement dit, plus il y a d’animaux sauvages, plus il y a de tiques et de risques de piqûres. Sur le même principe, une année abondante en nourriture pour les rongeurs peut également signifier une hausse des tiques dans les mois qui suivent, constate Jonas Durand, chercheur à l’Inrae et ingénieur en charge du programme scientifique participatif Citique. Une étude en Suisse a ainsi montré qu’une forte production de faînes (fruits du hêtre) pouvait expliquer la forte densité de nymphes Ixodes ricinus infectées par la bactérie Borrelia burgdorferi sensu lato deux ans plus tard.
80 à 90 % des tiques ne sont pas infectées
Les jardins privés ne sont pas épargnés. « Si votre jardin accueille pas mal d’oiseaux, des hérissons ou que des chevreuils y passent, s’il n’est pas très entretenu et qu’il contient des herbes hautes, vous pouvez attraper des tiques », prévient Sara Moutailler. Une étude, baptisée Tiquojardin, est d’ailleurs en cours dans la région de Nancy, afin d’évaluer et comprendre le phénomène.
Pour autant, pas de panique ! Les spécialistes des tiques relativisent le risque. Nathalie Boulanger rappelle que la maladie de Lyme ne tue pas : « Cette pathologie se traite bien grâce aux antibiotiques, si elle est prise en charge de façon précoce. » La plupart du temps, l’érythème migrant [2] qui apparaît dans les trente jours suivant la piqûre permet d’être alerté et de réagir assez vite. La seule difficulté concerne les personnes qui ne passent pas par ce stade précoce et dont on ne découvre la maladie que tardivement alors qu’il y a déjà des atteintes neurologiques. « 80 à 90 % des tiques — un chiffre qui varie selon les régions — sont saines, c’est-à-dire sont exemptes d’agents pathogènes », souligne Sara Moutailler de l’Anses.
Quant à Jonas Durand, il explique que « si une tique est infectée, elle ne va pas forcément transmettre la bactérie Borrelia ». Cela va dépendre de nombreux facteurs : de l’espèce et de la souche de Borrelia car toutes ne sont pas forcément infectieuses pour l’être humain ; du système immunitaire de la personne piquée ; de la durée du repas sanguin de la tique. « Il faut un certain temps pour que la tique transmette la bactérie, qui varie selon les souches. C’est pourquoi on dit qu’il faut retirer la tique le plus vite possible », précise le chercheur.
En revanche, si la tique est contaminée par un virus (comme l’encéphalite à tiques), ce dernier sera transmis dès la piqûre. « Heureusement, la souche d’encéphalite présente en France comme dans toute l’Europe de l’Ouest n’est pas la plus virulente », rassure Sara Moutailler. Selon le tout premier bilan de Santé publique France publié début juillet, soixante-et-une personnes ont contracté l’encéphalite à tiques (maladie à déclaration obligatoire) en France sur la période 2021-2023. L’Alsace et la Haute-Savoie sont les deux régions les plus touchées.
Le mystère des « peaux à tiques »
Une étude menée auprès de forestiers de l’Office national des forêts (ONF) qui procédaient au martelage d’arbres a permis de montrer que certains gardes attiraient plus les tiques que d’autres. Il existerait donc des personnes avec des « peaux à tiques » ? Un mystère que Nathalie Boulanger aimerait éclaircir lors d’une prochaine étude. « Sans doute est-ce le même mécanisme que pour les moustiques. Des études ont montré que les moustiques étaient plus attirés par certains microbiotes cutanés. Reste à le prouver pour les tiques. »

Peaux à tiques ou pas, le risque zéro n’existe pas. D’où l’importance de prendre quelques précautions assez simples lors d’une randonnée en forêt ou un passage dans une zone avec des herbes hautes, en particulier au printemps et à l’automne, saisons où les tiques sont les plus actives. Par exemple, porter des chaussures ainsi que des vêtements couvrants et clairs pour mieux les repérer, voire utiliser un répulsif si la zone est particulièrement à risques.
Après la balade, Sara Moutailler conseille de se doucher sans gants afin de repérer avec ses mains toute aspérité inconnue. Il faut aussi surveiller le lendemain « car parfois on peut ne pas voir une tique qui est trop petite (les larves font moins d’un millimètre) », précise Jonas Durand. Dernier conseil : si vous êtes piqué, utilisez un tire-tique adapté à la taille de l’acarien qui permet de l’enlever tout entier en le « dévissant » (c’est-à dire enlever la tête accrochée à la peau). Cette technique évite la régurgitation de la tique et donc la contamination. Si vous avez le moindre doute, consultez votre médecin ou bien le Centre de référence des maladies vectorielles le plus près de chez vous. « Les tiques font partie de l’écosystème et seront toujours là, conclut Jonas Durand. Il faut apprendre à vivre avec le risque, mais à le contrôler et le diminuer au maximum quand on peut. »