Face au moustique tigre, les scientifiques contre-attaquent

Il n’existe actuellement pas de solution miracle pour réguler le nombre de moustiques tigres, mais des pistes sont étudiées. - © Camille Jacquelot / Reporterre
Il n’existe actuellement pas de solution miracle pour réguler le nombre de moustiques tigres, mais des pistes sont étudiées. - © Camille Jacquelot / Reporterre
Durée de lecture : 6 minutes
Le moustique tigre a envahi nos villes. Pour contrer cet insecte, vecteur de maladies, les scientifiques planchent sur plusieurs pistes, dont sa stérilisation massive.
Vous lisez la première partie de notre série « Insectes “nuisibles” : comment cohabiter ». Pour ne pas rater les prochaines, abonnez-vous à notre infolettre.
Il est devenu l’ennemi public n°1 de nos étés. « C’est une invasion infernale, qui rend toute sortie pénible », témoigne Jérôme depuis Ascain, dans les Pyrénées-Atlantiques. « On ne mange plus dehors et lorsque je dois aller au jardin, j’y vais avec veste, pantalon et chaussettes », renchérit Mary, dans le sud-ouest. Cet indésirable qui gâche nos soirées mesure moins d’un demi-centimètre, et s’habille de rayures blanches et noires : le moustique tigre (Aedes albopictus).
Originaire des forêts tropicales d’Asie, cette bestiole s’est désormais très bien adaptée à nos milieux urbanisés. Alors que les moustiques piquent toute sorte d’êtres vivants, celui-ci « a développé une préférence très marquée pour l’humain, souligne Frédéric Simard, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Il pond ses œufs dans de petites quantités d’eau, comme des coupelles de pots de fleurs ou des évacuations d’eau pluviale ». Bref, il est à l’aise en ville.
Résultat, il a progressivement envahi l’ensemble de la planète — exception faite de l’Antarctique. « Cette expansion, liée principalement au commerce international, lui vaut d’être classé parmi les espèces les plus invasives au monde », précise l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur son site. Les autorités de santé surveillent de très près ce diptère. Et pour cause : il peut transmettre des maladies potentiellement graves.

Chikungunya, Zika, fièvre jaune. En 2022, 378 cas de dengue ont été rapportés en France métropolitaine, dont 66 autochtones (contractés sur le territoire hexagonal), selon une étude publiée par l’agence sanitaire le 11 juillet. « Une situation inédite », selon le virologiste Yannick Simonin, qui est amenée à se répéter : « La hausse des températures associée à la multiplication des épisodes pluvieux intenses est favorable au développement des moustiques tigres et du virus de la dengue, expliquait-il à Reporterre. Autrement dit, le risque de transmission de la dengue est augmenté par le changement climatique. »
Rendre la ville moins attractive
Au vu des risques, beaucoup estiment que la cohabitation avec Aedes albopictus est impossible. « C’est une menace sanitaire et c’est un parasite », tranche Frédéric Simard. Si la plupart des 3 500 espèces de moustiques participent à la pollinisation des plantes, nourrissent des populations d’oiseaux ou permettent de réguler certaines espèces, « le tigre ne sert à rien », dit encore le chercheur [1].
Problème, il n’existe actuellement pas de solution miracle pour réguler cet importun. « Il n’est plus question aujourd’hui d’utiliser des produits chimiques à grande échelle, au vu de leurs conséquences sur les écosystèmes », rappelle notre spécialiste. Désormais, les autorités sanitaires ne dégainent le pulvérisateur qu’en cas de circulation probable ou avérée des virus de la dengue ou du chikungunya. Des agents se rendent alors au domicile des personnes infectées et aspergent des insecticides sur la végétation alentour.

Chercheurs et ingénieurs planchent donc tous azimuts sur des parades antimoustiques. Les biotechnologies — en particulier le forçage génétique —, qui conduisent à produire des insectes modifiés, ne font pas l’unanimité. Et de toute façon, « à ce stade, c’est de la science-fiction », rappelle Frédéric Simard.
Piste plus consensuelle, étudier l’impact de la végétalisation et de l’architecture sur la prolifération du tigre. À Murviel-lès-Montpellier, des scientifiques passent murs, bosquets et buissons au peigne fin, afin de traquer la bestiole. « Le moustique pique surtout le matin et le soir, on veut donc comprendre où il se cache entre 10 et 16 heures, précise M. Simard, qui pilote le projet. Il est possible qu’il préfère se reposer dans certains endroits, peut-être sur certaines essences végétales… » Le but, in fine, étant de rendre la ville moins attractive pour le diptère.
La « technique de l’insecte stérile »
La voie la plus prometteuse vise à « lutter contre le moustique par le moustique », souligne l’expert. La « technique de l’insecte stérile » consiste à élever en masse des mâles, rendus stériles par une exposition aux rayons X. « Ils sont ensuite relâchés dans un lieu donné, où ils vont chercher des femelles », précise-t-il. Or ces dernières ne s’accouplent qu’une seule fois dans leur courte existence. Elles stockent le sperme et pondent ensuite une dizaine de fois. Plus d’un millier d’œufs au total… tous inféconds. Précision importante : chez les moustiques, seule la dame pique, il n’y a donc pas de risque à relâcher des milliers de mâles dans les airs.
À La Réunion, dans un quartier de 20 hectares, entre 150 000 et 250 000 moustiques stériles ont été lâchés chaque semaine pendant un an. Résultat, le taux de natalité d’Aedes albopictus a chuté de 50 à 60 %. « Ça marche, mais il faut maintenant passer du labo au terrain, de la recherche au développement », tempère Frédéric Simard. La technique demeure en effet coûteuse, au regard de son efficacité — il a tout de même fallu élever, stériliser et lâcher plus de 10 millions d’insectes dans le quartier réunionnais.
« Peut-être n’y aura-t-il en ville plus que des mâles stériles et inoffensifs »
Elle présente l’avantage d’être sans chimie, de viser uniquement le moustique tigre et « de créer de nouveaux emplois », ajoute le chercheur. Une start-up s’est lancée à Montpellier en vue de développer le process. « Dans quelques années, peut-être n’y aura-t-il en ville plus que des mâles stériles et inoffensifs », imagine-t-il encore.
En attendant, nous devrons nous contenter de bonnes vieilles tactiques. « Il faut à la fois éviter de faire pulluler le moustique, en faisant la chasse aux sources d’eau, mais il faut aussi éviter de se faire piquer », rappelle-t-il. Car la femelle utilise notre sang pour faire maturer ses œufs avant la ponte : à chaque piqûre, on permet potentiellement l’éclosion de 150 nouveaux indésirables.
Sur la toile, chacun y va de son astuce. À Mayotte, Pierre utilise un ventilateur quand il est en terrasse pour repousser les insectes. Dans la cité phocéenne, Natacha « inspecte chaque recoin du jardin pour éliminer l’eau stagnante » et a installé des moustiquaires sur les fenêtres. Quant aux répulsifs, « ils sont efficaces, même s’il ne faut pas en abuser », prévient notre scientifique. Les pièges à moustiques le laissent en revanche plus dubitatif. Surtout, conclut-il, « il faut tout faire en même temps : si l’on installe des moustiquaires, mais qu’on laisse traîner les coupelles, on n’y arrivera pas ! »