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Agriculture

En Bourgogne, un vin en biodynamie et en harmonie avec la nature

Ouvrier viticole et historien de l’art, Julien Petitjean cultive aujourd’hui le domaine bourguignon de La Roseraie, 3,5 hectares de vignes en biodynamie. Et suit le principe philosophique d’une simplification maximale des processus de production et de vinification.

Voici dix ans que Julien Petitjean nourrissait l’espoir de travailler à son compte dans les vignes. Celui qui se définit encore comme un tâcheron a tenté plusieurs fois d’acquérir des terres pour produire son propre vin, naturellement. Un beau jour, l’occasion se présente et tout s’accélère. Il est emporté dans un véritable tourbillon.

Il pleut sur le domaine, nous sommes en 2012, Julien Petitjean travaille 80 heures par semaine, il est épuisé, tout est allé trop vite… « C’était un projet nourri depuis longtemps, une vocation, raconte-t-il. Je travaillais depuis dix ans dans le vin, et j’avais manqué plusieurs occasions pour m’installer en Hautes-Côtes de Nuits. En 2011, on me propose une acquisition de vignes, de Beaune-Village, 1,20 ha. Le projet de la Roseraie naît comme cela. J’avais en tête de cultiver ce domaine à la petite semaine, juste pour moi... Sauf qu’une nouvelle occasion s’est présentée à moi : des vignes en location sur Sampigny-les-Maranges, en Hautes-Côtes et en Maranges-Village [1]. »

Impossible de refuser. Le domaine de Julien Petitjean s’agrandit alors à 3,5 ha et lui permet de s’installer administrativement en 2012. « Du projet de bricolage qui m’allait bien, avec un objectif de le développer à moyen terme — cinq ans, parce qu’on est vite débordé dans ce métier —, je suis passé à un vrai domaine... en plus de mon travail d’ouvrier salarié. »

Imaginez : « En 2012, j’ai créé en définitive 9 ha de vignes en production — dont 3,30 ha chez mon employeur et 1,5 que je faisais en même temps. Pour comparatif, en cultivant 3,30 ha vous faites un temps plein. Je faisais donc 80 heures. Cette année a été insupportable, car le projet a pris de l’ampleur de manière inconsidérée et sans aucune maîtrise. Malgré tout, cela m’a permis de faire un beau millésime un peu solaire, il pleuvait beaucoup, d’accord, mais en même temps on avait de belles périodes d’ensoleillement et de belles chaleurs, ce qui est important pour la vigne. Cela nous a permis de commencer avec un millésime plutôt sympathique, qui a eu du succès : deux médailles au concours Burgondia [2] et les beaunes blanc et rouge ont été remarqués par le guide Gilbert et Gaillard, 85 & 89/100 (médailles or). Nous sommes sortis dans la RVF [3]. »

« Des espèces endémiques poussent à nouveau, les sols sont régénérés, des insectes sont là » 

Un succès gagné à la force du poignet. Car en 2012, la vigne est très pauvre, son travail très difficile. Les graines prêtes à naître en sont quasi absentes, l’énergie de germination fait défaut. Elle ne renaît qu’en 2015. « Certaines de mes parcelles, je pense aux Maranges et aux Hautes-Côtes, étaient traitées chimiquement. Dans ces cas-là, une partie de la matière organique s’en va, la vie du sol disparaît et on se retrouve avec des sols qui sont quasiment des substrats de cultures hors-sol. Je vois depuis le début de saison 2015 que la vie est à nouveau dans les sols. »

Quand on est proche de la nature, comme Julien Petitjean, on sait que la saison commence à Noël. C’est un point d’orgue : une fin de saison et un début de cycle, c’est le jour le plus court, la fin de l’hiver, le début du printemps. À partir de Noël, les jours recommencent à s’allonger, la vie revient, la sève remonte, la lumière réapparaît. Cette symbolique est utilisée dans les fêtes religieuses.

« La vie est à nouveau dans les sols. »

« Je voulais absolument m’installer, car je voulais travailler en biodynamie et je n’avais pas l’opportunité de le faire sous forme salariale. Depuis janvier 2015, je constate que des espèces endémiques poussent à nouveau, les sols sont régénérés, des insectes sont là, dans les horizons superficiels, avec les lombrics en premier, qui sont symptomatiques des sols vivants. Des petits mammifères sont de retour : mulots, lézards, serpents, lapins… des animaux qui avaient disparu. »

La plante n’est que ce qu’elle mange, dit l’agriculteur japonais contemporain Masanobu Fukuoka, défenseur des méthodes naturelles. C’est l’un des penseurs qui a le plus influencé Julien Petitjean. Pour lui, l’objectif est donc de bien nourrir la plante pour prévenir tout excès ou manque de vigueur. « Que ta nourriture soit ton médicament », aurait dit Hippocrate. Voilà donc tout le travail du vigneron. Le compost est central, le reste n’est que régulation de la végétation.

« Selon les indications de Steiner, j’applique les tisanes 500 et 501, du compost — végétal essentiellement —, qui reçoit une préparation de tisanes (valériane, camomille, ortie…). Je travaille avec la coopérative viticole Beaune-Sud dans ce sens, ils sont fournisseurs du produit. C’est grâce à eux que l’on peut dynamiser les composts. »

« L’objectif, selon Fukuoka, c’est d’en faire le moins possible » 

La vigne de Julien Petitjean a un profil atypique en Bourgogne puisqu’il travaille essentiellement sur une taille de la vigne appelée en « gobelet » de trois branches — contre une taille Guyot traditionnelle. : « Les tailles courtes, en cordon de Royat et en gobelet, décrit-il, favorisent la prise de tronc et condensent l’énergie, générant ainsi des raisins plus petits. Cet équilibre entre le volume aqueux (le jus) et la partie solide (la pellicule) change la donne au moment de la vinification et de l’expression des vins. Avec de gros raisins (peu de pellicule et beaucoup de jus), le vin exprime plutôt le fruit, en revanche quand cet équilibre est modifié, les arômes évoluent. »

« Ensuite, je pratique en général des ébourgeonnages très sommaires : la vigueur de mes vignes est plutôt bien calculée (elle n’est pas surnourrie). Un vigneron peut se prémunir en disant qu’il va nourrir la plante plus qu’elle n’en a besoin et ôter le superflu plus tard. Il me semble que c’est une erreur, cela fragilise la vigne. Un peu comme une personne en surpoids, cela ne fonctionne pas. L’objectif, selon Fukuoka, c’est d’en faire le moins possible : je ne dois pas me lever le matin pour aller combattre des moulins », rappelle Julien Petitjean.

« Une œuvre est réussie quand vous avez arrêté d’enlever des choses. Dans tous les domaines, vous pouvez en ajouter des couches, mais fondamentalement vous vous égarez. »

Aujourd’hui, pour ses vins rouges, il fait des essais de vinification avec 100 % de grappes entières, non foulées, non égrappées, avec pour objectif d’effectuer le moins d’interventions possible entre le coup de sécateur et le moment de la mise en bouteille. Un a priori philosophique que l’ex-historien de l’art revendique. « Une œuvre est réussie quand vous avez arrêté d’enlever des choses. Dans tous les domaines, vous pouvez être un sophiste et en ajouter des couches, mais fondamentalement vous vous égarez. »

Pour aller droit au but, l’idée, c’est d’en faire le moins possible. D’où cet objectif de limiter les interventions. Non pas par paresse, mais simplement pour extraire ce qu’il appelle poétiquement la « transcendance du fruit ». Dans une optique de classement des climats de Bourgogne au patrimoine mondial de l’Unesco, l’expression du terroir doit être la plus franche possible. Si celle-ci est gommée par des actions d’œnologie, par une vinification compliquée, le vin perd son aura, selon le jeune vigneron.

« Désormais, l’équilibre du vin me plaît » 

Résultat : « Aujourd’hui, puisque les raisins sont triés à la vigne par les vendangeurs et que, dans mes caisses, il n’y a que de bons raisins, je voudrais les prendre, les mettre dans mes cuves, les vinifier sobrement et après un élevage réfléchi, les mettre en bouteille. J’en suis presque là, puisque je vinifie sans soufre, j’élève en barriques traditionnelles en fûts de chêne bourguignon de 228 litres [4]. »

« Économiquement, à l’heure où je parle, le domaine ne me permet pas de vivre. Surtout au regard des dernières saisons de grêle et de gel. »

Julien réalise, par assemblage, des cuvées qui font entre 5 et 8 pièces. Après l’élevage en fûts, elles patientent en cuve un second hiver. Un moment charnière, qui a pour vertu de stabiliser le vin, lui donnant une précision supérieure au cas de la mise en bouteille juste après assemblage. Il a également pour avantage de sédimenter les particules en suspension. Après trois années, Julien Petitjean est plutôt satisfait de sa production. « Désormais, l’équilibre du vin me plaît, mais économiquement, à l’heure où je parle, le domaine ne me permet pas de vivre. Surtout au regard des dernières saisons de grêle et de gel. »

En parallèle, le jeune vigneron développe un vrai intérêt pour l’aspect technique de la culture de la vigne : « Je travaille à l’élaboration de nouveau matériel. » Lui ne fonctionne qu’avec des outils légers : petit chenillard et outils portatifs. Une position cohérente à la rencontre entre son goût pour l’authenticité des techniques anciennes et son appartenance à une génération née avec les nouvelles technologies. « Tout ce que j’espérais trouver dans le commerce n’existe pas. C’est fou ! Nous vivons une ère technologique : globalement, à part du café, on peut tout faire à l’iPhone… et pourtant, on passe toujours un énorme tracteur de 12 tonnes pour griffer un sol fragile de vignes. Ce n’est pas très cohérent avec ce que l’on sait de l’agronomie moderne. »


Cet article a été publié initialement sur le site Animavinum et est repris avec son accord.

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