En Haute-Savoie, le vélodrome « insensé » qui ne passe pas

Le projet Haute-Savoie Arena comprendra un vélodrome, une piste de BMX, un mur d’escalade... Ici, le vélodrome de Londres lors des Jeux olympiques de 2012. - Flickr/CC BY-NC-ND 2.0/Marc
Le projet Haute-Savoie Arena comprendra un vélodrome, une piste de BMX, un mur d’escalade... Ici, le vélodrome de Londres lors des Jeux olympiques de 2012. - Flickr/CC BY-NC-ND 2.0/Marc
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Luttes SportsDans la commune de La Roche-sur-Foron, entre Genève et Annecy, un collectif s’oppose à la construction d’un vaste complexe sportif et culturel, imaginé à l’occasion des Championnats du monde de cyclisme 2027.
La Roche-sur-Foron (Haute-Savoie), reportage
« Puisqu’il n’y a pas de référendum, nous allons nous débrouiller seuls pour informer les habitants au mieux et leur donner voix au chapitre. » Martine Lemercier, du collectif Non au Vélodrome Arena, espère qu’une centaine de personnes, au moins, se déplacera le 2 mars pour l’événement au Parc, le petit cinéma de La Roche-sur-Foron (Haute-Savoie). Depuis le mois de janvier, ce mouvement réunit citoyens, élus, militants associatifs et organisations de désobéissance civile pour lutter contre un projet de grande ampleur qu’ils et elles considèrent comme « insensé » et « imposé » : la construction d’un immense complexe sportif et culturel à l’occasion des Championnats du monde de cyclisme 2027, organisés en Haute-Savoie.
Au mois de septembre, le département — représentant la France — a été choisi par l’Union cycliste internationale (UCI) pour accueillir cette compétition sportive qui rassemblera 3 000 athlètes de toutes les nationalités. « Une opportunité sans égale, selon le président du conseil départemental Martial Saddier, contacté par Reporterre. Cela permet de nourrir le lien entre notre territoire et le cyclisme. » La Haute-Savoie coche toutes les cases, sauf une. Elle doit être en mesure d’accueillir l’épreuve de piste sur un vélodrome : un anneau de vitesse, composé d’un tracé de 250 mètres en bois et incliné.

Mais le projet Haute-Savoie Arena est d’une autre ampleur : un complexe modulable de 18 000 m2, comprenant bien sûr un vélodrome homologué, mais aussi une piste de BMX, un mur d’escalade, des couloirs de course à pied, un espace de e-sport ou encore une salle de spectacle de 10 000 places. De quoi laisser un « héritage » au territoire qui, selon l’exécutif départemental, « manque cruellement d’un équipement comme celui-ci, alors que sa population explose ».
La commune de La Roche-sur-Foron a donc été désignée comme hôtesse idéale : située entre Genève, Annecy et Chamonix et desservie par le train comme par l’autoroute, elle présentait un troisième avantage, tient à souligner Martial Saddier : « L’Arena sera construite sur le parking de Rochexpo [parc d’exposition, rénové l’année dernière pour 20 millions d’euros], ce qui permettra de ne pas artificialiser de nouvelles terres agricoles. »
« Non au Vélodrome Arena ; oui à des millions pour l’éducation »
S’il est entendu, l’argument est bien loin d’apaiser les opposants, qui dénoncent un « non-sens » en pleine transition écologique et sociale. La colère, d’abord traduite par quelques timides manifestations puis par une pétition recueillant 19 000 signatures, à la fin de l’année dernière, a finalement donné naissance au collectif qui rassemblerait aujourd’hui « plusieurs centaines de locaux ».
À La Roche-sur-Foron, des panneaux fleurissent ainsi aux fenêtres : « Non au Vélodrome Arena ; oui à des millions pour l’éducation ». Alors que le département annonce un budget fixe aux alentours de 62 millions d’euros pour le projet Haute-Savoie Arena, ses opposants estiment qu’il dépassera les 100 millions. « Tout cela pour une poignée de sportifs professionnels et un événement éphémère, quand on sait que le territoire a des besoins prioritaires, comme le financement des maisons de retraite, le travail sur les collèges ou la rénovation énergétique », s’indigne Benoît Chambourdon, conseiller municipal de la liste minoritaire La Roche autrement.

Ces citoyens, élus, responsables associatifs ou activistes affirment être laissés « dans l’inconnu » à mesure que s’allonge la liste des préoccupations. Économiques d’abord. « Comment un tel investissement pourra-t-il être rentabilisé, dans une petite ville de 11 000 habitants, et face à d’autres structures concurrentes ? » s’inquiète Martine Lemercier, citant l’Arcadium d’Annecy ou l’Arena de Genève.
Environnementales, ensuite. Les manifestations organisées devraient générer une augmentation de la densité du trafic, dans une vallée déjà minée par la pollution de l’air. « Il faut aussi penser à la bétonnisation des sols : si l’Arena est construite sur l’actuel parking, il faudra bien créer un nouvel espace de stationnement. » Le maire de La Roche-sur-Foron, Pierrick Ducimetière, affirme que ces questions font l’objet de points de vigilance : « Nous allons, bien sûr, imaginer une porte d’entrée verte pour le lieu. » Mais Martial Saddier, qui a accepté de recevoir les membres du collectif le 30 janvier dernier, oppose pour le moment l’inévitable « confidentialité » d’un marché encore en cours, les candidats retenus devant « rendre la copie » début juin.
La crainte d’un « passage en force »
Ce délai n’empêche pas, toutefois, le président du département de se projeter dans l’avenir : « Nous avons déjà reçu de nombreuses demandes d’établissements scolaires et de clubs d’activités pour utiliser l’Arena, car c’est aussi ça l’objectif : augmenter le niveau et faire rêver les jeunes sportifs, notamment les jeunes cyclistes de la région. » Un comble pour la présidente de France Nature Environnement 74, Anne Lassman-Trappier : « Le département est, en réalité, loin d’être favorable au vélo : nous sommes très en retard sur les aménagements comme les voies cyclables ou les véloroutes. »
La fédération FNE a fait le choix de ne pas se positionner publiquement tant qu’elle n’aura pas accès à des éléments plus concrets, « mais cette Arena rejoint assurément une série de chantiers qui ne vont pas dans le bon sens pour la transition, et donc le futur du territoire ». Ces derniers mois, les Haut-Savoyards ont vécu de près le conflit entourant le projet de retenue collinaire de La Clusaz, et à quelques kilomètres seulement, c’est le possible aménagement du plateau de Cenise en domaine de ski nordique qui commence à faire des remous.

« Ce que l’on peut craindre, avec ces projets, c’est la tentative du passage en force », ajoute Anne Lassman-Trappier. À La Roche-sur-Foron, la demande de référendum poussée par la minorité au conseil municipal a été refusée, la mairie assurant que la population serait consultée lorsque les éléments plus concrets du projet seront communiqués. « Le sceau du secret est utilisé pour mettre, au moment venu, tout le monde devant le fait accompli », estime de son côté Fabienne Grébert, élue EELV à la mairie d’Annecy et au conseil régional.
En attendant, les opposants ont un programme précis : informer d’abord, agir ensuite. Pour, enfin, convaincre avec une solution clé en main : « Nous suggérons de déplacer les quelques épreuves de piste sur le vélodrome national de Saint-Quentin-en-Yvelines, explique Frédéric Gielly, ancien compétiteur cycliste et membre du collectif. L’équipe de France y a ses habitudes et c’est là qu’auront lieu les Jeux olympiques. » Contactée, l’UCI n’a pas souhaité répondre à notre demande d’entretien.