« Écoterrorisme », un mot prétexte contre la lutte écologique

- © Camille Besse / Reporterre
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Politique Luttes LibertésEn traitant les opposants aux mégabassines d’« écoterroristes », Gérald Darmanin privilégie la communication à toute forme de réalité. Il criminalise les militants politiques pour minimiser les crimes climatiques.
Les 5 000 citoyens, élus et paysans, qui ont manifesté les 29 et 30 octobre contre les mégabassines des Deux-Sèvres, auraient « des modes opératoires qui relèvent de l’écoterrorisme », a affirmé, en début de semaine, Gérald Darmanin. Avec cet adjectif, le ministre de l’Intérieur a franchi un nouveau cap dans l’indécence. Il insulte le mouvement écologiste tout en bafouant la mémoire des victimes récentes du djihadisme.
Les responsables politiques à gauche ont beau eu s’indigner — Clémentine Autain a évoqué « un écran de fumée », Olivier Faure une « hystérisation du débat » —, le ministre s’est entêté. Il a répété le terme dans d’autres interventions et prévenu que « la main ferme de l’État sera au rendez-vous ».
En quelques jours, l’offensive contre les militants écologistes a pris une ampleur considérable. Le mot « écoterrorisme » s’est banalisé en devenant un élément de langage parmi d’autres des députés Renaissance et des éditorialistes de droite.
« La destruction de biens n’est pas de la violence »
Sur France info, le nouveau préfet de police Laurent Nuñez — l’ex-bras droit de Christophe Castaner pendant la répression des Gilets jaunes — a déclaré que « plusieurs individus développent une forme de radicalité violente autour de la cause écologiste » et ont un « potentiel violent énorme ». « Un certain nombre d’entre eux sont fichés S au même titre que des terroristes islamistes. Il faut être prudents et nous allons continuer à être vigilants », a-t-il ajouté.
Ces déclarations ouvrent la voie à une répression féroce alors qu’elles n’ont aucun fondement juridique ni sémantique. En perdant le sens du langage, les autorités perdent le lien avec la réalité.
En effet, la définition officielle du terrorisme s’apparente mal avec les actions de sabotage et les heurts du week-end dernier. Le Larousse définit le terrorisme comme un « ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc.) commis par une organisation ou un individu pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays ou d’un système ».

Comme le souligne le politologue et chroniqueur Clément Viktorovitch, « la destruction de biens n’est pas de la violence. Mettre un coup de pioche à un bassin en construction ou sur une canalisation ne peut relever du terrorisme. Des concepts juridiques ont été détournés de leur sens pour décrédibiliser une mobilisation. Que des ministres de la République manipulent à ce point le langage en toute impunité… Cela devrait peut-être nous inquiéter ».
Le terrorisme répond à un statut juridique clair, défini par une directive européenne de 2019 et des textes de loi. Or aujourd’hui, le parquet national antiterrorisme a confirmé, à France info, n’avoir aucune procédure en cours concernant les militants écologistes. L’écoterrorisme n’existe tout simplement pas dans le Code pénal français.
« C’est une manière de criminaliser les militants politiques »
Ce n’est pourtant pas la première fois que le terme est prononcé dans le débat public. Il rejoint l’inflation d’anathèmes dirigés contre les écologistes depuis des années, des « Khmers verts » aux « ayatollahs de l’écologie ». L’écoterrorisme participe à la même rengaine, il nourrit le même stigmate. C’est un spectre qu’aime agiter le pouvoir, même s’il a toujours été démenti par les faits.
Les dits « terroristes » inculpés dans le cadre de l’affaire Tarnac — à qui on reprochait d’avoir saboté des trains qui transportaient des colis radioactifs — ont finalement été relaxés après dix ans de procédure. En 2018, la propagande antizadiste a aussi été largement démontée. Les caches d’armes qu’évoquait Le journal du dimanche lors de l’expulsion de Notre-Dame-des-Landes n’ont, en fait, jamais existé.

En France, l’écoterrorisme ressemble pour l’instant à un pur fantasme. Récemment, le procureur de Grenoble a voulu saisir le parquet national antiterroriste contre les militants qui s’attaquaient aux antennes-relais et à la 5G. En vain, la justice ayant toujours refusé de reprendre ces affaires.
Pour de nombreuses personnalités comme la juriste Vanessa Codaccioni ou l’avocat Raphaël Kempf, l’usage du terme « écoterrorisme » sert en fait une autre finalité. Il ne s’agit pas de décrire une réalité, mais bien de dépolitiser l’action des militants en les criminalisant, voire en pathologisant.
L’histoire de ce mot est sur ce point éclairant. Il s’est développé, au tournant des années 2000, et a été défini par le FBI juste après le vote du Patriot Act aux États-Unis, au lendemain des attentats du World Trade Center. Comme le rappelait le chercheur Romain Huret sur Reporterre, « à l’époque, on ne voulait entendre aucune critique et encore moins celle du capitalisme. Les autorités ont mis en place un arsenal répressif antiterroriste pour attaquer les militants politiques. Des moyens de surveillance massifs ont été déployés et les autorités ont tout fait pour déstabiliser la gauche pacifiste qui comptait de nombreux écolos ».
« Une entreprise pour faire oublier les crimes climatiques »
Le parallèle avec la situation actuelle est frappant. Attac voit dans les déclarations récentes de Gérald Darmanin les mêmes méthodes contre-insurrectionnelles : « Cette stratégie discursive indécente ressemble à une entreprise pour faire oublier les crimes climatiques et la responsabilité du gouvernement », écrit l’association dans un communiqué.

Les militants craignent que ce terme justifie la mise en place d’une guerre de basse intensité contre les écologistes. Ils rappellent que manifester est un droit constitutionnel alors que l’État avait interdit la manifestation et envoyé face à eux « une armée » de plus de 1 500 gendarmes.
Peu à peu, l’État se radicalise. La séquence actuelle s’inscrit dans une longue dérive autoritaire que nous avons décrite depuis plusieurs années, ici ou là. En 2019, Reporterre révélait que le gouvernement mobilisait les services antiterroristes contre les décrocheurs de portraits de Macron. En 2020, le média de l’écologie montrait aussi comment les méthodes de l’antiterrorisme avaient été déployées pour l’enquête judiciaire à l’encontre des militants antinucléaire de Bure (Meuse) avec des dizaines de personnes placées sur écoute, 85 000 conversations interceptées et seize ans de temps d’écoute cumulé.
Face à ces offensives, le mouvement social et écologiste doit se serrer les coudes, estiment désormais de nombreux militants. « Il est fondamental de faire front commun », affirme Attac pour ne pas tomber dans l’écueil de la division. Dans le livre Pour la justice climatique, stratégies en mouvement (Les Liens qui libèrent, 2021), coordonné par Vincent Gay et Nicolas Haeringer, les auteurs rappellent l’importance de la pluralité des modes d’action et du respect entre les différentes branches du mouvement écologiste, celle plus citoyenne et l’autre plus radicale :
« Le caractère pluriel du répertoire d’actions au sein de la cause climatique appelle alors un respect de la diversité des tactiques. Cette dernière notion, issue du mouvement altermondialiste, signifie que malgré les divergences qui peuvent exister entre personnes et groupes mobilisés, nous considérons faire partie d’un vaste mouvement commun, qu’il ne s’agit donc pas de se dénoncer, mais d’agir, si possible ensemble, et sinon séparément. »