Dans le Tarn, un bureau d’étude coopératif réinvente la gestion des zones humides

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NatureDans le Tarn, depuis maintenant quinze ans, un naturaliste et ses associés cherchent à mettre en œuvre une autre manière de gérer les zones humides, en permanence menacées par des projets d’aménagement comme celui du barrage du Testet.
- Toulouse, correspondance
C’est en 2001 que Jacques Thomas, membre du Conservatoire des Espaces Naturels de Midi-Pyrénées, imagine un outil pour mieux protéger les zones humides. Avec l’aide du « Réseau Sagne », un programme financé par l’Agence de l’Eau Adour-Garonne, la région Midi Pyrénées et l’Union Européenne, il crée la SCOP Sagne avec une approche originale : « Les personnes qui possèdent les zones humides les négligent le plus souvent parce qu’elles ignorent leur rôle », explique cet ancien naturaliste.
Les coopérants vont donc à la rencontre des propriétaires : « Contrairement aux habitants de l’est de la France, ceux du sud-ouest sont très attachés à leurs terres. » Il s’agit donc de « comprendre ce que les propriétaires de zones humides pensent et de les accompagner en respectant leur manière d’aborder les choses », dans une logique « d’éducation populaire », mais sans oublier la préservation de ces espaces naturels si essentiels et toujours menacés par l’artificialisation des sols et l’agriculture intensive.

100 % de réussite
Cette démarche se démarque de la gestion traditionnelle des espaces naturels. D’un côté, les coopératives agricoles fonctionnent le plus souvent avec des incitations financières et des primes agricoles. De l’autre, l’Etat brandit la loi et la sanction en cas de non respect.
Evitant la carotte et le bâton, la coopérative a choisi la médiation environnementale, une méthode qui depuis quinze ans a fait ses preuves puisque qu’avec « 100 % de réussite », mille hectares sont aujourd’hui gérés par la coopérative. « C’est le seul programme de ce type qui soit piloté par les propriétaires eux-mêmes » affirme le directeur de la SCOP.
Concrètement, Sagne vit de son activité de bureau d’étude (analyses, cartographie, études d’impact) et de maitre d’ouvrage, allant de la pose de barrières pour délimiter les tourbières à des aménagements pour laisser par exemple un accès au bétail. A l’occasion, elle conduit des opérations de "compensation" d’aménagement.
La SCOP travaille également avec des écoles ou même du grand public.

Associer les propriétaires de zones humides
En 2007, la démarche s’est prolongée avec la SCIC Rhizobiòme, afin de mieux conduire la maitrise d’ouvrage du « Réseau Sagne ». Particularité de cette coopérative d’intérêt collectif, « elle a intégré directement dans sa structure des propriétaires de zones humides, motivés par les résultats déjà obtenus » détaille Céline Rives-Thomas, la directrice.
Quand Jean-Claude Fargues, fonctionnaire retraité de Brassac (81) et propriétaire de onze hectares de zones humides est contacté par la SCIC, il s’exclame : « Enfin quelqu’un s’occupait de ces terres qui, disait-on ne servent à rien ! ». Depuis, il entrevoit mieux le rôle des sagnes, nom occitan des zones humides :
« Pendant la grande canicule de 2003, j’ai vu un chevreuil prendre un bain de boue dans la sagne d’à-côté. Et vous saviez que l’eau absorbée en une journée met quinze jours pour être relâchée ? » Elle amortit les crues et les sécheresses, explique Jacques Thomas : « Face aux bouleversements climatiques qui nous attendent, les zones humides sont un excellent régulateur. Aucune machine n’est capable de remplir tant de fonctions en même-temps ».
Un bureau d’étude comme les autres, ou presque
Mais ces activités ne constituent qu’une partie du travail de la SCOP car « comme n’importe quel bureau d’étude, nous travaillons avec des particuliers, des collectivités et des entreprises privées ». Vinci, Eiffage, … quand on lui demande ce qui l’empêche de céder aux intérêts financiers, Jacques Thomas répond avec franchise : « Rien, je n’ai que ma conscience pour ça. Ce qu’il faut c’est que les rôles soient bien précis : l’Etat doit faire respecter la légalité, les citoyens et les associations défendre l’intérêt général. À nous de trouver avec tous les acteurs les solutions ».
Problème : les coupes budgétaires dans les dépenses d’Etat menacent le bon fonctionnement de certains services, comme la police de l’eau, déjà faiblement dotée. Le travail d’expertise est lui-même souvent difficile, notamment quand il s’agit de mettre en œuvre des mécanismes de compensation : « Ce procédé est souvent mal compris et mal réalisé : il ne s’agit pas de détruire quelque chose en faisant un trou et de le déplacer dans un autre trou creusé ailleurs. Nous recherchons des zones humides dégradées à proximité des zones concernées et pour un hectare détruit, nous demandons la reconstitution d’un hectare et demi à proximité. Plus l’on s’éloigne et plus la capacité de reconstitution de la zone est incertaine, plus nous augmentons la surface nécessaire en compensation. »
Le Testet : une zone humide d’exception
La SCOP Sagne a justement travaillé pour le compte de la CACG, sur le dossier du barrage du Testet, qui menace une zone humide de près de vingt hectares. Jacques Thomas nous confie : « On nous a demandé d’aller voir ce qu’il se passait là-bas en 2009. J’ai envoyé un stagiaire et, alors que les conclusions de l’étude d’impact ne mentionnaient même pas l’existence de zone humide, il en a recensé dix-huit hectares. »

- Jacques Thomas -
La seule participation de la SCOP au projet aura été de réaliser l’étude sur l’étendue de ces marécages et tourbières et de monter le dossier relatif à la compensation, sans bien sûr pouvoir contrôler les choix finaux de l’aménageur.
Encore aujourd’hui, quand on l’interroge sur la pertinence de réaliser ce barrage, le directeur de Sagne répond : « C’est à ma connaissance le seul boisement de zone humide, marécageux, qu’il y ait dans le Tarn de cette dimension. Sa destruction serait irréversible pour plusieurs générations. »
Et quand il est question de l’utilité du projet, c’est le citoyen qui parle en creux : « La première ressource en eau, c’est celle que la plante va trouver dans le sol. Il faut se demander s’il est tenable de labourer le sol pour faire passer les machines en hiver et de l’autre d’irriguer parce que la terre ne retient plus rien. On voit déjà ailleurs des barrages délaissés, au-delà de leur capacité parce que justement les exploitants changent leur manière de produire. Ce sont ces changements-là qu’il faudrait aider ». Parole d’expert.