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Déchets nucléaires

Déchets radioactifs : les clés du grand débat

Le débat public sur la gestion des déchets radioactifs s’ouvre ce soir à Paris. 23 rencontres sont prévues jusqu’en septembre. Retraitement, Cigéo, déchets faiblement radioactifs... Reporterre fait le point sur les enjeux clés.

1,62 million de mètres cubes de déchets radioactifs ont été comptabilisés en France fin 2017, de quoi remplir plus de 640 piscines olympiques. Plus de la moitié de ces déchets, très divers en nature et en niveaux de radioactivité, proviennent de 60 ans d’exploitation de la filière électronucléaire française. Elle compte, à ce jour, 58 réacteurs nucléaires en fonctionnement et plusieurs usines de fabrication et de traitement du combustible nucléaire.

Cet inventaire des déchets est très certainement sous-estimé, puisqu’il exclut certaines matières radioactives comme le combustible nucléaire Mox usé [1] et l’uranium issu du retraitement, au motif qu’elles pourraient être réutilisées un jour – même si ce n’est pas le cas aujourd’hui.

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Carte des matières et déchets radioactifs

Légende :

Centrale nucléaire de production d'électricité.
Ancienne mine d'uranium.
Site d'entreposage de matières et de déchets radioactifs.

La carte en plein écran est DISPONIBLE ICI


La gestion de toutes ces matières et déchets radioactifs est mise en débat par la Commission particulière du débat public (CPDP), à partir de ce mercredi 17 avril et jusqu’au 25 septembre 2019. « Les temps forts de ce débat seront les 23 rencontres organisées pour les citoyens : sept réunions publiques généralistes à Paris et dans quatre grandes villes régionales, et des réunions thématiques dans des territoires concernés par l’activité nucléaire », explique à Reporterre Isabelle Harel-Dutirou, magistrate et présidente de la CPDP.

La première rencontre généraliste a lieu mercredi 17 avril à 19 h à la Mutualité, à Paris. « Ces événements seront complétés par des échanges sur internet, via un système de questions-réponses, où le maître d’ouvrage devra répondre de manière claire et pédagogique aux questions des citoyens, et par une plate-forme de débats où chacun pourra apporter sa contribution », poursuit Mme Harel-Dutirou. L’objectif affiché de ce débat public est d’aider les maîtres d’ouvrage – l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) – à élaborer le prochain plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR).

Le menu s’annonce copieux, et technique. Pour vous aider à vous y retrouver, Reporterre a identifié les grands enjeux présents et à venir dans la gestion de ces substances radioactives.

1/ Le retraitement des déchets radioactifs

« Quasiment tous les pays nucléarisés, sauf la Russie, considèrent que les combustibles nucléaires usés sortis du réacteur sont des déchets ultimes dont on ne peut rien faire. Ce n’est pas le cas de la France, qui a choisi le retraitement », rappelle à Reporterre Bernard Laponche, physicien nucléaire et cofondateur de l’association Global Chance.

Le retraitement, quèsaco ? La plupart des 58 réacteurs nucléaires français fonctionnent avec du combustible nucléaire à base d’uranium. Une fois usé, il est envoyé à l’usine de retraitement Orano de La Hague (Manche), où il est décomposé en plusieurs matières : les actinides mineurs et les produits de fission, qui constituent ensemble les déchets ultimes entreposés sur place et qu’EDF prévoit d’enfouir dans Cigéo à Bure- ; de l’uranium issu du retraitement, qui est envoyé à Pierrelatte (Drôme) où il reste à ce jour inutilisé ; et du plutonium. Ce dernier est mélangé à de l’uranium appauvri pour produire un autre type de combustible, le Mox.


« Ce principe du retraitement est le problème du haut du panier, qui en entraîne de nombreux autres, comme la multiplication des déchets et le choix d’options de gestion difficilement réversibles », dit Yannick Rousselet de Greenpeace. Par exemple, le Mox usé n’est pas recyclable et est plus chaud, plus radioactif et plus dangereux que le combustible uranium usé. Il est actuellement entreposé dans les piscines de La Hague, qui vont bientôt arriver à saturation. Résultat, EDF prévoit de construire une nouvelle gigantesque piscine d’entreposage dans le centre de la France.

La CPDP a réclamé une expertise sur la possibilité d’un entreposage à sec des combustibles nucléaires usés, que de nombreux experts jugent moins dangereux que les piscines. Ce type de stockage sonnerait le glas de la filière de retraitement. Pourtant, avant même le début du débat public, les dés semblent déjà jetés : le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit le fonctionnement de l’usine de La Hague jusqu’en 2040 et Orano a obtenu l’autorisation de faire des travaux dans son usine de Malvési pour produire en France un des composants du Mox actuellement fabriqué en Allemagne.

2/ Cigéo et l’enfouissement des déchets radioactifs en couche géologique profonde

Que faire des déchets les plus radioactifs, donc les plus dangereux ? En France, la loi sur le nucléaire de 2006 a opté pour le principe de « l’enfouissement en couche géologique profonde ». À Bure, entre les départements de la Meuse et de la Haute-Marne, l’Andra prépare ainsi la construction d’un centre où ces déchets appelés « haute activité à vie longue » (HA-VL, principalement les colis vitrifiés d’actinides mineurs et de produits de fission issus de La Hague) et « moyenne activité à vie longue » (MA-VL, principalement les parties métalliques des assemblages de combustible) seront enterrés dans des galeries à 500 mètres sous terre. L’Andra espère déposer une demande d’autorisation de création cette année.

Le laboratoire de recherche souterrain de l’Andra, entre la Meuse et la Haute-Marne. Objetif : enterrer les déchets les plus dangereux.

Mais ce projet, très contesté, présente de nombreuses faiblesses. Ce projet n’a pas d’équivalent dans le monde, et les expériences étrangères ne sont pas concluantes. La réversibilité – autrement dit la possibilité de récupérer les colis en cas de problème –, pourtant promise par la loi, n’est pas acquise. Il est prévu d’y stocker des colis enrobés de bitume, qui risquent de provoquer des incendies. Enfin, le coût du projet, établi par décret à 25 milliards d’euros, est certainement très sous-évalué. La CPDP a bien l’intention de remettre le sujet sur la table : elle a commandé une expertise sur l’état des lieux à l’international du stockage géologique profond des déchets radioactifs et a prévu en juin à Bar-le-Duc un débat sur les alternatives à l’enfouissement.

3/ La gestion des autres déchets radioactifs

Globalement, toutes les capacités de stockage existantes arrivent à saturation. Le Centre de stockage de la Manche, où sont enfouis des déchets radioactifs de faible à moyenne activité, est plein et fermé depuis 1994. Le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) de Morvilliers (Aube), pour les déchets faiblement radioactifs, pourrait arriver à saturation entre 2025 et 2030. Des recherches sont en cours pour accroître ses capacités, mais cela ne suffira pas à faire face aux deux millions de mètres cubes de déchets très faiblement radioactifs qui nous resteront sur les bras quand l’ensemble des centrales nucléaires en fonctionnement seront démantelées. L’Andra prospecte donc pour de nouveaux sites où installer de futures poubelles. Dans le viseur, une zone de dix kilomètres carrés à Soulaines (Aube), mais qui sera insuffisante pour accueillir tous les déchets de faible activité à vie longue.

Devant l’impasse, la tentation est grande pour la filière de « déclasser » les déchets les moins radioactifs, comme certains gravats. « On assiste à une offensive pour remettre certains de ces déchets dans le circuit économique normal, alors qu’ils seraient très difficiles à pister et risqueraient de se retrouver dans des usages domestiques », alerte Bernard Laponche. Cette question du « seuil de libération » des déchets radioactifs devrait être mise en discussion lors du débat public.

Qu’attendre de ce débat ?

« Nous espérons qu’il s’agira d’un bel exercice de démocratie, que les citoyens se saisiront du sujet, partageront la connaissance des acteurs et seront à même d’exposer un point de vue », a déclaré à Reporterre Mme Harel-Dutirou, magistrate et présidente de la CPDP.

Yannick Rousselet, de Greenpeace, se veut optimiste. « On sait que le débat ne va pas être sanctionné par de nouvelles lois, et les dernières lois votées ne vont pas dans le bon sens. Mais les conclusions de ce débat ne pourront pas être ignorées par l’ASN et la DGEC. D’ailleurs, le dernier plan avait déjà un peu évolué dans le bon sens. Et puis, on est face à une réalité que personne ne peut nier, avec la saturation de tous les sites. Des décisions sérieuses doivent être prises. »


LESEAU SORTIR DU NUCLÉAIRE ET LES OPPOSANTS À BURE NE PARTICIPERONT PAS AUBAT

Le réseau Sortir du nucléaire, lui, a décidé de passer son tour. « À quoi cela sert de débattre alors que toutes les décisions ont été prises ?, s’interroge Charlotte Mijeon, du réseau.
« Le fait même de produire des déchets radioactifs n’est pas mis en question. Lors du débat public sur la PPE, les citoyens ont demandé à ce que les réacteurs ne soient pas prolongés au-delà de 50 ans et qu’il n’y ait pas de construction de nouveaux réacteurs, et c’est l’inverse qui est décidé. Il est indécent de demander aux Français de cogérer des déchets qu’ils refusent de produire. »

Le réseau Sortir du nucléaire ne participera pas au débat : « Il est indécent de demander aux Français de cogérer des déchets qu’ils refusent de produire. »

Par ailleurs, hors de question pour les associations qui s’opposent à Bure de participer à un débat alors qu’elles sont victimes d’une répression policière et judiciaire intense au quotidien. Comme le souligne Charlotte Mijeon :

On ne peut plus mettre le pied dans le bois Lejuc où l’Andra veut construire Cigéo ; tous les mois, les condamnations pleuvent pour des faits mineurs ; des personnes qui menaient des actions juridiques sur le fond sont sous contrôle judiciaire et ne peuvent plus rencontrer l’avocat qui les aide pour ces recours… Nous ne souhaitons pas participer à cette caricature de démocratie où l’on incite les citoyens à débattre sans tenir compte de leur avis et où l’on réprime ceux qui s’expriment et s’opposent au quotidien. »

Les associations riveraines de Bure ont lancé leur propre débat public itinérant, baptisé l’Atomik tour. Le convoi est parti le 16 janvier de Bure et y sera de retour pour le festival Bure’lesques, les 9, 10 et 11 août 2019.

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