Guêpes : comment les côtoyer sans crainte

Les guêpes ne sont pas des insectes agressifs. - © Camille Jacquelot / Reporterre
Les guêpes ne sont pas des insectes agressifs. - © Camille Jacquelot / Reporterre
Durée de lecture : 7 minutes
Nature AnimauxSon bourdonnement provoque souvent des sueurs froides. Pourtant, la guêpe, indifférente aux êtres humains dans la majorité des cas, est un insecte peu agressif et avec lequel il est possible de cohabiter.
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« Ne bouge surtout pas, tu vas l’énerver ! » Qui ne s’est jamais retrouvé paralysé par une telle injonction, en plein apéro estival, ou terrorisé par le bourdonnement d’une guêpe venue partager son melon frais en terrasse ? Ces jolis insectes zébrés, pourtant, ne méritent pas leur funeste réputation. Les entomologistes sont formels : si l’on prend le temps de les connaître, il n’y a aucune raison d’en avoir peur.
Précisons d’abord ce qu’est une guêpe. Ce terme est en réalité assez imprécis scientifiquement. Il regroupe de multiples branches d’insectes volants, au sein du sous-ordre des apocrites : guêpe à galle, guêpe fouisseuse, frelons… Certaines sont solitaires et vivent dans le sol, d’autres mesurent à peine un dixième de millimètre. En tout, 7 000 espèces d’insectes volants très variés. « Le mot commun rassemble sans doute les insectes qui partagent la spécificité anatomique d’avoir un rétrécissement prononcé entre le thorax et l’abdomen, la fameuse taille de guêpe », dit Éric Darrouzet, maître de conférences à l’université de Tours et spécialiste des insectes sociaux.
Concernant les guêpes qui vous passent le plus communément sous le nez lorsque vous dégustez votre déjeuner, il s’agit généralement de celles du genre Vespula, qui a deux représentantes en France métropolitaine : la guêpe germanique et la guêpe commune. Nous nous focaliserons donc sur cette dernière. Présentation en quatre points pour dépasser vos préjugés.
1 - Elles ne cherchent pas à piquer
Lorsqu’une guêpe s’approche de vous — et de votre table — c’est généralement qu’elle cherche à se nourrir, ou à ramener les nutriments nécessaires à ses congénères : du sucre et des protéines. Obsédée par sa mission, elle se fichera éperdument de votre présence et n’aura aucune envie de vous piquer, à moins qu’elle se retrouve coincée et écrasée. « Elles ne piquent que pour se défendre. L’idée que notre agitation pourrait les exciter et les rendre dangereuses est complètement fausse. J’ai fait une vidéo où je pousse même des frelons du doigt pour les embêter, cela les fait fuir, mais ne les rend pas agressifs. C’est pareil pour les guêpes », assure François Lasserre, vice-président de l’Office pour les insectes et leur environnement et auteur d’ouvrages de vulgarisation sur les insectes.
« Mais ce n’est pas mathématique. Une guêpe n’est pas une machine, mais un être vivant doté de subjectivité, qui a sa propre perception du danger. Elle peut être plus excitée si le temps est orageux, par exemple. Comme pour tout être vivant, il y a une part d’incertitude », souligne Éric Darrouzet.
En revanche, si l’on s’approche trop de leur nid, elles ne resteront pas indifférentes. « Dans une zone de cinq à dix mètres, vous serez surveillé par des ouvrières de la colonie. Si elle vous considère comme un danger, l’une d’entre elle peut vous attaquer pour vous faire fuir et libérer des phéromones d’alarme qui peuvent provoquer l’attaque de dizaines d’individus », prévient l’entomologiste.
2 - Ce sont des êtres sociaux très complexes
Puisque l’on parle du comportement des colonies, soulignons que celles des guêpes peuvent être très peuplées, à l’instar des ruches de leurs cousines les abeilles. « Une colonie de Vespula squamosa, en Floride, peut compter jusqu’à 100 000 individus ! Mais en France, les colonies de guêpes communes regroupent généralement de quelques centaines à 3 000 individus maximum », dit Éric Darrouzet.
Ces colonies ne vivent qu’un an. Contrairement aux abeilles, elles ne passent pas l’hiver, ne stockant pas de miel pour passer cette saison pauvre en nourriture. Tous les individus sont les filles et les fils de la reine, qui pond au printemps. « Les jeunes ouvrières sont souvent les gardiennes du nid, puis lorsqu’elles sont plus vieilles et dégourdies, elles sont envoyées chasser à l’extérieur, essentiellement pour nourrir les larves », explique François Lasserre.

Cette organisation sociale complexe implique des capacités de communication très développées. Celle-ci est principalement chimique : des phéromones spécifiques permettent de reconnaître un individu, de sonner l’alarme, de demander du renfort… « On voit des guêpes converger vers une source de nourriture repérée par l’une d’entre elles, mais on ne sait pas bien comment elles se passent l’information, si elles dansent ou non comme les abeilles par exemple. Les guêpes sont beaucoup moins étudiées que les abeilles, les connaissances sont lacunaires », regrette Éric Darrouzet.
Ces systèmes de communication sont renforcés par des sens aiguisés. Les guêpes ont une vision très efficace pour chasser et captent les odeurs avec leurs antennes. « Elles réagissent aussi à nos mouvements grâce à leurs poils, qui captent les mouvements d’air quand on approche la main », relate François Lasserre. Leur cerveau complexe permet aussi aux guêpes de doter leur colonie d’une certaine mémoire : une interaction négative avec des humains vécue par le passé rendra une colonie plus nerveuse qu’une autre si vous approchez trop du nid.
3 - Elle entretient votre potager
S’il vous fallait encore une raison de ne pas nuire à ces êtres inoffensifs, en voici une plus cyniquement utilitariste : les guêpes sont — comme tous les êtres au sein de leur écosystème — un maillon essentiel de la chaîne alimentaire. Elles jouent un rôle important pour réguler les populations de leurs proies, comme les mouches, qui pulluleraient en l’absence de prédateurs.
« Ce sont des chasseuses très opportunistes : elles peuvent se nourrir aussi de moustiques, d’arachnides, mais aussi de cadavres d’oiseaux et de mammifères, dont elles participent à recycler la matière organique. Elles participent en outre à la pollinisation en récupérant du nectar pour les larves », dit Éric Darrouzet. Inversement, les guêpes constituent une précieuse ressource alimentaire pour leurs prédateurs, certains oiseaux notamment.
« C’est notamment grâce aux guêpes que le fenouil ou les carottes que vous mangez ont été pollinisés. Elles participent aussi à évincer les punaises et les chenilles de vos potagers. Chaque jour, on estime qu’un nid de guêpe tue environ 80 000 proies. Un nid détruit, ce sont des dizaines de milliers de ces insectes en surplus chaque jour », dit François Lasserre.
4 - Une cohabitation est possible
Comment alors, cohabiter sereinement avec ces fascinants insectes ? Peut-on imaginer des mécanismes de « cohabitation diplomatique » entre nos deux espèces, comme le propose le philosophe Baptiste Morizot ?
Si les sens et les voies de communication des guêpes sont très développées, nous n’en connaissons pas suffisamment les rouages pour les utiliser à notre avantage : aucun répulsif efficace n’existe à ce jour. Il est, toutefois, possible de négocier le partage de l’espace. « On peut déposer nos déchets de nourriture ou une offrande à trois mètres de notre pique-nique, elles préféreront cette source où elles ne sont pas dérangées », suggère Éric Darrouzet.
Une cohabitation sereine serait donc envisageable, hors cas particuliers. Les nids, au fond du jardin, peuvent être laissés tranquilles, à moins qu’ils ne soient vraiment sur le lieu de passage fréquent des enfants. De même, la piqûre générée par le dard d’une guêpe reste dans une majorité des cas bénigne, sauf pour les personnes allergiques. « Si vous préférez être tranquille, vous pouvez capturer une guêpe sous votre verre et la libérer une fois que toute la nourriture aura disparu, elle partira calmement », dit François Lasserre.
Sans oublier, à long terme, d’adapter nos activités afin de préserver l’espèce. Sous nos latitudes, plus de trois quarts des insectes auraient disparu en trente ans à cause, entre autres, des pesticides et de la destruction de leurs habitats. « S’il y a de moins en moins d’insectes, il est normal que les guêpes (qui s’en nourrissent) soient de plus en plus dans nos assiettes », observe François Lasserre. Une raison de plus pour partager de bon cœur votre melon lors d’un repas à l’extérieur.