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Déchets nucléaires

Débat sur les déchets nucléaires : les citoyens demandent l’étude d’alternatives à Cigéo

Le débat public sur la gestion des déchets radioactifs s’est achevé mercredi 25 septembre. Malgré des outils innovants, il a peu mobilisé le grand public. Il a cependant suscité des propositions et des idées intéressantes. Les décideurs vont-ils tenir compte des conclusions du débat ?

Après cinq mois de débat, 27 réunions et près de 2.500 questions, avis et commentaires, le débat public sur la gestion des matières et déchets radioactifs s’est achevé en catimini mercredi 25 septembre au ministère de la Transition écologique et solidaire. Point de ministre pour lancer la réunion, seulement quelques membres de Sortir du nucléaire venus chahuter le public essentiellement issu du milieu des spécialistes de l’atome. Le réseau associatif a officiellement boycotté le débat. « C’est le troisième depuis le lancement du projet d’enfouissement des déchets radioactifs Cigéo. Quelques remarques des opposants ont été notées mais le projet continue quand même », déplore Alain, en haussant le ton pour couvrir le roulement des tambours des opposants.

À côté de lui, une militante brandit une silhouette en carton marquée de l’inscription « Je n’ai pas pu venir, j’ai contrôle judiciaire ». « Ce panneau fait référence à des opposants à Cigéo, y compris deux membres d’associations historiques très actifs, mis en examen pour association de malfaiteurs et qui ne peuvent donc pas assister à la réunion puisqu’ils n’ont pas le droit de se trouver dans la même pièce, explique Julien, lui aussi membre du réseau. Le gouvernement a beau jeu de lancer un débat public, après avoir mis les opposants hors jeu et alors qu’il a déjà tout décidé en amont. Surtout, la première chose à faire avant de parler de solutions pour les déchets est de sortir du nucléaire : quand une baignoire déborde, on coupe le robinet avant de commencer à écoper ! »

À l’intérieur, en présence de la députée Barbara Pompili, qui fut présidente de la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, on dresse le bilan à chaud d’un débat sensible. Si tous les participants saluent le travail, l’ouverture d’esprit et la bonne volonté de la commission particulière du débat public (CPDP) et de sa présidente, la magistrate Isabelle Harel-Dutirou, le bilan n’en reste pas moins mitigé.

Mercredi 25 septembre, au ministère de la Transition écologique et solidaire.

« La mobilisation du grand public a été très relative », observe Isabelle Harel-Dutirou. « On se connaissait tous, confirme Yannick Rousselet, de Greenpeace. Un soir, à une réunion, j’ai vu deux types que je ne connaissais pas. Je suis allé les voir, ils travaillaient pour un accélérateur de particules ! »

Pourtant, des outils avaient été mis en place pour tenter d’informer les participants et d’ouvrir les discussions. De nombreux rapports ont été mis en ligne sur le site du débat, ainsi que des visuels et vidéos pédagogiques. Pour préparer le débat, les parties prenantes – exploitants, scientifiques, associations… – avaient été invitées à participer à une « clarification des controverses ». Objectif, « éclaircir les points techniques et mettre à plat les clivages pour pouvoir débattre sur des bases saines », explique Antoine Tilloy, membre de la CPDP, en exhibant le pavé de 200 pages issu de ce travail. Un « groupe miroir » de quatorze néophytes, de professions variées, âgés de 23 à 64 ans et venus de toute la France, a été recruté et formé pour apporter sa contribution. Un « atelier de la relève » a été organisé, auquel ont participé quarante étudiants issus de formations diverses, de la physique nucléaire à la philosophie. « On a même tenu des stands mobiles sur les marchés pour alpaguer le chaland », indique Mme Harel-Dutirou.

À Bar-le-Duc, le 20 juin 2019.

Cela n’a pas suffi à mobiliser les foules sur des sujets qui demeurent très techniques. « Je suis profane, j’ai découvert ce débat sur un réseau social, témoigne un homme dans le public. Je suis allé à la réunion d’hier soir et je n’ai rien compris. J’ai eu l’impression d’assister à un débat d’initiés en public plus qu’à un débat public. Est-ce que la formation dont a bénéficié le groupe miroir pourrait être étendue ? » « Il faudrait peut-être commencer par renoncer à cet acronyme horrible de PNGMDR [pour Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs], qui rebute tout le monde », lance un autre.

Le débat public a néanmoins permis d’aborder des sujets de fond très variés. C’est d’ailleurs un des premiers enseignements du débat : « Les maîtres d’ouvrage, la Direction générale de l’énergie et du climat [DGEC] et l’Autorité de sûreté nucléaire [ASN], attendaient de ce débat des éléments opérationnels pour alimenter le cinquième PNGMDR ; sur le seuil de libération des déchets de très faible activité, les filières à mettre en place pour les déchets de faible activité à vie longue, etc. Le public, lui, débattait pour la première fois des déchets radioactifs et a souhaité mettre sur la table toutes les questions stratégiques. Certains sujets qui n’apparaissaient pas dans les quatre derniers plans ont pris une place très importante dans les débats : l’économie, la santé, les transports, les impacts territoriaux des projets et la gouvernance », résume Michel Badré, membre de la CPDP.

À chaque réunion, les participants avaient la possibilité de laisser leurs commentaires sur des post-it. 547 petits papiers ont ainsi été récoltés, qui lançaient 847 idées. « Celles qui revenaient le plus fréquemment étaient la sortie du nucléaire, la remise en question de l’enfouissement des déchets, la responsabilité à l’égard des générations futures, la sûreté, l’impact sur l’environnement, la transparence des informations et l’inclusion de la société civile », énumère Mme Harel-Dutirou.

Le projet Cigéo a été au cœur des discussions. « Il n’était pas inscrit au programme, parce qu’il avait été tranché par les lois de 2006 et 2016. La commission a quand même souhaité y revenir, de même que le public. Il est apparu que le principe même d’un stockage, l’effectivité de la réversibilité, les impacts territoriaux et l’évaluation des coûts font encore débat. Le public a demandé à ce qu’un travail soit mené sur les alternatives », rapporte Philippe Quévremont, membre de la CPDP. « Pendant le débat à Bar-le-Duc, la présentation de mon alternative à Cigéo – poursuite de la recherche et entreposage en subsurface pendant 300 ans – a été saluée par des applaudissements nourris », rapporte le physicien Bernard Laponche, de l’association Global Chance. « Il faut clarifier les enjeux liés à Cigéo et à sa réversibilité », reconnaît Laurent Michel, représentant de la DGEC, l’un des deux maîtres d’ouvrage.

À Bar-le-Duc (Meuse), le 20 juin 2019, le débat sur les déchets radioactifs vire au réquisitoire contre le centre de stockage Cigéo.

Car la balle est désormais dans le camp des décideurs. La méfiance des participants à leur égard est immense : vont-ils tenir compte des conclusions du débat ? « Toutes les associations n’ont pas répondu à nos sollicitations. Nous respectons leur choix de ne pas intégrer le débat, car elles ont des raisons à cela. Un débat, c’est bien beau, mais il faut qu’il soit entendu », a rappelé Mme Harel-Dutirou en préambule de la soirée. Ce plaidoyer est revenu dans de nombreuses bouches tout au long de la soirée. « La première réunion généraliste à Lille n’a pas pu avoir lieu à cause d’un groupe d’opposants particulièrement bruyants. Je suis déçu de ce comportement anti-démocratique, mais il ne faut pas le négliger. Les attentes des citoyens sont fortes et trop souvent les décisions ont été prises dans l’urgence, dans un processus du fait accompli qui est le pire poison de la démocratie. On en arrive ensuite à cette situation de blocage des réunions et de défiance envers la politique », avertit Jean-Claude Delalonde, président de l’Anccli.

« Quand des bonnets rouges ont cramé des pneus sur les routes, on les a écoutés et on a abandonné l’écotaxe. Face aux habitants de la Zad, on a abandonné le projet d’aéroport. Nous, on veut bien être non violent et participer au débat public, mais il faut qu’on soit entendus nous aussi, s’écrie M. Rousselet. Je comprends les copains qui ont préféré boycotter le débat. Mais maintenant, comment faire pour qu’on puisse retourner les voir et leur dise qu’on a eu raison de participer ? »

Cigéo, le site de stockage de l’Andra, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.

Plusieurs participants n’ont pas caché leur inquiétude. « Le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie [PPE] prévoit la poursuite du retraitement du combustible usé jusqu’en 2040. Or, le retraitement a été un des sujets les plus discutés pendant le débat. Il faut que la DGEC intègre ces nouveaux éléments, sinon on ne sera pas là la prochaine fois », avertit le salarié de Greenpeace. « Cet été, la France a renoncé à son programme de recherche sur le réacteur de quatrième génération Astrid, qui aurait permis de réduire le volume de déchets. J’ai été surpris que cette décision soit prise avant que le débat soit terminé », intervient un homme dans le public. Yves Marignac, de Wise-Paris, est pessimiste : « L’abandon de ce projet a des implications immenses – la requalification de certaines matières radioactives en déchets, la remise en question d’un entreposage centralisé, etc. Les industriels et les acteurs publics n’ont pas permis que ces changements de perspective soient intégrés au débat. C’est une forme de rendez-vous manqué entre les acteurs et la société civile. »

La réponse à ces interrogations sera connue dans quelques mois. La CPDP doit rendre son rapport fin novembre. Ensuite, les maîtres d’ouvrage, la DGEC et l’ASN, auront trois mois pour expliquer dans quelle mesure ils tiendront compte des conclusions du débat public dans le PNGMDR.

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