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Luttes

Les scientifiques soutiennent Thomas Brail contre l’A69

Thomas Brail en bas du platane situé devant le ministère de la Transition écologique dont il a été expulsé le 24 septembre 2023.

Alors que Thomas Brail est en grève de la faim depuis 33 jours, des scientifiques prennent la parole pour le soutenir. Ils rappellent l’absurdité climaticide du projet d’autoroute A69 contre lequel se bat le grimpeur.

Trente-trois jours sans manger. Au matin du 3 octobre, Thomas Brail poursuit sa grève de la faim, entamée comme ultime recours contre le projet d’autoroute A69 devant relier Toulouse à Castres. Le grimpeur-arboriste, rejoint dans sa grève par quatorze autres personnes, est d’ores et déjà très affaibli mais ne compte pas renoncer tant que ne seront pas suspendus les travaux de l’autoroute.

Il menace désormais d’entamer dès l’après-midi du 3 octobre une grève de la soif. L’homme se dit prêt à aller jusqu’au bout, c’est-à-dire à mourir pour la cause, si son message n’est pas entendu.

Un projet climaticide

Ce message, pourtant, est essentiellement celui de la science. De nombreux scientifiques ont affiché ces derniers jours leur soutien au combat des grévistes de la faim, en plus de leur opposition ferme à ce projet d’autoroute, dont nous vous expliquions déjà en avril les implications climaticides et écologiquement délétères.

On a ainsi vu la climatologue Valérie Masson-Delmotte, ancienne coprésidente du groupe de travail n° 1 du Giec, grimper dans l’arbre que Thomas Brail a un temps occupé en face du ministère de la Transition écologique. Un autre climatologue, Christophe Cassou, ne cesse de dénoncer ce projet d’autoroute anachronique et de soutenir « la force incroyable » des grévistes, « dans la faiblesse physique qui gagne ».

« Je soutiens au nom de la science le combat de Thomas Brail »

« Le constat scientifique, si l’on suit les conclusions des derniers rapports du Giec ou celles du Haut conseil pour le climat, c’est qu’il faut absolument changer radicalement la manière dont fonctionne la société. Et notamment les transports, premier secteur émetteur de gaz à effets de serre en France. Or, ce projet d’A69 est dans la logique d’aménagement du territoire du XXᵉ siècle. », nous dit Jean-Baptiste Sallée, océanographe et climatologue au CNRS.

« Même ses arguments économiques, comme le supposé désenclavement de Castres, sont contredits par la littérature scientifique, poursuit le scientifique. C’est pourquoi je soutiens au nom de la science le combat de Thomas Brail et de tout le collectif qui lutte contre ce projet. » 

Le chercheur est cosignataire d’une lettre ouverte publiée le 24 septembre dernier, demandant d’arrêt immédiat des travaux de l’A69, avec 200 scientifiques membres de l’Atécopol, l’Atelier d’écologie politique, à Toulouse, mêlant de nombreuses disciplines scientifiques.

Rejet unanime

« Dans ce collectif à l’expertise reconnue, pas une seule membre n’est favorable à la construction de l’autoroute A69. Pas un. Pas une. Il s’agit d’un rejet unanime. Autrement dit, la politique d’aménagement du territoire que vous soutenez est contraire à l’avis des scientifiques toulousaines les plus concernées par l’habitabilité de notre planète », écrivent notamment ses auteurs, qui démontent au passage un à un les arguments énoncés par les porteurs du projet.

« Plusieurs personnes mettent aujourd’hui leur vie en danger, engagées dans une grève de la faim, poursuit texte. Leur action peut sembler disproportionnée pour un projet d’aménagement du territoire. Pourtant, elle est à la hauteur des enjeux, et nous saluons leur courage. »

« Ce projet est tellement absurde, tellement à l’inverse de tout ce qu’il faudrait faire »

« On pourrait se dire que ce n’est pas une petite autoroute qui va changer la face du monde. Mais ce projet est tellement absurde, tellement à l’inverse de tout ce qu’il faudrait faire, va tellement à l’encontre de toute rationalité et de tous les impératifs démocratiques et écologiques, que si l’on arrive même pas à l’arrêter, on voit mal comment on pourra prendre les décisions nécessaires et radicales sur d’autres projets », dit au téléphone Jean-Michel Hupé, chercheur en écologie politique au CNRS et aussi membre de l’Atécopol.

« Je comprends donc comment ces personnes en arrivent à désespérer et à mettre leur vie en danger et à se dire prêtes à se sacrifier, ajoute-t-il. Je n’ai pas à me prononcer sur leur choix mais je salue leur courage ».

Des gens « démunis face à la surdité de nos décideurs »

Si beaucoup de chercheurs soulignent la rationalité et la position éclairée des grévistes de la faim, à rebours des procès en illégitimité et irrationalité qui a pu leur être fait, beaucoup s’alarment également du dénouement tragique que pourrait connaître cette lutte.

« Je suis avant tout monté dans l’arbre de Thomas Brail pour lui exprimer ma grande inquiétude quant à la mise en danger de sa santé. Je trouve extrêmement triste que l’on ne puisse pas aborder des questions de fond comme celle-ci avant de devoir en arriver à ce type d’initiative », s’inquiète Valérie Masson-Delmotte.

« Ce qui me frappe, c’est que face à des femmes et des hommes prêts à mettre leur vie en danger, il y ait si peu de réponse politique, et même si peu d’intérêt de la part des politiques. On rencontre de plus en plus de gens complètement démunis face à la surdité de nos décideurs, publics comme privés », déplore Jean-Baptiste Sallée.

« Ça coûterait quoi de le suspendre pour essayer de prendre le temps de se comprendre ? »

En filigrane, transparaît dans l’inquiétude des scientifiques la délicate question de la responsabilité des gouvernants — et de leur inaction — dans le désespoir et la mise en danger des activistes écolos.

« D’un point de vue moral, notre inaction collective pourrait être interprétée comme non-assistance à personne en danger. C’est pourquoi, comme scientifiques, nous devons à minima agir par nos prises de parole, qui sont écoutées. Et les décideurs politiques ont également une lourde responsabilité. Ce projet est en attente depuis des décennies, ça coûterait quoi de le suspendre pour essayer de prendre le temps de se comprendre, étant donné les enjeux ? » demande Jean-Michel Hupé.

« Ce que nous dit la littérature scientifique, c’est aussi que les actions, collectives ou individuelles, issues de la société civile, sont efficaces et nécessaires pour changer les mentalités, dit Jean-Baptiste Sallée. Il appartient maintenant aux responsables politiques de réagir pour que l’issue de cette lutte ne soit pas dramatique. »

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