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TribuneClimat

Laissons les forêts s’adapter, arrêtons de planter des essences exotiques

« Ne mésestimons pas la capacité des forêts à s’adapter », assure l’auteur de cette tribune. Plutôt que de se lancer dans des expérimentations à grande échelle d’introduction d’essences exotiques, souvent en monoculture, mieux vaut privilégier les forêts naturelles provenant de peuplements diversifiés.

Philippe Falbet est chargé de mission à l’Observatoire des forêts des Pyrénées centrales. Il est représentant de France Nature Environnement Midi-Pyrénées à la Commission régionale forêt-bois d’Occitanie, auteur du site Vieilles forêts et membre fondateur du fonds de dotation Forêts préservées.


Tous les scénarios du Giec prévoient une augmentation des concentrations de CO2, accompagnée d’une élévation radicale de la température moyenne au cours du XXIe siècle. Par voie de conséquence, nombre de rapports scientifiques laissent supposer des changements radicaux dans la répartition des essences forestières et la « méditerranéisation » des boisements dans la partie sud de notre pays.

Les orientations de politique forestière publique et la filière bois proposent d’une seule voix « des solutions gagnant-gagnant » : « plantons des essences exogènes qui résistent à la sécheresse comme les sapins méditerranéens » ; « plantons des sapins de Douglas dont la vitesse de croissance séquestre plus rapidement le carbone » ; « dynamisons la gestion forestière pour piéger les gaz à effet de serre et augmenter ainsi les cadences des plantations ».

Ces recettes prêtes à l’emploi reposent en réalité sur des logiques industrielles et relèvent parfois de l’opportunisme financier. Les plantations en monoculture et la sylviculture intensive sont largement subventionnées, même si elles passent mal auprès des écologues forestiers et se heurtent à la manière dont fonctionne la nature.

Les forêts naturelles résistent mieux aux attaques parasitaires, aux sécheresses et aux incendies

Différents scénarios prédisent qu’à l’horizon 2050, 2070 ou 2100, le hêtre pourrait se cantonner au nord-est de la France et que le chêne vert pourrait régresser dans la région méditerranéenne. La forêt du sud de la France va sûrement s’adapter à d’autres essences actuellement présentes dans des pays plus méridionaux comme le chêne ballotte, le chêne zéen ou le chêne faginé.

Un chêne faginé à Cádiz, au sud de l’Espagne.

Ces essences, peu productives, font déjà partie de l’environnement méditerranéen. Mais bien sûr, elles ne sont pas visées par les programmes de replantation, pas plus que le pin de Salzmann, dont la présence relictuelle est menacée par des autorisations de plantation de pin noir d’Autriche et de pin Laricio.

Plusieurs exemples récents nous ont pourtant montré que les forêts naturelles résistent mieux aux attaques parasitaires, aux sécheresses et aux incendies que des forêts de reconquête ou des plantations monospécifiques.

Sur l’île de Gomera, dans l’archipel des Canaries, les incendies ont dévoré en 2010 les forêts anthropisées. 20 % des forêts de l’île ont disparu. L’archipel est aux premières loges des changements climatiques, avec des pluies se raréfiant drastiquement et des températures caniculaires en été, parfois accompagnées de vents forts.

Par contre, le feu s’est arrêté aux portes de la forêt primaire, stoppé grâce aux conditions d’humidité, mais aussi au contact de la diversité de diamètres des troncs et de leur densité : le vent y a perdu sa force. La forêt primaire conserve une canopée dense, assure un couvert permanent du sol, crée un micro climat avec une forte rétention d’eau, notamment grâce à la présence de très gros bois mort. La forêt primaire est restée intacte. À Gran Canaria en 2019, un incendie a tout brûlé sur son passage, les forêts y étaient intégralement dégradées.

Plus proche de nous, les dépérissements dans les sapinières du Nord-Est ont fait l’objet d’un zoom médiatique l’été dernier. À l’analyse de Pascal Junod, ingénieur forestier dans le Jura suisse, nous ajoutons : « La fin naturelle des peuplements non en station [1] est la destruction. Tout peuplement non en station est un corps étranger supporté plus ou moins longtemps, puis éliminé à un moment précis mais indéterminable à notre entendement. » (Jämes Péter-Contesse, 1953, Journal Forestier Suisse).

La Gomera.

On trouve une moyenne de quatre espèces de champignons mycorhiziens dans les sols d’une plantation monospécifique de sapins de Douglas, provenant d’Amérique du Nord et massivement plantés en France. En hêtraie pyrénéenne, on peut trouver jusqu’à 200 espèces mycorhiziennes. La forêt n’est pas que du bois, elle est « un super-organisme extrêmement complexe, capable d’adaptations remarquables », selon Pascal Junod.

Nous y voilà : les peuplements naturels, situés en station, ne sont-ils pas les mieux adaptés ? N’est-ce pas plutôt les peuplements opportunistes, ainsi que ce que l’humain a favorisé hors contexte, qui sont les plus fragiles ?

Pour tenter d’anticiper les effets du réchauffement, de nombreux travaux sylvicoles et d’éclaircies favorisant des essences locales, ainsi que certaines expériences de replantation, peuvent se montrent intéressants sous certaines conditions. Mais la plupart des chantiers de replantation sont en monoculture et utilisent des essences allochtones en dépit du bon sens.

Ces principes sont largement repris dans la construction des orientations de la politique forestière actuelle, notamment dans le Plan national forêt bois (PNFB), qui se décline en région en Plan régional forêt bois (PRFB). Par exemple, la plantation de sapins méditerranéens (de Céphalonie, de Bornmuller, de Nordmann), supposés supporter de futures sécheresses mais dont l’essence s’hybride avec notre sapin autochtone, le sapin blanc (Abies alba), est autorisée et subventionnée dans de nombreux massifs français depuis 2018. On n’a que très peu de connaissances sur le résultat de cette hybridation et sur les parasites attaquant ces espèces. Les fiches IRSTEA (Institut national de recherche en science et technologie) sur lesquelles se basent le ministère de la Forêt pour délivrer ces autorisations stipulent, pour les sapins méditerranéens : « Ce sapin étant peu répandu en France, les données relatives à la sensibilité aux ravageurs et pathogènes sont peu nombreuses. »

Toute plantation faite à proximité d’une station de sapin blanc peut ainsi signer la disparition de ce dernier, qui est l’essence originelle.

« Le changement climatique ne doit pas servir de prétexte à l’expérimentation à grande échelle de l’introduction d’essences exotiques »

Si le changement climatique inquiète, les actions de l’humain pour l’enrayer peuvent se montrer elles aussi préoccupantes, lorsqu’elles ne prennent en compte que les références qui servent à les cautionner. Il parait essentiel d’intégrer le maximum de données factuelles, afin d’éviter de commettre des erreurs ou de répéter celles du passé.

Laissons la parole à Simon Popy, président de France nature environnement Languedoc-Roussillon : « Le changement climatique et la perspective d’une réduction du potentiel de productivité forestière ne doit pas servir de prétexte à l’expérimentation à grande échelle de l’introduction d’essences exotiques d’origine lointaine, déconnectée de la dynamique naturelle des écosystèmes. »

Ne mésestimons pas la capacité des forêts à s’adapter. Ne laissons pas, au nom de fausses solutions écologiques cachant un objectif de rentabilité, s’installer une sylviculture intensive en lieu et place des traitements sylvicoles privilégiant la régénération naturelle. Une gestion à faible impact environnemental, notamment en altitude, devrait être une priorité absolue, visant une résilience maximale des écosystèmes et l’existence de continuités écologiques. Consommons du « bois local » mais aussi d’essences locales provenant de peuplements diversifiés pour ne pas détruire nos forêts.

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