Déchets nucléaires : le projet Cigeo doit attendre, conclut le débat public

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Déchets nucléairesIl n’y a pas urgence pour lancer l’enfouissement des déchets nucléaires et il faut revoir le calendrier : telle est la conclusion, largement inspirée de l’avis de la Conférence des citoyens, d’un "débat public“ sur Cigeo qui n’a pas vraiment eu lieu.
Il faut attendre. C’est le bilan tiré par la Commission nationale de débat public à propos du projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigeo dans la Meuse, et publié mercredi. « L’idée d’un nouveau jalonnement du projet, intégrant une étape de stockage pilote, constituerait une étape significative », écrit dans son bilan le président de la CNDP. « Ce n’est qu’à l’issue de cette étape que la décision de poursuivre la construction du stockage et de procéder à son exploitation courante pourrait être prise et non au stade de la demande d’autorisation de création telle qu’actuellement prévue par la loi de 2006 », poursuit-il.
Le projet de Centre industriel de stockage géologique (CIGEO), qui vise à permettre l’enfouissement des déchets radioactifs de Haute Activité et à Vie Longue (HAVL) en couche géologique profonde, a fait l’objet d’un « débat public » du 15 mai au 15 décembre 2013. Infrastructure mobilisant un budget important, allant jusqu’à 30 milliards d’euros – et aux « impacts significatifs sur l’environnement ou l’aménagement du territoire » , le projet entrait dans le champ de l’article L121-1 du Code de l’environnement instituant la procédure de consultation publique orchestrée par la Commission nationale du débat public (CNDP). Celle-ci a rendu public mercredi son rapport sur le bilan du débat mené sur Cigeo.
Trop d’incertitudes techniques, il faut revoir le calendrier

Son président, M. Christian Leyrit a souligné les incertitudes qui pèsent sur le projet de CIGEO. Elles concernent notamment le type de déchets qui pourraient y être traités, leur conditionnement ou la récupérabilité des colis. Au cœur de ces question se trouve la question de la réversibilité des déchets :l’article 12 de la loi de 2006 impose la possibilité de retirer les déchets pendant au moins cent ans dans la phase initiale du projet. « Soutenu par les pro comme les par les anti-CIGEO », le principe pourrait toutefois ne pas être applicable pendant cent ans pour des raisons techniques, a observé M. Leyrit.
D’autres enjeux, comme le risque d’incendie, la sécurité du transport ou les impacts sur l’aménagement du territoire, restent par ailleurs à éclaircir. Objet d’une question dédiée dans l’avis du panel de citoyens rendu la semaine dernière, le potentiel de ressources en géothermie n’a pas été abordé. Enfin, la CNDP a regretté qu’une nouvelle évaluation du cofinancement n’ait pas été fournie à temps par le maître d’ouvrage, l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs).
Face à ces incertitudes, M. Leyrit a jugé le calendrier « beaucoup trop tendu ». Tel que prévu par la loi de 2006, le projet doit faire l’objet d’une demande d’autorisation par l’Andra en 2015 en vue d’une mise en service du site dès 2025. Mais il a été reconnu que « des éléments de démonstration importants sur la sécurité de cette infrastructure in situ ne pourront être apportés qu’après 2015 », et la CNDP recommande donc une phase pilote approfondie, estimant qu’il fallait un intermédiaire entre la phase de recherche et l’exploitation industrielle.
A Bure (Meuse), où l’Andra veut implanter Cigeo, des premiers aménagements ont été réalisés avec un « laboratoire » d’1,5 kilomètre de galeries qui préfigurent les 320 kilomètres prévus dans Cigeo, où les 108 000 m3 de déchets – soit 370 000 colis – seront confinés dans la roche, dans des alvéoles de stockage à 490 mètres de profondeur.
Y a-t-il eu débat ?

Le président de la CNDP a par ailleurs estimé qu’il y avait « nécessité de retrouver une confiance mutuelle entre la population, les experts scientifiques et les décideurs politiques ». Le débat public sur CIGEO aura été marqué par un clivage très fort entre les « anti » et les « pro », dont la « bipolarisation a empêché une approche raisonnable par la mise à plat des arguments » a regretté M. Leyrit. Mais s’il l’a jugé conflictuel, « le débat a bien eu lieu » a estimé l’ancien préfet « bétonneur » qui s’est félicité du gage démocratique que représente la tenue de cet exercice.
Cependant, dès le départ, le débat public sur Cigéo a suscité une très forte controverse. Avant même la tenue de la première réunion publique, plusieurs associations ont décidé de boycotter le processus, dénonçant la « supercherie » d’un « débat sans débat » dont la décision finale aurait déjà été entérinée, comme cela avait été le cas en 2005 lors d’un précédent débat sur la gestion des déchets radioactifs.
Après l’échec de la première réunion publique à Bure le 13 mai dernier et la tentative avortée d’une seconde en juin, la Commission Particulière du Débat Public (CPDP) chargée d’animer les réunions avait alors décidé de délocaliser le débat sur internet. De juillet à décembre, c’est donc virtuellement que le débat a été mené, avec 1 508 questions posées, 497 avis et plus de 76 000 visites sur le site internet. Une innovation technique majeure selon la CNDP, qui a promis d’intégrer l’outil internet dans l’organisation des prochains débats publics, mais qui n’apporte pas de garantie sur l’identité des participants ainsi que sur la nécessaire contradiction au débat.
Pour Ariane Métais, l’une des six membres de la CPDP, « les statistiques sur internet occultent l’échec du débat public. Le compte-rendu est un copier-coller des remarques des internautes. Mais un débat public ne peut pas consister seulement en un forum internet. On est dans le quantitatif, absolument pas dans le qualitatif ».
Avec deux autres des membres de la CPDP, elle s’est désolidarisée du rapport remis ce matin : « Valider le compte-rendu, c’est nier les conditions insatisfaisantes d’un débat dans lequel tout n’a pas été fait pour recréer un dialogue avec les opposants ». Interrogé en conférence de presse par Reporterre, Claude Bernet, le président de la CPDP, a reconnu qu’il y avait eu des dissensions au sein de la commission, mais que tous ont participé à la rédaction du rapport.
Une scène étonnante dont Reporterre a été témoin permet toutefois d’en douter. Dans le couloir du ministère de l’Ecologie où se tenait la conférence de presse, Claude Bernet a pris à partie Arianne Métais : « Aujourd’hui, lui a-t-il dit, la CPDP s’exprime d’une seule voix. Una Voce. C’est un principe de bonne règle, il ne faut pas montrer de désaccord devant les journalistes. Je te demande de ne pas prendre la parole, c’est clair, net et précis. Je le fais devant témoin ». Bernet ne savait pas alors que le témoin était journaliste.
Derrière les questions sur la légitimité de ce « débat » sur internet , c’est la question de son utilité qui est posée. Pourquoi l’avoir précipité en 2013, alors que le débat national sur la transition énergétique qui doit pourtant décider de l’avenir du nucléaire, n’était pas achevé ?
Mais c’est l’utilisation d’une nouvelle forme de discussion qui a en fait donné une légitimité aux conclusions de la CPDP. Car c’est en fait la tenue d’une conférence citoyenne qui a permis d’émettre un avis venant des citoyens, avis dont s’est largement inspiré la Commission : la mise en oeuvre de Cigeo ne presse pas, elle doit être retardée.