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ReportagePesticides

Dans les Landes, une victime des pesticides attaque Suez Environnement

En 2012, Frédéric Radosz a manipulé sur son lieu de travail des mélanges de produits phytosanitaires, les bras nus et sans protection. Cet ex-employé d’une entreprise du groupe Suez Environnement souffre depuis de graves séquelles psychologiques. Après huit ans de combat, un procès en appel a lieu le 9 mars, à Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques.

  • Hinx (Landes), reportage

Frédéric Radosz ne sourit pas, sauf quand il tient ses deux chiens dans les bras. « Avec mes deux enfants, c’est tout ce qu’il me reste », soupire l’homme aux cheveux gris, posté devant le jardin d’enfants où travaille sa fille Floriane, dans les Landes. « C’est le seul endroit où je peux vous recevoir. » « Il a complètement changé depuis cette affaire de produits chimiques », se désole sa fille de 21 ans. Depuis 2012, Frédéric Radosz a perdu son emploi, sa maison, son couple et consomme des anxiolytiques et des somnifères pour tenir le coup.

« Fatigué » par des années de démarches pour obtenir réparation, l’ex-conducteur d’engins témoigne aujourd’hui, le 9 mars, devant la cour d’appel de Pau, après un premier procès en décembre 2019. L’ancien employé de Sita Sud-Ouest, une filiale de Suez Environnement, accuse son dernier employeur de l’avoir « empoisonné » au cours d’une mission de deux semaines sur le site de revalorisation des déchets d’Angoumé, à la fin de l’été 2012.

Le responsable du site avait alors convoqué Frédéric Radosz et l’un de ses collègues dans son bureau pour leur présenter une nouvelle mission. Pour onze mille euros, la société Sita Sud-Ouest acceptait de traiter des déchets agricoles collectés par l’entreprise Adivalor. Les deux sociétés étaient d’accord : Frédéric Radosz, un conducteur d’engins sur ce site de revalorisation de déchets, et son collègue recevraient des sachets plastique de cinq cent litres contenant des bidons vides de produits phytosanitaires. Ces bidons devaient être passés en presse pour constituer des « balles » de déchets. Les bidons arriveraient rincés et propres.

Le travailleur se souvient s’être plaint, dès le premier jour, de maux de têtes et de vertiges.

Odeurs nauséabondes, vertiges et saignements

Le 13 septembre 2012, sous une chaleur écrasante, Frédéric Radosz et son collègue ont déchargé une première livraison : des « bidons pas rincés », des sachets contenant des « mélanges de produits », des sacs éventrés et des liquides colorés se répandant sur le sol et sur les bras nus de Frédéric et son collègue, une odeur nauséabonde... Le travailleur se souvient s’être plaint, dès le premier jour, de maux de têtes et de vertiges et avoir souffert de saignements du nez et des gencives, d’irritations sur les bras et de douleurs intestinales. Durant la première semaine, l’entreprise ne leur a fourni ni masque, ni lunettes de protection.

L’ex-employé de Suez, syndiqué à la CFDT, a conservé des photographies des insecticides, pesticides et herbicides manipulés. Sur les bidons bleu, rouge et blanc, il est écrit, entres autres : K-Obiol, Glyphozherbe, Mepa Cid. Leurs fiches techniques indiquent, a minima, une nocivité en cas d’inhalation, des risques de lésions oculaires et/ou cutanées. Frédéric Radosz n’a pourtant reçu son masque anti-poussière qu’après réclamation et a uniquement bénéficié d’un « brief d’une quinzaine de minutes » avec la société Adivalor avant de manipuler ces déchets. Tous les sachets présentant des coulures de produits devaient être mis de côté ? « Certains se déchiraient en les déplaçant ! », rappelle le technicien.

L’employé, en CDI depuis six ans dans la société, a demandé au bout d’une semaine de chantier à faire valoir son droit de retrait — l’entreprise lui a proposé d’exercer son droit d’alerte. « C’était la première fois que je rencontrais un problème avec un employeur », raconte-t-il. L’inspection du travail, prévenue, a alors organisé une visite, deux semaines après le début du chantier. Et quand la fonctionnaire a demandé les autorisations de manipulation pour ce type de déchets classés dangereux, le site d’Angoumé ne les avait pas. Quant aux sachets non conformes, elle les a découverts au fond de vieilles bennes, dans le hangar d’une société voisine.

Action contre les pesticides organisée par les associations Alerte aux toxiques et Info Medoc Persticides.

Les conclusions de l’institution ont entraîné la fermeture temporaire du site : deux semaines pour le nettoyer et le remettre aux normes. Frédéric Radosz, lui, a été arrêté à la suite de cet accident du travail. Un arrêt maladie prolongé pendant huit mois pour cause d’état anxieux. Le certificat médical que Reporterre a pu consulter, rédigé par un psychiatre, évoque ainsi « un épisode anxio-dépressif sévère réactionnel à une exposition professionnelle à des produits phytosanitaires toxiques, nécessitant une chimiothérapie associant anxiolytique, hypnotique et thymoanaleptique à une psychothérapie régulière ». L’homme a porté plainte contre Suez Environnement à la fin du mois d’avril 2013 et a été licencié pour inaptitude quatre mois plus tard.

Huit ans après les faits, il vit de sa pension d’invalidité avec 900 euros par mois

Huit ans après, Frédéric Radosz, au chômage, vit de sa pension d’invalidité : 900 euros par mois. Son couple n’a pas survécu à la perte de son emploi, aux réveils en sueur de Frédéric, à ses virées en caleçon sur la terrasse de la maison, en quête d’air frais pour apaiser sa poitrine oppressée.

« J’ai toujours mes anxiolytiques sur moi, je ne peux plus faire de longs trajets sans être accompagné, j’ai des pertes de mémoire », se désole-t-il. L’ancien sportif, autrefois en pleine forme, n’a « plus goût à rien », traumatisé par son accident du travail. Depuis le divorce et la vente de la maison, Floriane héberge son père, quand il ne dort pas « chez des copains » ou, comme à l’été 2019, dans le garage où sont stockées les affaires qu’il lui reste.

Quelques croûtes sur la tête démangent encore Frédéric Radosz, en plus des « yeux qui brûlent », même si un rapport médical atteste de poumons en bon état, de fonctions rénales et hépatiques normales. Faute de savoir précisément à quels produits et mélanges il a été exposé, l’état anxieux et dépressif reste d’actualité : « Niveau santé, à quelle sauce vais-je être mangé ? »

À quelques jours du procès en appel, Frédéric Radosz ne digère pas cette affaire ni la décision de l’entreprise de faire appel du premier jugement, une amende de trente mille euros pour la filiale de Suez Environnement et des amendes avec sursis entre trois mille et onze mille euros pour trois responsables de la société. Christophe Chapron, Patrick Tréfois, Bernard Tardieu de Maleissye-Melun et Frédéric Sforza avaient alors été reconnus coupables de « mise en danger d’autrui » et/ou « blessures involontaires par violation manifeste d’une obligation réglementaire de sécurité ». Contactée par Reporterre, le groupe Sita Sud-Ouest a répondu que « la procédure étant toujours en cours, [leurs] équipes ne feraient pas de commentaires ». Lors de la première audience, en décembre 2019, les responsables de la société avaient rejeté la faute sur Adivalor, non citée à comparaître, et rappelé avoir rompu le contrat avec cette entreprise dès le 2 octobre 2012.

Depuis 2012, Frédéric Radosz a perdu son emploi, sa maison, son couple.

Frédéric Radosz a bien songé à retrouver du travail mais les crises d’angoisse l’empêchent de conduire des engins en sécurité. Sa visite au forum de l’emploi de Dax, après son licenciement, l’a découragé, lassé de s’entendre dire : « C’est toi Freddy qui est en procès avec Suez ? » « Je me suis senti ‘blacklisté’ » et blessé de ne plus pouvoir « subvenir aux besoins de la famille », lui qui avant l’été 2012 avait « tout pour être heureux » : une famille, une maison, un CDI. « Les responsables de l’entreprise auraient pu tout arrêter le premier jour. J’ai l’impression qu’on s’est foutu de moi. Ils m’ont laissé patauger comme un canard, passer dix heures par jour à manipuler ces produits », déplore-t-il, sans hausser le ton, las et amer.

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