En raison de la trêve hivernale, l’expulsion de nombreux zadistes serait illégale

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Notre-Dame-des-LandesLa trêve hivernale, qui court du 1er novembre au 31 mars, rend illégale cet automne l’expulsion d’une partie des maisons et terrains de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, selon de nombreux juristes.
- Nantes (Loire-Atlantique), correspondance
Le temps était aux douceurs d’un automne indien, ce jeudi matin 3 novembre, et le soleil était bienveillant devant le tribunal de Nantes : un petit groupe de zadistes y a détaillé avec leur avocat et le porte-parole national de l’association Droit au logement ! (DAL !) leur caractère non expulsable avant la fin de la trêve d’hiver, le 31 mars prochain. La veille, un communiqué commun du DAL !, du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la magistrature avait enfoncé le clou.
« C’est notre petite contribution à la lutte, en espérant que cela empêche le pouvoir d’expulser dans l’immédiat, mais ce n’est qu’une question juridique, ce qui compte, c’est le rapport de force, les enjeux de cette lutte, pour laquelle le DAL ! a toujours soutenu les occupants, depuis le début du mouvement », note Jean-Baptiste Eyraud, le porte-parole de l’association.
On voit mal le gouvernement, qui clame haut et fort le respect de l’état de droit, passer outre cet obstacle et s’asseoir sur le respect élémentaire de dispositifs légaux.
Tout tient dans le repli des différents jugements prononcés pour expulser les habitants de la Zad, qu’ils et elles résident dans des maisons en dur, préexistantes à leur arrivée, ou dans des cabanes ou des nouvelles constructions. Pour au moins 14 de ces jugements, les magistrats n’ont rien précisé quant à la trêve hivernale, du 1er novembre au 31 mars. Normalement, en rédigeant le jugement, il leur aurait fallu spécifier expressément que le bénéfice de la trêve hivernale était retiré aux personnes déclarées comme habitant ces lieux occupés. Mais, en l’absence de cette mention, la trêve d’hiver est légalement due aux zadistes. Si le gouvernement respecte ces éléments de droit, la Zad, en tant qu’entité et périmètre, n’est donc pas expulsable en entier avant la fin du mois de mars.
« Il s’agit a minima de 14 des 60 lieux de vies de la Zad »
L’autre hic, c’est que le propriétaire des parcelles et des maisons, l’entreprise AGO Vinci, n’a pas fait venir d’huissier sur les lieux de vie pour relever les identités des gens qui y habitent, et lancer, comme le prévoit la loi, des procédures nominatives. Il semble qu’il ait utilisé la formule d’ordonnance sur requête, qui considère que les gens à expulser sont impossibles à identifier, et que la justice se passe donc de cette étape. Ce type d’ordonnance est possible si le propriétaire prouve son incapacité à identifier les occupants. Cette procédure expéditive se fait sans communication publique, sans débat contradictoire avec les occupants, donc sans possibilité d’exercer le moindre recours et de demander des délais.
Mais dans le cas de la Zad, les habitants et habitantes se sont fait connaître nommément à Vinci en fournissant leur état civil, précisant bien la maison, la parcelle occupée. Ils ont, de plus, tenté d’obtenir des greffes des tribunaux la trace de telles procédures, la confirmation de leur existence. Aucune réponse. « Ça fait un mois qu’on court après. » Ils se sont déplacés le 20 octobre au cabinet des avocats nantais de Vinci pour avoir connaissance de ces procédures. Ceux-là ont refusé de communiquer le moindre document ou renseignement. Seule réponse : une nasse de la police à la sortie dans le calme de l’immeuble et 35 interpellations.

Du dessous de son bonnet, la voix d’une zadiste précise : « Je veux ajouter qu’il s’agit a minima de 14 des 60 lieux de vies de la Zad. D’autres lieux sont peut-être concernés par des procédures cachées d’ordonnances d’expulsion sur requête, mais on n’en sait rien puisque ces procédures nous sont maintenues cachées… Souvent présentée à tort comme illégale, l’occupation d’un logement vide n’est pas un délit, c’est juste un conflit entre un propriétaire et un occupant. Il n’y a rien dans le Code pénal contre le squat », ajoute-t-elle. « C’est vrai, ce n’est pas une infraction », confirme Me Stéphane Vallée, avocat au barreau de Nantes.
Les irrégularités constatées font dire au DAL !, au Syndicat des avocats des France et au Syndicat de la magistrature qu’elles bafouent « plusieurs principes fondamentaux du droit français et européen », notamment trois, les droits à un procès équitable, à un recours effectif, et à la suspension de l’expulsion pendant la trêve hivernale.
- Le droit à un procès équitable est contredit par les ordonnances sur requête, par lesquelles les occupants ne sont ni convoqués ni avertis de l’audience. Les tenir délibérément à l’écart de la procédure réduit à néant leurs droits normaux d’explication contradictoire pour faire valoir droit et entendre leurs arguments ;
- Le droit à un recours effectif est nié par le refus opposé aux occupants d’avoir communication des ordonnances d’expulsion les concernant, ce qui les prive des voies de recours pour contester en droit ces mesures, ou pour saisir le juge de l’exécution afin de tenter d’obtenir des délais destinés à leur laisser le temps de quitter les lieux en trouvant une alternative au logement ;
- Le droit à la trêve hivernale, ou plus exactement le « droit à suspension de l’expulsion pendant la trêve hivernale », n’est pas non plus respecté. En cas d’occupation, un juge peut retenir la notion de « voie de fait », qui désigne l’absence de titre, par exemple un contrat de bail, voire une effraction, des parpaings descellés, une entrée forcée ou une porte dégondée. La voie de fait n’est pas mentionnée dans au moins 14 des procédures et quand bien même le terme serait présent, il faut que le juge précise que la trêve hivernale est refusée. « C’est la loi Alur de 2014 qui a prévu cette disposition où c’est au juge de préciser que le bénéfice de la trêve hivernale est retiré. S’il ne dit rien, la trêve hivernale s’applique et gèle les procédures. Avant, c’était le contraire : la trêve n’était accordée que si le juge le mentionnait », note Jean-Baptiste Eyraud.
L’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution a alors étendu la trêve d’hiver jusqu’au 31 mars, quinze jours de plus que précédemment, en précisant que « le juge peut supprimer le bénéfice du sursis prévu au premier alinéa [la trêve d’hiver] lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait ». Il « peut », soulignent les juristes, il n’est pas inscrit qu’il « doit ». Le juge choisit donc à chaque fois, à chaque jugement. Et là, pour la Zad, aucun des juges n’a apparemment coché la case excluant de geler toute expulsion pendant la saison d’hiver. L’inversion de l’usage de mentionner ou pas la trêve hivernale depuis la mise en application de la loi Alur de mars 2014 explique peut-être cet oubli
« Un comble que ce soient nous qui mandations des huissiers pour assigner Vinci en justice »
« Les médias ont relayé ces derniers jours des annonces de l’expulsion prochaine des occupants de Notre-Dame-des-Landes alors que la trêve hivernale a débuté depuis le 1er novembre. Or, les décisions [les jugements] dont nous avons pris connaissance n’autorisent pas l’expulsion pendant cette trêve. C’est donc à une violation d’une décision de justice que le préfet qui accepterait de prêter le concours de la force publique se livrerait », écrivent conjointement le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et Droit au logement dans leur communiqué.

La riposte imaginée par les défenseurs de la Zad, c’est d’assigner AGO Vinci en tant que propriétaire, le forçant à dévoiler les pièces des procédures jusqu’ici occultes, afin de déposer des demandes de rétractation des ordonnances. Le but de ce référé, qui doit donner des résultats d’ici deux à trois semaines, est soit d’annuler ces procédures expéditives, asymétriques et secrètes, soit de revenir à une procédure contradictoire. Le litige se règle devant le tribunal de grande instance pour les parcelles nues, ou dotées d’une habitation légère, cabane ou autre, et devant le tribunal d’instance pour les parcelles où un bâtiment est occupé.
Le problème, note Me Stéphane Vallée, « c’est que l’on est obligé de lancer ces assignations un peu à l’aveugle » en espérant que le propriétaire est bien AGO Vinci, la transmission de propriété du département à la société concessionnaire du projet d’aéroport ayant bel et bien été effectuée partout. « C’est un peu un comble que ce soient nous qui mandations des huissiers pour assigner Vinci en justice, s’amuse un des porte-parole des zadistes. On n’avait jamais fait ça... »
Les suites données à cette tactique intéressent grandement les militants du DAL ! « On sera attentifs aux résultats de ces demandes en rétractations faites au propriétaire. Ça fera jurisprudence. Jusqu’ici, nous on n’a jamais fait ça », sourit Jean-Baptiste Eyraud.