Dans le Nord, un nuage chimique envahit un camp de migrants

Le camp de migrants de Grande-Synthe est cerné par des entreprises chimiques. Ici, le site de l'entreprise Versalis le 24 février 2023. - © Nicolas Lee/Reporterre
Le camp de migrants de Grande-Synthe est cerné par des entreprises chimiques. Ici, le site de l'entreprise Versalis le 24 février 2023. - © Nicolas Lee/Reporterre
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Pollutions Santé MigrationsUn nuage chimique s’est répandu le 20 février sur un camp de migrants du Nord, sans faire de blessés. Les associations dénoncent le manque de préparation en cas de catastrophe industrielle.
Grande-Synthe (Nord), reportage
Sous une légère bruine, une quarantaine de personnes forme une file devant les gamelles fumantes de l’association Emmaüs. Les bénévoles s’affairent à distribuer les repas de la journée aux près de 150 personnes migrantes, prêtes à tenter la traversée de la Manche. Des vestiges de tentes traînent çà et là, à côté de couettes noyées dans la boue. C’est ici, sur le camp de migrants de Mardyck à Grande-Synthe (Nord), que les occupants ont éprouvé une vive frayeur il y a une semaine : le 20 février dernier, l’entreprise Indachlor, voisine du camp comme d’autres sites industriels, a relâché un nuage de chlore et d’acide chlorhydrique. L’épais brouillard blanc s’est dissipé en quelques heures. S’il a provoqué des maux de gorge et des yeux irrités, il n’a fait aucun blessé. Mais les migrants ne l’ont pas oublié.
« On a commencé à tousser, à avoir les yeux qui piquent », se rappelle Ali. Originaire du Tchad, il est arrivé sur la côte deux semaines plus tôt avec pour projet de tenter la traversée vers la Grande-Bretagne. C’est un bénévole qui a donné l’alerte et appelé le 15. « Les pompiers m’ont demandé s’il n’y avait pas une intervention de police en cours ; si ça n’était pas du gaz lacrymogène, explique Pierre Lascoux, bénévole de l’association Salam. Ils n’avaient pas l’air au courant de ce qui se passait. »
Selon la préfecture du Nord, un « dégazage inopiné » est à l’origine de ces vapeurs irritantes. Un mélange de chlore et d’acide chlorhydrique provenant de l’usine Indachlor située à 1,5 km du camp. Diane Leon, responsable de Médecins du monde, était sur place lorsque les secours sont arrivés, environ une heure après le signalement du nuage chimique. « La conduite à tenir était très floue, précise-t-elle. On nous a demandé d’évacuer sans nous donner plus d’informations. Nous avions peur qu’il y ait un mouvement de panique dans le camp. »

« Il n’y a aucune installation sanitaire sur le camp »
Si l’accident a été d’une ampleur limitée, aucune personne présente sur place n’a pour autant fait l’objet d’une prise en charge médicale, regrette Diane Leon. Pourtant, selon elle, le manque d’accès à un point d’eau potable et à des douches mettent en danger les migrants exposés aux gaz.
« Les recommandations en cas de contamination au chlore sont de changer de vêtements et de se laver. Mais il n’y a aucune installation sanitaire sur le camp », rappelle Diane Leon. Sa demande aux autorités de mettre à disposition un gymnase est également restée lettre morte. Pour elle, cette situation dramatique, avec un camp situé près des sites industriels, « est le produit d’une politique de restriction de l’espace humanitaire ». Le camp a en effet été évacué plusieurs fois, jusqu’à être déplacé sur cette zone.
« Comment évacuer des centaines de personnes en cas de grave accident ? » s’interroge Amélie Moyart, coordinatrice de l’association Utopia 56 à Grande-Synthe. Pour Diane Leon, aucun plan n’est prévu ou du moins les associations n’en ont pas connaissance. « Nous [les associations] essayons de créer un dialogue avec les autorités, mais il est pour l’instant inexistant. » Depuis la zone de distribution des associations, en direction de la mer, sont visibles les installations colossales de la raffinerie TotalÉnergies. À moins de trois kilomètres du lieu de vie des personnes migrantes, on compte pas moins de quatre sites Seveso seuil haut.