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Habitat et urbanisme

En France, les sécheresses répétées attaquent des millions de maisons

Les fissures causées par la sécheresse sur cette maison ont dues être colmatées.

La sécheresse provoque chaque année plusieurs centaines de millions d’euros de dégâts colossaux sur les maisons. Le réchauffement climatique accroît le phénomène, au point de mettre en danger un régime assurantiel déjà très inégalitaire, où les victimes luttent pour faire valoir leurs droits.

En rentrant de vacances, Yvette était loin de s’imaginer dans quel état elle allait retrouver sa maison. « La porte-fenêtre était cassée, nos volets ne s’ouvraient plus et une fissure en forme d’escalier était apparue à l’extérieur de la maison », se souvient la retraitée comme si 2018 était hier. 

Cette année-là, l’été a été particulièrement chaud dans l’Ain, avec des pics de chaleur à 35 °C et une alerte canicule qui avait duré deux semaines. Yvette a compris rapidement, grâce à un maçon, que les fissures apparues autour de sa maison partaient des fondations. « Nous avons réalisé, à nos frais, une étude de sol pour savoir à quels endroits précis la fondation avait cédé. »  

La maison d’Yvette a eu besoin de coûteux travaux pour être remise en état. © Estelle Pereira / Reporterre

Le résultat est limpide : sa maison, construite en 1982, repose sur une couche d’argile sensible au phénomène de retrait-gonflement. Selon la cartographie effectuée par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), 60 % des sols métropolitains sont concernés, dont 20 % moyennement ou fortement. Yvette, comme la plupart des sinistrés interrogés par Reporterre, n’avait jamais entendu parler de ce fléau qui touche pourtant les biens immobiliers de milliers de personnes. Selon la Fédération française des assurances, entre 1988 et 2013, les assurances ont indemnisé pas moins de 598 000 sinistres relatifs à la sécheresse pour un montant de 7,6 milliards d’euros. Quant au Commissariat général du développement durable, il estime que 4 millions de maisons seraient « potentiellement très exposées » à cet aléa. 

Comme une éponge, les sols argileux se dessèchent pendant les épisodes de fortes chaleurs et en l’absence de précipitations. À l’inverse, à l’apparition des premières pluies, ils redeviennent « souples et malléables ». « La succession plus ou moins rapide de ces variations peut engendrer des déplacements préjudiciables au bâti », confirme le BRGM.

Carte d’exposition des formations argileuses au phénomène de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols (France, 2020). © BRGM

Le retrait-gonflement des argiles et son impact sur les fondations est un phénomène connu et étudié depuis les années 1980. Il a même été reconnu comme relevant du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. C’en est même la deuxième cause d’indemnisation, après les inondations. Ce régime assurantiel, dit CatNat et instauré par la loi du 13 juillet 1982, a été conçu pour mutualiser la prise en charge des dommages liés aux aléas climatiques (inondations, mouvements de terrain, séismes, avalanches, tempêtes) entre l’État et les assurances privées. 

Toute personne souscrivant à une assurance habitation ou automobile paye une prime (en moyenne 18 euros par an). En contrepartie de cette obligation de couverture, l’État permet aux compagnies d’assurances de souscrire à une offre de « réassurance publique ». Autrement dit, en cas de catastrophe naturelle pouvant mettre en berne leur solvabilité, l’État assure les assurances, via la Caisse centrale de réassurance (CCR), société anonyme détenue à 100 % par l’État. La CCR prévoit que les dommages causés par la sécheresse devraient doubler voire tripler d’ici le milieu du XXIᵉ siècle. 

« La particularité des dégâts de la sécheresse, c’est qu’ils sont visibles plusieurs mois, voire plusieurs années après »

Gérald Grosfilley, comme bon nombre de ses concitoyens, a appris le fonctionnement du régime CatNat, quand il a découvert des fissures sur sa maison après la canicule de 2003. « La particularité des dégâts de la sécheresse, c’est qu’ils sont visibles plusieurs mois, voire plusieurs années après les épisodes de grosses chaleurs. Il faut donc prouver à l’assurance que c’est bien la sécheresse qui les a provoquées », explique le fondateur de l’association d’aide aux sinistrés Les oubliés de la canicule

La première étape pour que la sécheresse soit reconnue passe par le dépôt d’un dossier du maire auprès de la préfecture. « Dans mon cas, le maire avait refusé de faire la demande de reconnaissance en catastrophe naturelle », se souvient Gérald Grosfilley. Alors conseiller municipal à Lons-le-Saunier (40 000 habitants), il a organisé une réunion publique sur le sujet et découvert que d’autres habitants étaient dans le même cas. « En 2003, le Jura était coupé en deux. Une première moitié avait été reconnue, l’autre refusée sans aucune explication. J’avais de la chance d’être ami avec le maire de Lons-le-Saunier, Jacques Pélissard, à cette époque président de l’Association des maires de France. » Sans ce lobbying local, selon lui, les dossiers n’auraient pas bougé d’un iota. « Notre mobilisation a permis de faire reconnaître toutes les communes du Jura », dit-il. 

Travaux de colmatage sur une maison endommagée par la sécheresse de 2017, dans la Drôme. © Estelle Pereira / Reporterre

Le manque de transparence sur le fonctionnement de la reconnaissance des catastrophes naturelles a été pointé du doigt par une mission d’information du Sénat dans un rapport paru en 2019. Les sénateurs demandent expressément que soit « présentés avec plus de pédagogie les motifs de refus de reconnaissance, par une publication des motivations en préfecture et une meilleure formation des services déconcentrés ».

L’association Les oubliés de la canicule, « réactivée » après la sécheresse de 2018, accompagne gratuitement des milliers de personnes. « Sans l’aide d’un expert d’assuré, il est impossible d’obtenir des réparations pérennes », avertit Hélène Niktas, référente dans l’Ain de l’association. « On a des assurances qui, malgré l’étude de sol et la reconnaissance de la CatNat, refusent de financer les travaux. On a des personnes qui ont eu des travaux de colmatage qui n’ont pas tenu. On a des gens qui sont au judiciaire parce qu’ils ont été radiés par leur assurance pour désaccord. » 

La bataille des experts

D’après les nombreux témoignages recueillis par Reporterre, l’histoire est toujours à peu près la même. L’assurance dépêche un expert qui va ausculter la maison et trouver ce qui pourrait avoir provoqué les fissures, en dehors de la sécheresse. « Un arbre trop proche de la maison, une fuite dans les canalisations, la charpente qui a chauffé à cause de la chaleur », énumère Corinne Gasdon, présidente de l’association Fissures 26 et victime de la sécheresse de 2017, dans la Drôme. Débute alors ce qu’elle nomme « la bataille des experts »

Sans la contre-expertise d’un professionnel, les chances d’obtenir réparation pour les assurés sont moindres. « Selon la Cour de cassation, si la sécheresse est l’une des causes déterminantes des dégâts, la garantie doit jouer. Mais ça, peu d’experts travaillant pour les assurances le savent », précise Bruno Souillard, expert d’assuré, spécialisé dans les sinistres sécheresse : « 50 % de ma clientèle sont des "dossiers repêchés", de personnes en conflit avec leur assurance ou qui ont eu des travaux qui n’ont pas tenu. » Rémunéré en pourcentage de l’indemnisation que recevra finalement le sinistré, l’expert d’assuré a tout intérêt à ce que les dossiers aboutissent.

« Des personnes âgées restent dans leurs maisons fissurées, de véritables passoires, sans moyen pour faire valoir leur droit »

Versement d’une franchise à 1 520 euros (contre 380 pour tous les autres sinistres), financement d’une étude de sol prouvant la présence d’argile (celle-ci pouvant aller jusqu’à 5 000 euros), démarches administratives lourdes, autant de barrières qui, selon Gérald Grosfilley, empêchent la majorité des victimes d’obtenir réparation. « Des personnes âgées restent dans leurs maisons fissurées, de véritables passoires, sans moyen pour faire valoir leur droit », confirme Hélène Niktas, « Après on nous parle de réduire notre consommation énergétique… »

Depuis 2018, cette bénévole vit avec des fissures dans sa maison qui font, selon la période de l’année, plus d’un centimètre de large. «  Le problème venant du sol, si les travaux ne sont pas effectués à ce niveau, forcément, le phénomène est amené à s’aggraver dans le temps. C’est là où l’on rentre en contentieux avec les assurances. Elles essaient souvent, parce que ce sont des dossiers onéreux, de privilégier le colmatage des fissures, au détriment de travaux directement dans les fondations », dit-elle. Les travaux durables, dans ce cas, consistent en l’installation de micropieux.

Des micropieux servant à la construction de nouvelles fondations. Cette intervention est la seule à ce jour à garantir au maximum la fin de l’impact du retrait-gonflement des argiles sur les fondations des maisons. © Estelle Pereira / Reporterre

« Les micropieux sont des tubes métalliques, qui vont prendre la charge de la maison pour la répartir sur des terrains durs qui ne subissent pas la sécheresse », explique Patrice Bonneau, directeur de Soltechnic, une société spécialisée dans ce type d’installation. « Le prix des travaux varie selon la taille de la maison, la typologie du terrain et le nombre de micropieux. Ils peuvent s’élever entre 20 000 et 250 000 euros. » Pour la maison d’Yvette, les travaux en cours sur sa maison de 140 m² sont estimés par l’assurance à près de 190 000 euros. Si ces travaux durables étaient mis en œuvre pour tous les propriétaires concernés, les sommes déboursées menaceraient l’équilibre du régime catastrophe naturelle. À ce jour, les chiffres de la CCR estiment l’indemnité moyenne concernant la sécheresse à 25 000 euros par sinistré.

En 2020, 4 979 communes ont fait une demande de reconnaissance sécheresse, 2 450 l’ont obtenue. « C’est une question plus politique que scientifique, a observé Pierre Pannet, directeur du BRGM dans les Haut-de-France, lors de son audition par le Sénat, en avril 2019. Parce qu’il est clair qu’aujourd’hui, la majorité des sinistres ne sont pas reconnus. » Il est revenu sur la méthode de calcul de cette reconnaissance, qui prend en compte des données moyennes, comme la pluviométrie des 25 dernières années : « Dans les scénarios de Météo France, la sécheresse de 2003, c’est tous les trois à cinq ans en 2050. » 

Des sécheresses qui deviennent la norme

Plus la sécheresse deviendra la norme, plus il sera difficile de faire reconnaître celle-ci d’un point de vue juridique comme un événement imprévisible, caractéristique des catastrophes naturelles. C’est pourquoi, dans ses recommandations, le Sénat évoque comme solution une éventuelle hausse de la surprime catastrophe naturelle de 12 % à 18 % ou encore la création d’un régime spécial pour les sinistres dus à la sécheresse, sans plus de précisions. 

Mais en attendant, que faire pour éviter que des sinistrés ne se retrouvent ruinés, à cause d’une maison, l’investissement de toute une vie, devenue invendable ? Le volet prévention reste à ce jour quasi inexistant. C’est seulement depuis le 1ᵉʳ janvier 2020 que les vendeurs d’un terrain constructible non bâti ont l’obligation d’effectuer une étude de sol. Et ce, seulement dans le cas où leur parcelle est située dans une zone à risque moyen et fort selon les données du BRGM, soit sur 21 % du territoire métropolitain.

« Il est toujours possible de construire sur un sol argileux. Mais si on vient à approfondir les fondations, on va utiliser plus de béton et les travaux seront plus coûteux », analyse Sébastien Gourdier, ingénieur au BRGM. Ce qui va à contre-courant de l’objectif fixé par la loi Climat et résilience de baisser le rythme d’artificialisation des sols de 50 % d’ici 2030. À moins que la loi évolue pour faciliter le développement de l’habitat léger, qui, lui, est sans fondations…

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