Voici comment l’Europe en est venue à la procédure d’infraction sur le barrage de Sivens

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SivensLa Commission européenne a décidé de lancer une procédure d’infraction contre la France à propos du projet de barrage de Sivens. Cette décision résulte d’un tenace travail d’interpellation de l’ex-députée européenne Catherine Grèze.
La Commission europénne a annoncé mercredi 26 novembre lancer une procédure d’infraction ouverte par la Commission européenne contre la France pour le non-respect supposé de la directive européenne sur l’eau].
Voici précisément ce qu’a dit le porte-parole de la Commission, tel que l’a communiqué à Reporterre la Direction Environnement : “La Commission a décidé d’envoyer une lettre de mise en demeure à la France pour violation présumée, par les autorités françaises, de la directive-cadre sur l’eau (2000/60/CE) dans la réalisation du projet de construction de barrage hydraulique de Sivens, situé sur la rivière le Tescou, affluent du Tarn.
"L’objectif de la législation européenne en question est de parvenir à une gestion durable de l’eau à long terme, fondée sur un niveau élevé de protection de l’environnement aquatique. La procédure d’infraction a été ouverte car, sur la base des éléments disponibles à ce stade, les autorités françaises auraient autorisé le projet en question nonobstant la détérioration de l’état écologique de la masse d’eau concernée qu’il serait susceptible d’entrainer. Les autorités françaises auront deux mois pour répondre. Si la réponse n’est pas satisfaisante la Commission pourrait envoyer un avis motivé."
Cette décision est la suite logique des cinq interpellations déposées auprès de la Commission par la députée européenne (EELV) Catherine Grèze avant 2014. Elle n’est plus députée dans le nouveau Parlement.
Nous publions ici le récit de ce long parcours, écrit par Catherine Grèze.
Le feuilleton commence le 6 octobre 2011 : Alertée par les associations du Tarn, et après examen du dossier, des cartes, je dépose une première question auprès de la Commission, l’ informant du projet, rappelant le rôle fondamental des zones humides et ce en quoi le projet de barrage est contraire à la Directive-cadre sur l’eau de "bon état" écologique et chimique de toutes les eaux communautaires d’ici 2015. L’enquête publique n’a pas encore eu lieu.
Puisqu’il doit être co-financé par l’Etat, la Région, l’Union Européenne, l’Agence Adour-garonne, le Conseil Général et… l’Union Européenne, celle-ci a son mot à dire. Après argumentation je pose donc la question suivante : " La Commission approuve-t-elle de financer un projet qui conduirait à noyer une zone humide à protéger ?"
Réponse de la Commission à cette première question : "Les projets sélectionnés en vue d’un financement européen doivent être conformes aux règles communautaires. (…) La construction de barrage (…) est règlementée par la Directive 85/337/CEE (évaluation de projets sur l’environnement) et par la Directive 2000/60/CEE directive cadre sur l’eau.
Le barrage de Sivens va faire l’objet d’une étude d’impact environnemental et d’une enquête publique… Toute modification…d’une masse d’eau susceptible de causer une détérioration de son état tel qu’un barrage, n’est possible que si les conditions de l’article 4 sont remplies. Il est de la compétence des Etats membres de s’assurer que les conditions soient respectées."
La Commission pourrait intervenir si des éléments précis permettaient d’identifier une violation du droit de l’Union justifiant l’ouverture d’une procédure d’infraction. Stade précoce, projet non encore autorisé, aucune décision de financement prise, la Commission ne voit pas de raisons d’intervenir.
Cette interpellation survient très en amont – trop – mais le cadre et les conditions sont posés et la commission alertée, et le rappel du commissaire à l’Environnement, Janez Potocnik, très clair.
En juin 2013, l’ enquête publique s’est conclue par un avis favorable sous réserve de l’avis favorable du Conseil national de protection de la nature et du Conseil scientifique régional du patrimoine national. Ces avis, rendus plus tard, sont défavorables. Malgré cela, vote favorable au projet, le 17 mai, par le Conseil Général du Tarn.
En ce qui concerne la Directive Cadre sur l’eau, et sur la question de la modification de la masse d’eau, les avis de l’ONEMA (Office national de l’eau et des milieux aquatiques) sont défavorables. Mais ils n’ont pas été intégré dans l’enquête publique !
Le 24 juin 2013, je pose à la Commission une nouvelle question sur le financement d’un projet qui conduirait à noyer une zone humide et donc contraire aux textes européens.
Réponse de la Commission : Le projet a fait l’objet d’une étude d’impact et d’une enquête publique. La décision d’autorisation n’a pas encore été prise . La Commission ne dispose pas à ce jour d’éléments suffisants…
Autrement dit : "C’est encore trop tôt, Madame Grèze, mais nous suivons le dossier".
8 octobre 2013 : troisième interpellation. Je rappelle les faits. Et souligne qu’une consultation a été lancée par la DREAL au sujet de la demande de dérogation à la protection d’espèces protégées. Elle prend fin le 7 octobre 2013. Mais huit jours avant, le Préfet du Tarn a pris un arrêté d’intérêt général. Déni de démocratie.
Réponse de la Commission à cette troisième question : le dossier a fait l’objet d’une étude d’impact et d’une enquête publique, la décision d’autorisation a été prise.
"Compte tenu des informations que vous apportez, la Commission a décidé de demander des information aux autorités françaises pour s’assurer que les objectifs… de la directive cadre… ne sont pas menacés."
C’est une première victoire : la Commission ouvre une enquête.
- Catherine Grèze -
10 janvier 2014 : alors que le déboisement de la zone humide est planifié pour février 2014, je reviens vers la Commission pour savoir si elle a pu obtenir les informations recherchées auprès des autorités françaises et quelles suites vont être données
Réponse de la Commission à cette quatrième question : la Commission a demandé aux autorités françaises de lui fournir les informations nécessaires…. La Commission attend la réponse. Une fois reçue, la Commission l’ évaluera, et prendra, le cas échéant, toute mesure nécessaire pour assurer une application correcte de la législation environnementale de l’UE.
En clair la Commission attend toujours la réponse de la France.
24 février 2014 : sur le terrain, la tension monte, je reviens donc une cinquième fois vers la Commission, afin de savoir si elle a obtenu une réponse de la part des autorités françaises.
- Sur la zone du Testet, février 2014 -
Je mentionne un autre aspect problématique au dossier : la mesure 125B1 (« soutien aux investissements collectifs d’hydraulique agricole » des fonds FEADER est sollicitée pour ce projet. Le taux d’aide publique dépend de l’augmentation ou non des zones irriguées. Or la Compagnie des Coteaux de Gascogne prévoit un financement public à hauteur de… 80 % (50 par l’Agence de l’eau et 30 par le FEADER). Le barrage de Sivens entraînerait une augmentation des surfaces irriguées : la Commission prévoit-elle de s’opposer à ce financement FEADER au regard du non respect des règles en vigueur ?
Réponse de la Commission : « Les autorités françaises ont communiqué les éléments demandés le 7 mars 2014. La Commission évalue actuellement ces éléments et l’opportunité de prendre des mesures ». En ce qui concerne les mesures financées par le FEADER, le contrôle du respect des règles appartient aux services nationaux.
Vendredi 14 novembre 2014 : Le représentant de la Région Midi-Pyrénées (notre conseiller régional Alain Ciekanski) assiste à la réunion de la CSRPN (Conseil scientifique régional du Patrimoine Régional). Le représentant de la DREAL fait part de la la décision de la Commission Européenne du 28 juillet 2014 de rejeter la réponse de la France sur ce dossier ! Décision qui n’est cependant pas publique.
Je tiens ici, sur ce dossier à remercier tout particulièrement deux personnes : Fanny Thibert qui a été une collaboratrice d’exception et dont la qualité du travail est parfaitement illustrée dans le suivi de ce dossier et Ben Lefetey, qui a été le relais associatif sans faille et qui a démontré que l’opposition politiques / associatifs n’est pas inéluctable.
En attendant avec impatience la décision des commissaires sur une procédure qui, rappelons-le, mettrait fin au financement européen sur ce dossier et surtout pourrait contraindre la France à des dédommagements financiers pour non respect de la Directive Cadre Eau,