« Coûteuse, inutile »… Le mauvais procès de la rénovation énergétique

Rénovation d'un appartement à Toulouse. - © Grégoire Souchay / Reporterre
Rénovation d'un appartement à Toulouse. - © Grégoire Souchay / Reporterre
Durée de lecture : 6 minutes
Habitat et urbanisme Énergie ClimatLa rénovation énergétique des logements, cruciale pour la transition écologique, subit un retour de bâton médiatique. Ces critiques s’appuient sur des études datées et mal résumées.
La petite musique monte dans le débat public : finalement, la rénovation énergétique est-elle vraiment efficace ? Fait-elle baisser la facture et diminuer les émissions de gaz à effet de serre ? Une nouvelle marotte, issue de la presse conservatrice, et qui se répand dans le débat public : la rénovation énergétique serait « chère », « inutile » affirme l’éditorialiste Patrick Cohen à la télévision.
Le secteur du logement fait face à son tour à ce qu’ont connu les énergies renouvelables, la voiture électrique, l’agriculture bio : en prenant le prétexte d’un problème de politique publique mal calibrée, des adversaires de la transition écologique remettent en cause l’utilité de cette politique.
Des études datées et limitées
Le sujet trouve un écho particulier alors que les associations de bailleurs militent depuis des mois contre l’interdiction — pourtant timide et limitée — de la location de certaines passoires thermiques entrée en vigueur au 1ᵉʳ janvier 2023.
Que disent les fameuses études ? La dernière date de janvier 2023, dans la revue Energy Economics. Réalisée en Angleterre et au Pays de Galles, sur la période 2005-2017 et sur 55 000 foyers, elle viendrait prouver que les bénéfices d’une rénovation énergétique par l’isolation des murs ou du sol ne durent pas plus de quelques années. Ils seraient même inexistants pour les ménages modestes. Parmi les raisons avancées : « L’écart de performance énergétique, l’effet rebond et/ou des projets de construction et de rénovation résidentielles. »
Une étude en fait déjà datée — elle s’arrête en 2017 — et surtout aux résultats très limités. Comme l’expliquait le Haut Conseil pour le climat en 2020 dans son rapport Rénover mieux : leçons d’Europe, la politique britannique en matière de rénovation a longtemps fonctionné sur la base d’obligations envers les fournisseurs d’énergie. Ceux-ci choisissaient eux-mêmes les travaux qu’ils voulaient financer, en fonction de leur intérêt premier : la diminution rapide des émissions de gaz à effet de serre. Les besoins d’économie de facture ou de gain de confort pour les occupants passaient donc au second plan.

Si on ajoute à cela le goût répandu des propriétaires britanniques pour étendre la surface de leur logement en construisant des vérandas — rarement performantes énergétiquement —, difficiles d’observer des effets positifs.
« Avec une approche morcelée et sans l’associer à des actions de sobriété, ilest normal de ne pas obtenir les résultats estimés », dit Danyel Dubreuil, coordinateur de l’initiative Rénovons, qui réunit 40 associations mobilisées contre la précarité énergétique. « Personne ne découvre l’effet rebond, l’absence de résultats en l’absence de gestes coordonnés. Mais ça tombe à un bon moment pour décrédibiliser la rénovation », considère-t-il.
« La France a toujours refusé une évaluation des consommations réelles après travaux »
En 2021 déjà, une étude allemande avait fait les gros titres avec des conclusions similaires, avant que des spécialistes, comme Andreas Rüdinger, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), ne mette en lumière que cette étude, commandée par une fédération des bailleurs immobiliers, posait de nombreux problèmes méthodologiques.
À Reporterre, il explique que « pour mesurer les bénéfices d’une action de rénovation, on reste sur des calculs théoriques, sur la base de modélisations. La France a toujours refusé de mettre en place une évaluation obligatoire des consommations réelles après travaux. » Dès lors, c’est le modèle le plus simple, le changement du mode de chauffage qui se trouve automatiquement favorisé, au détriment des rénovations globales.
Effet de communication
« Dans les statistiques, cela permet de faire valoir une baisse à court terme des émissions de gaz à effet de serre, moyennant un soutien à certaines filières économiques », relève Danyel Dubreuil. Mais passé l’effet de communication, les effets concrets sur la facture seront très minces.
« Ce que nous faisons actuellement en France, c’est décarboner du chauffage dans les bâtiments privés, mais ce n’est pas ça une politique de rénovation ! » Surtout que les incitations actuelles risquent d’avoir des effets contreproductifs : « Pour un ménage modeste, acheter une pompe à chaleur, même subventionnée, ne va rien changer si le logement est une passoire thermique », dit Dany Dubreuil. Et la hausse des prix de l’électricité pourrait même aggraver la situation, surtout quand le secteur compte encore de trop nombreux arnaqueurs profitant des aides publiques.

Selon les chiffres de l’Agence nationale de l’habitat, sur les près de 700 000 dossiers d’aide à la rénovation, à peine 65 000 concernent des rénovations globales et moins de la moitié des rénovations globales et atteignant l’objectif basse consommation (étiquette A ou B).
Or, pour Andreas Rüdinger, c’est cela qui serait nécessaire et efficace : « Un plan Marshall de la rénovation performante, en commençant par les passoires thermiques habitées par des ménages modestes et chauffées au fioul, voilà qui cocherait toutes les cases. » L’étude qualitative Perf in mind, réalisée en 2021, apporte une conclusion claire sur l’efficacité d’une telle politique.
Tripler l’effort budgétaire
Sur un échantillon certes réduit de 106 logements rénovés en qualité BBC, avec plus de six types de travaux réalisés d’un coup, la rénovation performante tient ses promesses de division par 4 à 8 fois de la consommation énergétique et de baisse drastique des émissions de CO₂. Et si certains occupants surchauffent un peu leur logis pour améliorer leur confort, l’effet est minime puisque le logement requiert très peu d’énergie.
Mais selon toutes les évaluations, cette politique exigerait de doubler voire tripler l’effort budgétaire, de former beaucoup plus de professionnels quand aujourd’hui à peine une centaine sont labellisés pour des rénovations globales.
Ces milliards ont pourtant été déjà dépensés dans le bouclier tarifaire qui a subventionné pendant deux ans l’inflation des coûts de l’énergie sans agir profondément sur les besoins énergétiques des logements. Des « trains d’argent que le secteur de la rénovation voit passer devant ses yeux », déplore Danyel Dubreuil et qui ne sera bientôt plus disponible à l’heure où la Cour des comptes sonne le rappel à l’ordre de l’austérité budgétaire.