Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Grands projets inutiles

Dénonçant la parodie de démocratie sur Europacity, les écologistes se tournent vers l’Europe

Le projet géant d’un « pôle de loisirs, de commerces, de culture et d’hôtellerie » dans le Triangle de Gonesse, au nord de Paris, est soumis au débat public depuis deux mois. Mais ses opposants, pointant les déséquilibres et insuffisances du débat, ont décidé de porter plainte devant le Parlement européen.

Les dernières terres fertiles du Nord-parisien font de la résistance. Menacés, les champs de Gonesse s’invitent au Parlement européen. Les opposants au projet de complexe touristique et commercial d’Europacity devraient en effet déposer dans les prochains jours une plainte contre la Zone d’activité commerciale du Triangle de Gonesse devant la Commission des pétitions, à Bruxelles.

Leur but : faire entendre leur voix face à Auchan, promoteur de ce complexe pharaonique de 80 ha à travers sa filiale Alliages et territoires. « Il est difficile d’exprimer un autre point de vue et de remettre en cause le projet », soutient Marion Robert, consultante auprès du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG). Le débat public, lancé il y a deux mois, n’y a rien changé. « Le maître d’ouvrage dispose de bien plus de temps que nous, et il a des moyens de communication et de lobbying sans commune mesure avec les nôtres. » Avec 3,1 milliards d’euros d’investissements privés, Europacity, présenté comme un futur « pôle de loisirs, de commerces, de culture et d’hôtellerie », bénéficie du soutien affiché de nombreux élus locaux, du préfet de région et du Premier ministre.

La maquette du projet Europacity.

Dans ce combat de David contre Goliath, tous les moyens sont bons pour se maintenir dans l’arène. Les militants du CPTG sont donc allés frapper à la porte des députés européens. L’écologiste Pascal Durand a accepté de porter leur lutte devant ses confrères. Car il est convaincu que le projet d’Europacity, en plus de préfigurer « un nouveau désastre écologique » viole le droit communautaire. « Ce projet, comme tous les autres grands projets inutiles et imposés, se fait sans concertation citoyenne et sans prendre en compte l’intérêt général », a-t-il précisé lors d’une conférence lundi 23 mai à Paris. Directive sur l’eau, concertation : « Nous avons relevé des violations, au niveau du droit de l’environnement et du respect de la démocratie », avance son cabinet, sans donner plus de précisions.

La méthode du saucissonnage

Précautionneux, les opposants rechignent à révéler leur stratégie, afin de « ne pas donner trop d’armes à Auchan ». L’avocat Raphaël Romi — qui défend également des collectifs contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes — accompagne le CPTG dans cette démarche de longue haleine... Car la procédure devant la commission des pétitions devrait prendre au moins huit mois. « Une fois la requête déposée, elle doit être examinée par la présidence du Parlement européen, avant de donner lieu à une enquête de la Commission européenne », explique Romain Gaillard, collaborateur de Pascal Durand. S’il y a bien non-respect de la législation européenne, les autorités peuvent ensuite faire pression sur la France, via par exemple une mise en demeure, comme ce fut le cas avec la barrage de Sivens.

Pour les opposants, pas de doute : l’urbanisation du Triangle de Gonesse recèle bien des illégalités. Notamment quant au respect de la démocratie environnementale. Fractionnement des procédures, absence d’une étude globale des impacts... « Europacity s’insère dans un projet plus large d’aménagement du territoire, avec une zone d’activité commerciale, une gare et une ligne de métro, rappelle Marion Robert. Or, il n’y a aucune évaluation globale, par exemple quant aux émissions de gaz à effet de serre ou au bilan énergétique : chaque projet est examiné et débattu séparément ! »

Claude Brevan, qui dirige la commission du débat public autour du projet Europacity, le 18 mai.

Une carence pointée en mars dernier par l’Autorité environnementale, qui a alors considéré « que cette approche n’était pas de nature à garantir de façon optimale le respect du principe de participation du public, plusieurs consultations étant conduites en parallèle sur des projets intimement liés, sur la base d’informations incomplètes, laissant penser que leurs autorisations peuvent être prises indépendamment les unes des autres ».

Séquencer le projet, petit bout par petit bout, pour en minimiser les impacts : c’est la méthode du « saucissonnage », régulièrement mise en cause par les militants écologistes, à Notre-Dame-des-Landes ou pour la future gare TGV de Montpellier. « Nous vivons dans une société du mensonge et de l’opacité », estime Pascal Durand. « Or l’Europe impose le respect de la globalité de l’espace : on ne peut pas prendre un projet en dehors de son environnement global. » L’eurodéputé croit donc en l’Union européenne comme dernier rempart à l’artificialisation des terres. « C’est le seul espace politique où l’on essaye encore de définir un intérêt général. Et la défense de l’intérêt général contre l’intérêt privé, c’est le combat du XXIe siècle ». Des luttes locales mais un combat d’après lui bien global : le « fric et la mort » contre la vie, car « tuer l’agriculture, c’est tuer le vivant ».

« Ce n’est pas seulement un projet que l’on dénonce, c’est une politique », souligne à ce propos Romain Gaillard. Pour le président de France nature environnement, Denez L’Hostis, il s’agit là d’un « rétrécissement inacceptable du débat démocratique ». Malgré le « choc de démocratisation » souhaité par François Hollande au lendemain de la mort de Rémi Fraisse à Sivens, force est de constater que la participation citoyenne patine. « Il n’est pas normal que l’on arrive à un tel point de déliquescence du débat public, s’emporte Denez L’Hostis. La démocratie environnementale n’existe toujours pas aujourd’hui en France, et c’est l’un des grands échecs du quinquennat Hollande. »

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende