Du mépris à l’intérêt opportuniste : la mue écolo des Républicains

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PolitiqueLes Républicains, poussés par la vague verte des municipales, entendent eux aussi occuper le terrain de l’écologie qu’ils ont largement négligé. « Task force », « tour de France de l’environnement »... Le parti s’agite mais serine son refus d’une écologie dite « punitive » : pas question de changer de modèle de consommation ou de production.
« Task force environnement », « tour de France de l’environnement », « matinées de l’écologie »... Début septembre, les Républicains (LR) ont déployé un arsenal de projets pour occuper le terrain de l’écologie politique. « Nous avons une réflexion parlementaire pour nous positionner sur les textes législatifs à venir et faire des propositions. C’est la fameuse “task force environnement”, dit à Reporterre Jean-Marie Sermier, député LR du Jura et vice-président de la commission du développement durable. Nous organisons aussi des forums pour définir le credo environnemental du parti, et travailler sur un projet qui nous permettra d’aller en 2022 avec une orientation précise. Ça n’empêche pas d’être prêts pour les élections régionales. »
Les bons scores des Verts aux élections municipales auraient-ils attisé les appétits électoraux ? Si la plupart de ses collègues jettent un voile pudique sur les raisons de leur coming-out écologique, le député LR du Vaucluse Julien Aubert l’admet sans fard : « C’est surtout la vague verte des municipales » qui a créé cette dynamique. Pour Jean-Marie Sermier, la droite dispose pourtant d’un héritage écologique qui légitime cette nouvelle orientation : « Le premier qui a parlé environnement et gaz à effet de serre, c’est Jacques Chirac en 2002 à Johannesburg. Et les premiers qui ont essayé de mettre en pratique la théorie, c’est le Grenelle de l’environnement avec Borloo et Sarkozy ! » Interrogés, les ténors du parti égrènent, inlassables, les faits d’armes du parti en matière d’écologie : inauguration du premier ministère de l’Environnement sous Georges Pompidou en 1971, instauration de la Charte de l’environnement par Jacques Chirac en 2005, Grenelle de l’environnement impulsé par Nicolas Sarkozy en 2007. Autant de victoires symboliques, derrière lesquelles se dissimulent des défaites écologiques infligées… par les élus de droite.
Le premier ministère de l’Environnement ne disposait que d’un pouvoir fragile. « Quel beau ministère dont on a inventé le nom avant de connaître la chose ! » lâchait, moqueur, Jacques Chaban-Delmas. La Charte de l’environnement, passée au forceps par un Jacques Chirac volontaire, pèse autant qu’un poids plume législatif. Quant au consensus initial du Grenelle de l’environnement, il s’est fracturé quand il a fallu déployer des mesures et y accorder des moyens financiers. Issu du Grenelle, le texte sur la culture des OGM-pesticides a été vidé de sa substance par un Sénat de droite. En 2009, Nicolas Sarkozy finira par lâcher, lors du salon de l’Agriculture, l’environnement « ça commence à bien faire ». L’ancien président a continué en dérivant vers le climato-scepticisme en 2016, lançant devant un auditoire de chefs d’entreprise : « On parle beaucoup de dérèglement climatique, c’est très intéressant, mais ça fait 4,5 milliards d’années que le climat change. L’homme n’est pas le seul responsable de ce changement. »

« Ils ont perdu les personnalités qui en faisaient un enjeu primordial, comme Chantal Jouanno »
Comment expliquer ces convictions environnementales aussi fluctuantes ? « La volonté de se saisir de la question écologique a été cyclique, en fonction de la menace que font peser les Verts et de la visibilité publique des enjeux écologistes », dit le politologue Simon Persico, auteur d’une enquête sur les relations entre la droite et l’écologie. Depuis dix ans et la petite phrase de Nicolas Sarkozy, « aucun leader de la droite ni candidat à la présidentielle n’a fait état de cette question ». Une perte de terrain accentuée par la désertion des cadres sensibilisés aux questions écologiques. « Ils ont perdu les personnalités qui en faisaient un enjeu primordial : Jean-Louis Borloo, Nathalie Kosciusko-Morizet et Chantal Jouanno », énumère le politologue.
L’environnement s’est de nouveau effacé de l’agenda. La « task force environnement » aurait dû rendre sa première copie le 4 novembre, mais l’échéance a disparu derrière l’urgence sanitaire, puis les attaques terroristes ont monopolisé l’attention des élus de droite, plus coutumiers du discours sécuritaire. « On s’est dit que ce n’est pas le timing où nous pouvons être entendus sur l’écologie », explique-t-on en interne. Le même contretemps a frappé le « tour de France de l’environnement » d’Aurélien Pradié. Stoppée dans son élan, l’initiative du secrétaire général de LR n’a pu faire qu’une unique étape à Marseille avant de disparaître des radars politiques. Quant aux « matinées de l’écologie », elles n’auront pu tenir que deux sessions.

C’est finalement le 24 novembre, en visioconférence, que Les Républicains ont dévoilé la feuille de route verte du parti. Avec une promesse : atteindre la neutralité carbone en 2050, conformément à l’Accord de Paris. « Tout l’enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique, c’est de consommer le moins d’énergie possible, et la plus décarbonée possible », a annoncé d’emblée Christian Jacob, le président du parti. Pour y parvenir, les élus de droite ont développé les trois axes de leur politique publique écologique : l’énergie, la rénovation thermique et les transports.
Sans surprise, l’atome serait la solution ultime pour décarboner la production d’électricité selon LR. Jean-Marie Sermier, vice-président de la commission du développement durable, l’assure :
La France est déjà une bonne élève avec un taux d’énergie nucléaire élevé. On souhaite pouvoir prospecter tout ce qui est nucléaire en réduisant les risques qui sont complètement maîtrisés par une filière d’excellence au niveau national. »
D’où une opposition catégorique à la fermeture de quatorze centrales nucléaires d’ici 2035 comme le prévoit le gouvernement. Au contraire, Les Républicains souhaitent allonger la durée de vie des réacteurs à soixante ans, et prescrire la construction de six réacteurs EPR supplémentaires. [Un projet est déjà en cours d’élaboration comme le révélait Reporterre].
« Il faut que l’écologie soit pragmatique, pas dogmatique »
Quid des énergies renouvelables ? L’éolien et le photovoltaïque cristallisent les critiques de la droite. « Peu écologiques », « coûteux en métaux rares » et « fabriqués en Asie », ils « sacrifieraient notre souveraineté énergétique ». Autant d’arguments qui motivent la proposition d’un « moratoire sur l’éolien ». Pour décarboner les mobilités, Les Républicains prévoient de doubler d’ici 2030 le fret ferroviaire, en faisant grimper sa part de 9 à 18 %. Ils ambitionnent également de doubler l’utilisation des biocarburants dans le transport routier, et prévoient un grand plan hydrogène d’onze milliards d’euros, là où Emmanuel Macron n’avait mis que sept milliards sur la table. LR prévoit aussi un plan de rénovation visant à isoler les passoires thermiques d’ici 2040, en injectant 239 milliards d’euros sur trente ans pour un objectif de 430.000 logements rénovés par an. Dernière idée : une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, qui permettra de « réduire les émissions mondiales tout en arrêtant la concurrence déloyale ».

En résumé, « il faut que l’écologie soit pragmatique, pas dogmatique » selon Julien Aubert. Un élément de langage ressassé par de nombreux élus de droite, dans une tentative de tailler aux écologistes un costard de croque-mitaines. Le discours est rodé : tout sauf de « l’écologie punitive ». Question philosophie de l’écologie, Jean-Marie Sermier croit « au développement des technologies, à continuer de consommer, d’avoir un confort. Contrairement aux écologistes qui nous emmènent vers une idée de suppression de croissance, voire de décroissance. Je ne vois pas pourquoi il faut expliquer aux jeunes générations qu’on a eu du confort pendant soixante ans, et que maintenant il faut le réduire. »
Une attitude qui ne semble pas à la mesure du défi écologique : « Le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat demande des modifications assez profondes du niveau de vie, des priorités économiques, et du modèle d’organisation et de consommation », observe Simon Persico. « Si vous dites "nous n’allons pas toucher à la consommation et au modèle de production", je ne vois pas de quoi vous parlez en matière d’environnement, soupire le politologue. La question est de savoir quel niveau de priorité vous en faites, et quel compromis vous posez entre développement économique et protection de l’environnement. »