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Eau et rivières

Des Vosgiens obligés de boire l’eau du lac

Le lac dans lequel Gérardmer puise l'eau, situé entre le camping et la base nautique.

Face à une pénurie d’eau liée à la sécheresse, une ville des Vosges puise depuis début août l’eau d’un lac. Une solution bien reçue localement, alors que les touristes, eux, continuent de profiter des activités balnéaires.

Gérardmer (Vosges), reportage

En cheminant dans la ville de Gérardmer, dans les Vosges, difficile d’imaginer que l’eau manque. Les touristes trustent la base nautique, les enfants se baignent, le camping est plein et la terrasse du casino animée. Seuls indices de la sécheresse : les pelouses au vert fatigué et les lits vides des petits ruisseaux menant au lac.

Le bassin Moselle amont et Meurthe traverse en effet une grave sécheresse. Au point que pour subvenir aux besoins de la population de la ville, le réseau d’eau potable doit tirer 80 % de son eau du lac de la ville depuis mercredi 3 août.

Les deux points d’alimentation traditionnels du réseau (une source et une nappe phréatique) sont à des niveaux exceptionnellement « insuffisants », a annoncé le maire Stessy Speissmann (PS). Alors pour éviter la pénurie, c’est dans le lac que la mairie cherche l’eau. Une mesure utilisée en 2003, 2015 et 2020, mais c’est la première fois que ces ressources sont si faibles, si tôt.

Une « nouvelle ressource »

En plus, entre le 3 et 5 août, l’eau du lac a été temporairement impropre à la consommation. Le lac est connu pour porter des traces de manganèse et autres métaux, cuivre, sodium et chlorures, explique Jean-François Fleck, vice-président de Vosges Nature Environnement.

Ainsi pendant deux jours, pas de glaçon au bar de l’hôtel de ville et des bouteilles en plastique à la place des verres d’eau : « Les clients étaient compréhensifs », dit l’une des serveuses d’un bistrot. « On a essayé de faire couler l’eau pour voir, ça ne m’a pas donné envie », se souvient Génolé, 26 ans.

En changeant le processus de pompage, l’eau du lac a pu être à nouveau buvable. « L’ARS [1] considère que c’est une nouvelle ressource, il a fallu faire des tests » pour le confirmer, précise Stessy Speissmann. Désormais « les analyses sont bonnes », explique le maire. Pauline, batelière saisonnière de 35 ans, continue pourtant de la faire bouillir « au cas où ».

Une vingtaine de vacanciers se baignent aux abords de la station de pompage du lac, située à côté d’un camping. © Camille Balzinger/Reporterre

Une pénurie prévisible

Cette pénurie, « on pouvait s’y attendre », murmure le serveur du PMU. Dans son bistrot, ça fait sourire : « Avec tous les touristes, c’était sûr », poursuit-il avant d’apporter deux chocolats viennois en terrasse. Les étés, la commune voit sa population quadrupler, passant de 7 800 à 33 000 personnes. Depuis le 20 juillet, le bassin Moselle amont et Meurthe est en vigilance sécheresse renforcée, et en crise depuis le lundi 8 août, le plus haut seuil d’alerte. Prévisible même « depuis dix ans », estime Éric Defranould, conseiller municipal depuis 1989. Sur la terrasse ombragée des Copains d’Abord, le serveur fait des blagues : « Pas d’eau pour vous, c’est trop précieux ! »

Pour les Géromois s’abreuvant habituellement à des sources privées, nombreuses sur les hauteurs, c’est inédit : « Mon voisin tire la chasse avec de l’eau de pluie récupérée, pour économiser celle qui est potable », poursuit Génolé, que la situation « ne stresse pas » : « De l’eau, il y en a plein dans le lac. »

Entre les 4 et 5 août, cinq jacuzzis ont pourtant été vandalisés : ils ont été perforés à la perceuse et agrémentés d’un message invitant à boire l’eau plutôt que de s’y baigner. En 2020, 70 % des nouvelles constructions sont des résidences secondaires, estime Gérardmer Patrimoine Nature. Beaucoup d’entre elles mettent à la disposition des touristes des bains à remous, vidangés régulièrement pour des questions d’hygiène. Il est devenu interdit de les remplir depuis juillet.

« Voir des jacuzzis pleins, ça peut être compliqué. »

Pour Virgile, batelier et saisonnier sur le lac depuis dix ans, l’agacement des locaux est compréhensible : « Quand on ne peut pas boire l’eau du robinet, voir des jacuzzis pleins, ça peut être compliqué. » Dans son cabanon sur le quai, à l’ombre du soleil de midi, il poursuit : « Ce n’est pas la première fois qu’on pompe le lac, on a un vrai problème. »

Même si les volumes pompés sont anecdotiques sur les presque 20 millions de mètres cubes que le lac contient, « on ne l’a jamais fait plus d’un mois », dit le maire. Mais cette fois-ci, « peut-être le fera-t-on jusqu’à septembre ». Pour le moment en effet, toujours pas de pluie à l’horizon. « Pomper participe à faire baisser le niveau du lac, mais ça ne menace pas son écosystème », assure Jean-François Fleck, de Vosges Nature Environnement.

À en croire le maire, aucun problème n’est à craindre pour la santé des habitants. « Il faut s’assurer que les analyses prennent en compte la mesure des métaux lourds », souligne Éric Defranould, qui attend qu’on lui envoie les résultats.

La nappe phréatique, elle, est déjà remontée « de 1 à 2 mètres depuis qu’on ne puise plus dedans », assure le maire. Sinon, ils feront appel aux citernes, comme l’a déjà fait une commune voisine.

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