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ReportageAlternatives

Déchets : les Égyptiens vident le Nil à la petite cuillère

Recouvert de déchets, le Nil étouffe. Une initiative locale propose aux habitants de nettoyer le fleuve et de revaloriser les déchets en accessoires de mode. Toute la communauté y participe et est rétribuée.

Le Caire, reportage

Le Caire, vaste mégalopole de plus de 23 millions d’habitants, est considéré comme l’une des villes les plus polluées au monde. Pollution de l’air, mais également de son environnement, car, avec une production de quelque 80 millions de tonnes de déchets par an et un manque de ressources financières et humaines, la gestion des déchets repose essentiellement sur des solutions à court terme (l’incinération et le dépôt sauvage), et sur un vaste réseau informel de collecteurs (appelés les Chiffonniers ou Zabbaleen), mais qui ne peuvent traiter correctement une grande partie des déchets non organiques collectés.

Amas de déchets plastiques sur les berges du Nil à proximité des locaux de VeryNile, sur l’île de Qurşāyah. ©Flora Elie / Reporterre

Dans ce contexte, le fleuve principal d’Afrique, le Nil, s’en trouve directement impacté. Et s’il est considéré comme source de vie depuis des millénaires, on estime pourtant à environ 100 000 tonnes de déchets plastiques déversés chaque année dans la Méditerranée par son biais, faisant de lui l’un des dix fleuves à l’origine de 90 % des déchets plastiques présents dans les océans de la planète.

Un groupe de bénévoles nettoient les berges du Nil à proximité des locaux de VeryNile lors d’une journée de sensibilisation contre la pollution plastique. ©Flora Elie / Reporterre

C’est face à ce triste constat qu’a été créée en 2018 l’organisation VeryNile, sous l’impulsion des jeunes entreprises Greenish et Bassita Clickfunding. Première initiative visant à nettoyer le Nil à grande échelle, l’organisation agit également sur la sensibilisation et la responsabilisation de la population. À ses côtés, pour soutenir ses actions, se trouve plus d’une centaine d’entreprises et entités privées, la fondation Drosos, l’ONG One Earth One Ocean, des ambassades, et le ministère de l’Environnement égyptien qui, en 2021, a formalisé les activités de nettoyage par la signature d’un protocole.

Deux employés forment une balle de déchets plastiques mixtes, essentiellement composés de tongs, sandales, etc. Ils sont difficiles à recycler, car ils contiennent trop de matériaux différents (mousse, polystyrène...). Ils sont envoyés à des usines de ciment qui, en les brûlant, les utilisent à la place de combustibles fossiles. Ces usines possèdent des filtres très puissants qui limitent drastiquement les rejets nocifs produits par l’incinération de tels matériaux. ©Flora Elie / Reporterre

Sacs et pochettes en plastique recyclé

Dans leur centre installé sur l’île de Qurşāyah depuis fin 2019, VeryNile collecte les déchets apportés par les pêcheurs (qui reçoivent en échange une rétribution financière), les trie, les compresse, les recycle et les revalorise dans ses ateliers lorsque c’est possible. Pour cela, toute la communauté locale est partie prenante : plus d’une trentaine de pêcheurs du Nil à la collecte du plastique dans les eaux du Nil (jusqu’à 10 tonnes par mois), une dizaine d’hommes au tri et recyclage, et une dizaine de femmes de l’île employées pour la production de produits recyclés dont la vente fournit des revenus à VeryNile.

Un groupe de femmes, habitantes de l’île de Qurşāyah, prépare les sacs plastiques pour leur revalorisation en accessoires, dans les ateliers de VeryNile. ©Flora Elie / Reporterre

Au-delà de l’aspect nettoyage et revalorisation des déchets plastiques, VeryNile s’attache à la sensibilisation du public sur la question de la pollution plastique, et à l’importance de la réduction de sa consommation. Pour cela, elle organise régulièrement des actions de sensibilisation auprès du grand public, de classes, d’étudiants, d’employés d’entreprises, lors de journées de nettoyage des rives du fleuve ou des ateliers de recyclage. À ce jour, plus de 4 000 bénévoles ont pu y participer.

Un groupe de bénévoles sur le bateau VeryNile lors d’une journée de sensibilisation. Premier bateau dédié au nettoyage en Afrique, il fonctionne cinq jours par semaine autour de l’île de Qurşāyah et permet de trier 500 kg de déchets hebdomadaires. ©Flora Elie / Reporterre

Plus de 110 tonnes de déchets récupérées

Grâce aux efforts continus de VeryNile, plus de 110 tonnes de déchets plastiques ont pu être retirées du Nil depuis 2018. L’initiative vise les 70 tonnes mensuelles d’ici fin 2023, grâce au développement de ses activités. Cependant, remis dans leur contexte, ces efforts peuvent apparaître comme une goutte d’eau dans un océan de déchets.

Deux employés de VeryNile dans l’atelier où ils compressent les bouteilles et les transforment en balles. ©Flora Elie / Reporterre

En effet, le chantier de lutte contre la pollution plastique reste immense en Égypte. Face à une population très peu sensibilisée aux enjeux environnementaux et aux concepts de tri et recyclage, les comportements évoluent lentement, et les déchets sont partout. Le gouvernement tarde à mettre en place une politique efficace de gestion des déchets dans ses différents gouvernorats, et les infrastructures pour la compression des déchets plastiques collectés et leur recyclage sont en nombre insuffisant.

Un pêcheur vient de décharger sa collecte de plastique devant l’entrée de VeryNile. Il recevra une compensation financière en fonction du poids de sa collecte. ©Flora Elie / Reporterre

Il est donc parfois compliqué pour les pêcheurs habitant loin, et ne disposant pas de bateau à moteur, de venir déposer leurs collectes à VeryNile puisqu’ils doivent ramer. Reste à savoir si la venue de la COP27 à Sharm El Sheikh, du 7 au 18 novembre prochain, poussera les autorités à enfin prendre le problème à bras le corps.


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