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ReportagePesticides

Dans le Médoc, on a marché contre les pesticides dans les vignes

Dimanche 8 octobre, 250 personnes ont défilé dans la commune de Listrac-Médoc. Alors que la reconnaissances des maladies liées aux pesticides n’aboutit toujours pas en justice, les collectifs entendent porter sur ce terrain leur combat « contre les pesticides et pour les travailleurs des vignes ».

-  Listrac-Médoc (Gironde), reportage

Les ruelles de Listrac-Médoc ne sont pas habituées à pareille affluence. Ni à pareilles réclamations. Alors que le sujet des pesticides est médiatisé depuis quelques années avec les combats de Marie-Lys Bibeyran et Valérie Murat (sœur et fille de viticulteurs décédés de cancers probablement liés aux pesticides), jamais une manifestation n’avait eu lieu au cœur du vignoble.

Ce dimanche après-midi, le pari des opposants aux pesticides a été gagné. À l’appel du Collectif info Médoc pesticides, Alerte aux toxiques, la Confédératon paysanne 33, l’union locale CGT de Pauillac, Alerte pesticides Haute-Gironde, Générations futures, Vigilance OGM 33 et Alerte médecins sur les pesticides, un cortège de 250 personnes a empli les rues de la petite commune (2.600 habitants).

Riverains, parents, enfants, ouvriers agricoles, Médoquins et Bordelais, premiers touchés ou militants solidaires, ils ont défilé et entonné des slogans comme « Pas de phytos pour nos marmots », « Travert, on ne veut plus de CMR » (du nom des pesticides cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques) ou « Justice pour les victimes ».

« C’est une marche pour venir à la rencontre des personnes exposées » expliquait Marie-Lys Bibeyran, à l’origine de la marche ; « Ce territoire est encore très féodal, avec une toute puissance du milieu viticole : ici le maire et les trois-quarts du conseil municipal sont viticulteurs. Nous demandons juste un vrai débat. » Symboliquement, le rendez-vous a été donné sur le parking de la Cave de vinification Grand Listrac. « De nombreux viticulteurs en font partie, et c’est encore plus difficile d’aborder le sujet des pesticides avec eux, car ils ne sont pas libres de faire ce qu’ils veulent sur leur vigne. Ici ils sont particulièrement réfractaires » selon elle.

Corinne Despreaux est assistante maternelle à Listrac : «  Après avoir été enceinte près des vignes, avoir élevé mes enfants près des vignes, maintenant j’accueille les enfants des autres ici ». Elle raconte la cohabitation avec les pesticides dont elle connaît bien l’odeur tenace : « À partir d’avril et jusqu’en septembre-octobre, il y a des traitements tous les 15 jours. Mais si vous habitez à côté des parcelles de plusieurs châteaux, cela fait un passage par quinzaine sur chaque château. »

« Certains viticulteurs ont pris l’habitude de prévenir quand ils pulvérisent. Mais cette année ils n’ont pas prévenu » témoigne-t-elle. Clémence et Sophie, venues avec elle, complètent le tableau : « Quand vous voyez le tracteur, il faut vite courir rentrer les enfants, les jouets, le linge que vous veniez d’étendre... » « J’ai des connaissances qui sont viticulteurs. Avant on se parlait. Mais maintenant que je suis dans le Collectif info Médoc pesticides, on se dit juste ‘bonjour’ comme ça. Mais notre combat n’est pas contre les viticulteurs qui font un beau métier. C’est la manière de le faire qui pose problème » poursuit Corinne.

« La vigne, c’est une vie de travailleur pauvre », affirme Jacques Barbier. Membre de la CGT locale, il a travaillé pendant vingt ans pour plusieurs châteaux, et pointe le manque de conscience du risque chez les responsables de culture. « Pendant longtemps il n’y avait pas de délai de ré-entrée entre le traitement des vignes et le passage des ouvriers. Ils nous traitaient sur la gueule. Moi-même j’en ai fait un malaise », raconte-t-il. « Aujourd’hui, ce sont les chefs de culture qui doivent faire respecter ces délais. Mais souvent ils ne le font pas, ou alors seulement si l’ouvrier concerné menace de porter plainte. » À la retraite depuis un an, il est venu pour ses collègues : « Ils sont payés quelques centimes seulement au-dessus du SMIC, pour finir détruits, empoisonnés, le dos cassé... »

« Ici un salarié sur deux travaille dans la viticulture. Or il y a une précarisation accrue des salariés : par la pression, l’omerta, la peur. La suppression des CHSCT) [Comité d’hygiène et de sécurité] voulue par Macron ne donne pas un bon signal. Est-ce que comme pour l’amiante, on va laisser des gens mourir dans l’anonymat ? » demande Stéphane Le Bot, de la CGT.

Géraldine est venue de Pauillac : « J’ai des enfants, leur école est très proche des vignes, et moi je travaille dans les vignes, sans avoir eu aucune formation sur ces produits. Si on pouvait tous ensemble ne serait-ce que changer un tout petit peu les choses... ». Laure-Anne, elle, vient juste d’avoir un bébé. Elle ne s’intéressait pas particulièrement aux questions de pollution auparavant : « C’est un sujet qui revient beaucoup entre voisins, alors j’ai regardé des reportages, et je suis venue aujourd’hui. Mais je suis un peu déçue qu’il n’y ait pas beaucoup de monde. »

Valérie Murat et Marie-Lys Bibeyran : « Au royaume de l’omerta, nous portons notre combat »

Mais pour les organisatrices, la marche est une réussite. « Elle montre qu’au royaume de l’omerta, nous sommes en mesure de porter notre combat » affirme Valérie Murat avant de prévenir : « Si la situation se durcit, nous aussi nous allons durcir notre lutte ». Elle faisait référence aux trois décisions de justice tombées en septembre, en leur défaveur. Marie-Lys Bibeyran a été déboutée dans la demande de reconnaissance de maladie professionnelle du cholangiocarcinome (tumeur développée à partir de l’épithélium tapissant les voies biliaires) qui a tué son frère en 2009. Un non-lieu a été rendu dans l’affaire de Villeneuve-de-Blaye, où des élèves avaient été intoxiqués suite à deux épandages simultanés autour de leur école en 2014. Au même moment, deux anciens salariés de Triskalia, en Bretagne, se voyaient refuser la reconnaissance de leur maladie professionnelle devant la cour d’appel de Rennes.

À l’issue de la marche, Marie-Lys Bibeyran a affirmé qu’elle allait se pourvoir en cassation. Valérie Murat, qui veut faire reconnaître la responsabilité de l’industrie chimique et de l’Etat dans la commercialisation d’un pesticide (l’arsénite de sodium) pourtant reconnu comme cancérogène à l’époque, et qui a tué son père, attend la nomination d’un juge d’instruction après sa plainte avec constitution de partie civile.

« Cette journée marque une étape de plus dans un combat qui se structure en Gironde » selon Dominique Techer, viticulteur et représentant de la Confédération paysanne. Autre militant médoquin, José Bertin pense qu’« à force de dire que le Médoc fait le meilleur vin du monde, les viticulteurs n’évoluent pas. On leur demande juste de faire l’effort que font tous les autres vignobles. »

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