Gaia dans la piscine

« Selon Anne Lauvergeon, qui ne reculait devant aucune plaisanterie, les déchets produits par 58 réacteurs pendant quarante ans tiendraient dans une piscine olympique. » En fait, il faudra au moins 2.240 piscines !
On imagine les intenses cogitations des communicants chargés de trouver le nom. Au bout de nombreuses et épuisantes réunions... « GAIA ! - Ah oui, c’est chouette, le nom grec de la déesse Terre. - Et puis, ça sonne vraiment écolo. - Impeccable. Adopté ! - Euh... justement, ça fait un peu trop écolo, non ? Les Khmers verts vont nous tomber dessus. - Oui, mais ça sonne bien. - Hum... et si on rajoutait une lettre ? Par exemple, un Y, ça s’écrit Gaiya, c’est pas Gaia, mais ça se prononce pareil. - Ouah, top cool ! GAIYA is born ! »
Ainsi donc, les sociétés d’ingénierie Technip et Ingérop ont créé le groupement Gaiya. Qui s’est vu accorder le 4 janvier un contrat par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) afin de concevoir le Cigéo : cette autre trouvaille marketing signifie Centre industriel de stockage géologique. Il s’agit d’un site d’enfouissement pour plusieurs dizaines de milliers d’années des déchets nucléaires.
Naguère, d’autres communicants avaient trouvé une formule pour minimiser le volume de ceux-ci. Selon Anne Lauvergeon, qui ne reculait devant aucune plaisanterie, les déchets produits par 58 réacteurs pendant quarante ans tiendraient dans « une piscine olympique » (The Times, 22 mars 2010).
En fait, le Cigéo est censé couvrir 300 ha en surface, et plus de 1.500 ha en souterrain pour enfouir 100.000 m3 de déchets - soit le volume de près de 400 piscines olympiques. A prévoir aussi : des millions de mètres cubes de béton, une consommation d’eau de 500 m3 par jour, et... des rejets dans l’atmosphère de gaz radioactifs (tritium, carbone 14 et krypton 85).
Un détail amusant, qui colle si bien avec l’esprit de « notre démocratie », le contrat de Cigéo est conclu alors qu’un débat public doit avoir lieu en 2013 pour en discuter. Mais bon... on ne va pas prendre au sérieux l’avis des gens, quand même ! D’ailleurs, le lieu est lui aussi fixé, ce sera autour de Bure, en Lorraine, où l’Andra a déjà acheté plus de 600 hectares. Autre détail amusant : on ne sait pas combien cela coûtera. En 2005, on annonçait 15 milliards d’euros. Début 2011, la directrice de l’Andra parlait de 25 milliards d’euros.
Ah, encore un détail pour rire, car on rit, n’est-ce pas : cette magnifique installation n’accueillera pas tous les déchets nucléaires, car il y a plein de combustibles usés du type mox qu’Areva ne retraite pas, cela coûte trop cher. Ils sont très chauds et très radioactifs. Il faudra les stocker à part. Dans une piscine ? On pourrait l’appeler Hadès.
2240 piscines, exactement…
(ajout du 12 janvier 2012)
Des lecteurs ont remarqué un certain vague, un chiffrage un peu flottant, en ce qui concerne le nombre de piscines cité dans la chronique. Et il est vrai que j’ai nagé trop vite dans les chiffres. Il fallait plonger plus avant dans les documents. Ce que j’ai fait, en ré-interrogeant l’Andra.
Celle-ci me précise le 10 janvier que Cigeo est prévu pour pouvoir stocker 70.000 m3 de déchets MA-VL (moyenne activité et vie longue) et 10.000 m3 de déchets HA (haute activité et vie longue). Ces volumes concernent les « colis primaires », préparés par Areva et contenant les déchets proprement dits.
Mais l’Andra prévoit de reconditionner ces « colis primaires » dans des « colis de stockage » tels que : « le volume des colis de stockage rapporté au volume des colis primaires représente de l’ordre d’un facteur 3 pour les déchets HA et de l’ordre d’un facteur 4 pour les déchets MA-VL ». Ainsi, il faudra stocker un volume d’environ 280.000 m3 de colis de déchets MA-VL, et 30.000 m3 de colis de déchets HA, soit au total 310.000 m3.
Si l’on considère qu’une piscine olympique mesure 50 m sur 25 m sur 2,5 m de profondeur moyenne, soit 3.125 m3, il faut donc compter 99 piscines.
Mais l’installation comptera de nombreuses galeries d’accès et de circulation, nécessaires pour acheminer les colis et les engins nécessaires pendant la durée d’exploitation du site. En fait, l’Andra annonce qu’il faudra excaver 7 millions de m3, soit 2.240 piscines olympiques.
Quant aux combustibles Mox, au cas où ils ne seraient pas retraités - ce qui est fort probable -, il faudrait alors les stocker directement dans l’installation, ce qui impliquerait de creuser et d’aménager un volume supplémentaire important de galeries. C’est ce qu’indique le schéma p. 289 du dossier Argile 2005, où S1a représente le projet tel qu’il est présenté aujourd’hui (et qui suppose que tous les combustibles, y compris les Mox, sont retraités) et S1b représente le projet dans lequel les combustibles Mox seraient stockés directement (les scénarios S1a et S1b sont définis dans Argile 2005-Synthèse, p. 44). Par comparaison avec l’image de la p. 287 du document, cela signifie qu’il faudrait excaver de l’ordre de 4 millions de m3 supplémentaires (ou 1.280 piscines olympiques), étendre la surface de la zone souterraine de quelques 8 km2. Le coût, lui aussi, augmenterait de près de moitié.