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EnquêteEau et rivières

Des plantes d’aquarium menacent les zones humides

Pour la première en France en mai 2022, le Limnobium laevigatum a été identifié dans le pays (image d’illustration).

En 2022, plusieurs plantes exotiques ont été identifiées dans un milieu naturel humide en France. Ce phénomène méconnu des amateurs d’aquariophilie inquiète les scientifiques.

Feuilles bien vertes, légèrement arrondies, assorties de fines zébrures brunes… La grenouillette, Limnobium laevigatum de son nom scientifique, semble bien fragile dans son petit pot en plastique transparent, au rayon aquariophilie de ce magasin Truffaut parisien. Cette plante aquatique flottante — également appelée petit nénuphar américain — a été cultivée in vitro par la société Tropica, au Danemark ; elle est garantie « sans algues, sans parasites et sans escargots ». Ce qui explique peut-être son prix : 7,50 euros les quelques grammes de verdure. Cette plante d’ornement finira dans l’aquarium d’un amateur de poissons ou d’un adepte d’aquascaping, ce loisir consistant à créer des paysages aquatiques les plus époustouflants possibles.

Il ne faut pourtant pas sous-estimer les jeunes racines de Limnobium laevigatum qui s’enroulent pour l’heure sagement au fond du pot. Une fois plongées dans l’eau, elles peuvent devenir redoutables. La grenouillette, originaire d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, pousse vite. Trop vite.

« C’est une espèce dioïque, qui se multiplie essentiellement par stolons [tige aérienne rampante ou arquée] : les jeunes pieds restent accrochés un certain temps au pied mère avant de se détacher. Elle peut ainsi devenir très couvrante à la surface de l’eau, voire obstruer complètement le passage de la lumière du soleil dans la colonne d’eau », détaillent Pauline Guillaumeau et Joseph Villiermet dans Carnets botaniques.

Le 28 mai 2022, au cours d’un inventaire floristique sur la commune de Brécé (Ille-et-Vilaine), ces deux naturalistes ont identifié Limnobium laevigatum dans un affluent direct de la Vilaine. Une première en France. La superficie colonisée au niveau d’une retenue d’eau semblait assez limitée. Mais deux mois plus tard, la situation avait radicalement évolué. « Malheureusement, nous avons constaté un développement exponentiel et extrêmement préoccupant de la plante, avec un recouvrement total de la mare (entre 500 et 1 000 pieds) », écrivent-ils.

Des plantes peu exigeantes, idéales pour les aquariums

Ils estiment que le risque de nouvelles introductions n’est pas à négliger, « la plante étant toujours en vente dans les jardineries ». Pourtant, le potentiel invasif de cette espèce est connu depuis longtemps. Déjà en 2013, un rapport du département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) la comparait à la jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes), considérée comme extrêmement envahissante.

Pourtant interdits, des plants de Salvinia molesta ont été découverts dans une jardinerie. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Vengolis

« Les caractéristiques qui sont recherchées dans l’aquariophilie, à savoir la facilité d’entretien et la rapidité de croissance, sont exactement celles qui font que l’espèce va être plus à même de s’implanter en milieu naturel », souligne Arnaud Albert, chargé de mission espèces exotiques envahissantes au sein de l’Office français de la biodiversité (OFB).

C’est d’ailleurs ces arguments qu’Aqua Store, site spécialisé d’aquariophilie, met en avant pour vendre Vallisneria australis : celle-ci est « peu exigeante, son entretien est simple ». À tel point que cette plante immergée aux longues feuilles rubanées s’est développée dans le lac du Salagou (Hérault) et dans celui de Vaivre (Haute-Saône), et possiblement en Charente-Maritime dans des herbiers aquatiques et dans le lit d’une rivière. Les premières observations ont eu lieu en septembre dernier.

Des espèces découvertes grâce à la sécheresse ?

Ce n’est pas étonnant du fait de l’été exceptionnellement ensoleillé, chaud et sec, estime Alain Dutartre, hydrobiologiste indépendant qui étudie les plantes exotiques aquatiques depuis plus de trente ans : « Cette période climatique a été tout à fait favorable à un développement surprenant de cette espèce, sans doute ordinairement beaucoup moins facilement visible parce que totalement immergée. »

Vidanger les aquariums dans les rivières ou lacs pourrait expliquer l’introduction de ces plantes dans l’environnement. Pixnio/CC0/Paolo Neo

Mais comment cette plante est-elle parvenue dans ces deux lacs ? « La vidange d’aquariums peut être considérée comme la voie d’introduction dans l’environnement », estime l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dans son signalement du 16 novembre 2022. Elle n’exclut pas non plus que la plante puisse être déjà largement naturalisée en France « compte tenu [...] du peu d’attention sur ces plantes aquatiques et de leur utilisation importante en aquariophilie ».

Présente-t-elle un danger pour la biodiversité ? Tout dépend de l’endroit où elle se développe. Dans le lac artificiel du Saligou, les conséquences sur la flore aquatique indigène, peu présente, sont probablement négligeables. « Dans d’autres contextes (bras morts de rivières, lacs et étangs naturels), les impacts sur la flore indigène et les écosystèmes pourraient être plus importants », estime l’Anses.

« Nous nous heurtons parfois à un fort lobby »

Malgré ces risques, ni Limnobium laevigatum ni Vallisneria australis ne font partie de la liste des espèces exotiques envahissantes (EEE) interdites d’introduction dans le milieu naturel, d’utilisation et de commercialisation en France. Seules douze plantes aquatiques sont actuellement persona non grata.

« Toutes les plantes échappées dans la nature ne vont pas s’implanter, se naturaliser et devenir envahissantes pour le biotope environnant », relativise Arnaud Albert, de l’OFB. Quand il s’agit d’introduire une nouvelle espèce dans la liste des EEE, le processus est long et complexe, avec une évaluation des risques très précise. Et la décision finale doit recueillir l’accord de l’ensemble des États membres. « Nous nous heurtons parfois à un fort lobby des fournisseurs de plantes horticoles », reconnaît Alain Dutartre.

Les naturalistes craignent que la crassule de Helms ne soit la prochaine espèce la plus problématique. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Benjamin Blondel

Pour l’heure, les naturalistes attendent impatiemment l’interdiction de la crassule de Helms (Crassula helmsii). Ils craignent tous qu’elle ne soit la prochaine espèce la plus problématique. « Cette plante minuscule a une capacité d’adaptation énorme dans d’eau, mais aussi hors de l’eau. Le moindre fragment de tige devient une bouture viable. En marchant simplement avec des bottes sur une zone de crassule, on peut la disséminer dans d’autres endroits », alerte l’hydrobiologiste.

Interdit, le faux hygrophile repéré en Sarthe

Pourtant, une interdiction ne suffit pas toujours à éliminer le risque. Ainsi, toujours en août 2022, le faux hygrophile, Gymnocoronis spilanthoides, interdit depuis 2019, a été découvert pour la première fois en France en milieu naturel par Francis Zanré, un botaniste sarthois, sur près de 50 m² d’une berge vaseuse de la rivière Sarthe, au Mans.

Provient-il d’un aquarium déversé dans la rivière ? « Exclu, vu les difficultés d’accès motorisé aux rives locales de la Sarthe », juge Francis Zanré. Du rejet dans les égouts d’eau d’aquarium contenant des propagules de la plante ? « On peut douter de la survie des fragments végétaux ou graines aux différents traitements. » Via la navigation ? Ce serait envisageable… Via les oiseaux migrateurs ? Le botaniste estime qu’une mouette, dont beaucoup hibernent sur cette rivière, aurait très bien pu transporter un fragment ou une graine dans sa bague ou sous ses pattes depuis les Pays-Bas où la plante est signalée.

Même interdite, la Salvinia molesta a été découverte dans une jardinerie. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Issempa

Enfin, il existe des failles dans les contrôles. Ainsi, récemment, des plants de Salvinia molesta, interdits depuis plusieurs années, étaient retrouvés dans une jardinerie. « L’entreprise qui avait vendu ces plants à la jardinerie avait été trompée par son propre fournisseur aux Pays-Bas. Les stocks ont été saisis et brûlés », relate Arnaud Albert.

Les vendeurs n’informent pas les acheteurs de plantes

« La prise de conscience commence à se faire, constate Alain Dutartre. Un code de bonne conduite a été mis en place avec les professionnels du secteur en France, réunis au sein de Val’hor. Ce n’est pas parfait, mais c’est un début de coopération. » Une liste dite « de consensus » recense ainsi les plantes que tous les acteurs concernés ne souhaitent plus voir produites et vendues sur l’ensemble du territoire.

Toutefois, dans les faits, les consommateurs sont peu informés des risques que présentent leurs plantes d’aquarium pour la biodiversité. Sur son site, Truffaut consacre une page entière au choix et à l’entretien des plantes d’aquarium. Mais sans un mot sur ce sujet, ni sur les précautions à prendre quand on veut se débarrasser de ses plantes.

L’enseigne assure à Reporterre qu’en magasin, « les consignes sont données, comme pour les animaux, de ne pas rejeter les plantes dans le milieu naturel ». Nous n’avons pas vécu la même expérience. Nous sommes repartis avec notre grenouillette à 7,50 euros sans aucune mise en garde de la part de la vendeuse. Nous n’avons repéré aucun affichage en magasin. Pire : sur le pot de la marque Tropica, il n’y a aucun avertissement sur le risque de propagation non volontaire. Il suffirait pourtant de préciser que la plante doit être jetée à la poubelle, jamais dans l’eau ou dans la nature.

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