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Climat

En 2050, les Pays de la Loire devraient manquer d’eau

Juin 2022. Le niveau d’eau de la Loire est tres bas, voire inexistant par endroit.

Selon le « Giec Pays de la Loire », face aux lourds effets du changement climatique, la région va devoir revoir l’aménagement du territoire et ses modèles agricoles et industriels. L’eau, en particulier, manquera.

Mi-septembre, les Nantais ont été appelés à économiser l’eau du robinet. En cause : la remontée d’eau salée en provenance du littoral et le faible débit de la Loire risquaient de perturber l’alimentation en eau potable de la métropole de Loire-Atlantique. Une conjonction de facteurs qui pourrait se répéter à cause de la crise climatique.

« Les activités économiques [de la région] orientées vers le tourisme, la pêche, l’agriculture, mais aussi la densité de son réseau hydrographique, son patrimoine écologique, sa façade maritime la rendent particulièrement sensible aux effets du réchauffement global », dit Antoine Charlot, directeur du Comité français pour l’environnement et le développement durable (Comité 21) en ouverture d’un rapport publié en juin. Dans un travail de 120 pages, le « Giec Pays de la Loire » — une version locale du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat — présidé par la spécialiste en géopolitique prospective Virginie Raisson-Victor et coordonné par le Comité 21, détaille les connaissances sur l’évolution du climat à l’échelle régionale.

Pendant plus de deux ans, « une vingtaine de chercheurs se sont attachés à caractériser le changement climatique sur notre territoire, leurs causes et les impacts spécifiques », explique Mme Raisson-Victor à Reporterre. Les experts ont aussi collaboré avec les acteurs de terrain « pour confronter les données scientifiques aux réalités du territoire ». Résultat : deux scénarios à l’horizon 2050 (l’un optimiste, l’autre pessimiste, qui correspond à la tendance actuelle des évolutions d’émissions) pour la région [1]. C’est sur ce second scénario que nous nous sommes penchés.

« À Nantes, la température en 2050 sera celle de Biarritz en 2000 »

Selon les projections réalisées par les scientifiques, la région devrait connaître vingt-sept jours supplémentaires de « vagues de chaleur » [2] d’ici 2050. Et soixante-neuf jours de plus à l’horizon 2100 ! « À Nantes et à Angers, la température moyenne en 2050 sera similaire à celle de Biarritz en 2000, a comparé Virginie Raisson-Victor lors de la présentation du document en juin dernier. Et d’ici 2100, la température moyenne à Saumur correspondra à celle de Lisbonne il y a vingt ans. » La température ligérienne se réchauffe effectivement déjà rapidement : depuis soixante ans, elle a crû de 1,5 °C sur le territoire, contre 1,1 °C à l’échelle mondiale.

Autre caractéristique du réchauffement climatique : le régime de précipitations devrait évoluer. « S’il reste difficile à prévoir », deux tendances se dégagent : une intensification des précipitations en été et une diminution des pluies en hiver. Avec moins d’épisodes pluvieux mais plus intenses, les risques d’inondations vont, logiquement, croître. Sept territoires sont particulièrement à risque. Sur le littoral, Saint-Nazaire et la presqu’île de Guérande, Saint-Jean-du-Monts et l’île de Noirmoutier et la baie de l’Aiguillon seront ainsi davantage exposés aux risques de submersion. Car si le marégraphe de Saint-Nazaire a déjà enregistré une hausse du niveau de la mer de 10 centimètres depuis 1980, le niveau pourrait grimper de 38 à 76 cm de plus par rapport à 2005, annoncent les experts.

Territoires à risque important d’inondations. Rapport Giec Pays de la Loire

Submersion, dégâts sur les infrastructures portuaires et augmentation de la salinité de certaines masses d’eau douce sur le littoral (« la remontée d’eau saumâtre dans l’estuaire de la Loire est un bon indicateur », notent les auteurs) accompagneront la hausse du niveau marin. Sur les abords des cours d’eau, les agglomérations de Nantes, d’Angers, du Mans et de Redon seront quant à elles menacées par les crues. Ainsi, la Loire et ses affluents, la Sèvre et l’Erdre, pourraient déborder. De même que la Maine, la Sarthe et l’Huisne, ainsi que la Vilaine entre Rennes et Redon.

Des sécheresses « très préoccupantes »

Déterminante pour l’humidité des sols et le réapprovisionnement des nappes, l’évolution de la pluviométrie pourrait aussi se traduire par davantage de sécheresses. Elles constituent même « l’une des conséquences les plus préoccupantes du changement climatique dans la région », a estimé Virginie Raisson-Victor. « Tous les scénarios prévoient une baisse sensible des ressources en eaux souterraines de la région, mais aussi une diminution des débits des rivières marquée en été et possible en hiver. » Le bassin versant de la Loire sera parmi les plus sévèrement touchés de France, soulignent les experts. À la fin du siècle, le débit de la Loire pourrait avoir baissé de moitié.

La situation est d’autant plus critique que la qualité de l’eau est globalement médiocre dans les Pays de la Loire. Au total, seuls 11,3 % des masses d’eau sont « en bon état écologique » (contre 44 % à l’échelle nationale). En cause : l’artificialisation, l’aménagement des cours d’eau et les pratiques agricoles (irrigation, drainage, apports en fertilisants et pesticides) qui favorisent la détérioration des aquifères [3]. « C’est en Loire-Atlantique, en Vendée et dans le Maine-et-Loire que la dégradation est la plus avancée », notent les experts. Et la situation pourrait encore se détériorer.

Agriculture, aménagement du territoire et industries

La région devra aussi lutter contre l’artificialisation des sols et faire évoluer ses pratiques agricoles et industrielles. Premier secteur émetteur de gaz à effet de serre, l’agriculture contribue à hauteur de 27,7 % des émissions directes de gaz à effet de serre à l’échelle du territoire, les trois quarts (73 %) provenant de l’élevage. À celles-ci s’ajoutent les émissions liées à l’importation d’intrants de synthèse, fertilisants ou pesticides, ou d’alimentation animale. « Chaque année, plus d’un million de tonnes de tourteaux de soja en provenance du Brésil transitent par le port de Saint-Nazaire », dénonce Antoine Charlot.

En outre, « poussée par les besoins en eau accrus en période de sécheresse, la demande d’irrigation pourrait à son tour être de plus en plus difficile à satisfaire », soulignent les auteurs. Dans le Maine-et-Loire, cette demande devrait progresser de 28 % entre 2020 et 2050, estiment-ils. Une situation qui pourrait renforcer les tensions déjà existantes quant à l’usage de mégabassines en Vendée par exemple.

Enfin, la région est attractive. À l’échelle d’une génération, près de 700 000 nouveaux habitants viendront grossir la population ligérienne. Avec eux, la demande en logements, en énergie, en offres de soins et de travail devrait croître. Or, la région est déjà fortement artificialisée. Avec 11,9 % des sols imperméabilisés pour des fonctions urbaines ou routières, elle dépasse déjà la moyenne nationale, située autour de 9 %. Près de 70 % de ces sols sont dédiés à l’habitat, composé de nombreuses maisons individuelles dispersées et d’une part importante de logements secondaires. La présence d’usines en milieu rural ainsi que la pression démographique a aussi poussé les habitants vers la périphérie des villes. Résultat : le nombre de déplacements journaliers ainsi que les distances parcourues ont augmenté depuis 2009. Le réseau routier s’est donc densifié, contribuant à l’artificialisation des sols.

Manifestation à Soudan contre les projets de carrière de sable en Loire-Atlantique. Les opposants dénonçaient notamment l’artificialisation de terres agricoles. © Mathilde Doiezie / Reporterre

Le secteur industriel est aussi très dynamique et ses besoins en eau considérables — les industries agroalimentaires notamment, qui représentent près du quart des emplois industriels. Ce dernier est fortement polluant. Un exemple : les chantiers de l’Atlantique, qui produisent des bateaux de croisière. Fin 2021, ils livraient le Wonder of the Seas, le plus gros paquebot de croisière du monde. Un géant d’acier de plus de 360 mètres de long et qui consomme jusqu’à 270 tonnes de carburant par jour. « Comment les accompagner vers d’autres métiers ? Il existe par exemple d’autres besoins en métallurgie, pour construire les mâts d’éoliennes… », propose Antoine Charlot.

Une série de recommandations en octobre

Ce premier rapport sera bientôt assorti d’un ensemble de préconisations. « Rédigées par les scientifiques du “Giec des Pays de la Loire”, elles seront destinées aux élus et dirigeants ligériens et ont vocation à prioriser les actions permettant de limiter l’impact climatique », explique M. Charlot. Le document comportera une trajectoire réaliste pour atteindre la neutralité carbone, avec des propositions d’action très précises (par exemple le nombre d’arbres nécessaires et les essences les plus adaptées pour capter un certain volume de CO2) mais aussi des orientations générales, comme des modèles de production à adopter. Il devrait être dévoilé dans le courant de l’automne. Le Comité 21 réfléchit déjà à la suite : les effets du changement climatique sur la santé, la biodiversité, et le tourisme pourraient faire l’objet du prochain travail.

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