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Nature

Des chercheurs s’opposent au départ des collections du Muséum d’histoire naturelle

Une partie des 67 millions de spécimens conservés au MNHN (ici le 19 avril 2023) devront être transférés à Dijon.

Alors que des millions de spécimens conservés à Paris par le Muséum national d’histoire naturelle doivent être transférés à Dijon, des chercheurs dénoncent un « coup terrible porté à la connaissance de la biodiversité ».

Mammifères, oiseaux, invertébrés marins… Les collections du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) sont en danger. Une partie des 67 millions de spécimens conservés à Paris vont devoir déménager à Dijon (Côte-d’Or). Problème : ce transfert « va casser notre travail de recherche », dénonce Nicolas Puillandre, maître de conférences au MNHN. Avec d’autres chercheurs, ce spécialiste des mollusques a lancé une pétition en ligne qui, en quinze jours, a recueilli près de 6 000 signatures. Son nom : « Sauvons les collections du MHNH. »

« Opacité », « attaque contre la taxonomie » (la science du classement des espèces vivantes), « mépris de nos métiers »... Plusieurs chercheurs au MNHN ont confié à Reporterre leurs craintes quant à la délocalisation prochaine de ces spécimens stockés dans le prestigieux établissement du Jardin des plantes à Paris, certains étant conservés depuis le XVIIe siècle. Ce déménagement, qui concernerait des fonds documentaires, des collections sèches, mais aussi des collections conservées dans de l’alcool, doit durer dix à quinze ans pour un coût de 70 millions d’euros. Parmi trente-neuf collectivités, c’est Dijon, située à 2 h 30 de la capitale en train, qui a été choisie fin avril pour accueillir ce pôle de 20 000 m2, prévu pour 2027.

« Un coup terrible porté à la connaissance de la biodiversité »

La direction du Museum, qui n’a pas répondu aux sollicitations de Reporterre, justifie le bien-fondé de ce projet, lancé en 2022, par deux arguments principaux. Le manque de place pour accueillir de nouveaux spécimens d’abord, notamment dans la zoothèque de 6 300 m2 située sous le Jardin des plantes, mais aussi le risque d’incendie lié à l’entreposage de bocaux de conservation remplis d’alcool. Les dirigeants du muséum arguent en effet que, dans ce bâtiment, le nombre de mètres cubes d’alcool autorisé dans un même lieu par la préfecture de Paris est dépassé.

« Comment maintenir un lien avec des collections qui sont à 300 km de notre lieu de travail ?, s’interroge Nicolas Puillandre. Parfois, nous les consultons trois fois par jour ! On nous dit qu’il y aura une numérisation en 3D des spécimens. Mais, dans ce cas-là, comment faire une dissection ou un prélèvement de tissu ? C’est très inquiétant : notre direction ne sait pas en quoi consiste notre travail. »

Pour les chercheurs, le déménagement met en péril leur travail. Ici, la grande galerie de l’évolution du Muséum. Flick/CC BY 2.0/Jean-Pierre Dalbéra

Tout en notant avec ironie comment, à l’heure de la « décarbonation de la recherche », les chercheurs vont « devoir aller à Dijon chaque semaine », Nicolas Puillandre fustige « l’absence de concertation » autour de ce projet. « On est face à un rouleau compresseur : on ne sait même pas exactement quelles collections sont concernées », dit Amélie Vialet, paléoanthropologue et maîtresse de conférences. Les syndicats, cités par France 3, craignent en outre qu’un tel déménagement ne menace des emplois. 2 500 collaborateurs, dont quelque 600 chercheurs, travaillent pour le MNHN.

« Casser le lien de proximité physique avec les collections est infiniment dommageable »

« C’est un coup terrible porté à la connaissance de la biodiversité, et ce, alors que la question de l’extinction des espèces est d’une urgence absolue », assure de son côté Alain Dubois, spécialiste des reptiles et des amphibiens. Pour ce professeur émérite au MNHN, la délocalisation des collections s’inscrit dans un contexte plus global de relégation de la taxonomie en tant que « science dépassée, dont on n’aurait pas besoin ». « Pourtant, la seule manière de connaître la biodiversité est de l’étudier, de s’intéresser aux exceptions, aux particularités, ajoute-t-il. On est très loin de connaître toutes les espèces du globe. » D’autant que, comme le note Amélie Vialet, « cette démarche naturaliste est à la base de tous les autres travaux de recherche : l’observation du vivant est irremplaçable, et casser le lien de proximité physique avec les collections est infiniment dommageable »

Les chercheurs basés à Paris expliquent que la communauté scientifique internationale, qui étudie régulièrement les collections du MNHN, pâtira de ce projet. « Des alternatives existent, souligne Nicolas Puillandre. Par exemple, plutôt que de déplacer les bocaux en alcool à Dijon — ville sur laquelle va donc se reporter le risque incendie ! —, pourquoi ne pas réduire les quantités d’alcool ? Voilà ce que l’on dit à la direction : venez nous voir, discutons, et nous vous proposerons des solutions. »

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