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ReportageAlternatives

En roulottes et à cheval, sur la route avec un cirque écolo

Depuis 1976, le cirque Bidon parcourt la France et l’Italie... à roulottes et chevaux. Cette troupe unique en son genre revendique de prendre le temps, et d’aller « là où les gens vivent ».

Châteaumeillant (Cher), reportage

Sur le bas-côté, les automobilistes n’en reviennent pas. Voitures à l’arrêt, ils sont plusieurs à avoir saisi leur smartphone pour immortaliser la scène : six roulottes tirées par des chevaux, qui avancent doucement, le long de la route départementale bordée de champs. Il n’est même pas 11 heures, mais le soleil tape déjà fort. Par-ci, par-là, quelques chênes procurent une ombre bienvenue aux animaux et à leurs guides.

Ce convoi inhabituel, c’est celui du cirque Bidon. Depuis 1976, la troupe sillonne les routes de France et d’Italie. François Rauline, dit « François Bidon », est un de ses fondateurs : assis à l’avant de la première roulotte, il ouvre la marche.

Jusqu’en septembre, le cirque va parcourir la région Centre-Val de Loire, traversant l’Indre, le Cher, la Nièvre, l’Allier et la Creuse. © Mathieu Génon/Reporterre

Il en impose, François, avec sa longue tignasse blanche et son air un peu bourru. « Dans les années 70, j’étais ciseleur sur bronze à Paris. J’ai tout laissé tomber pour partir voyager », raconte l’homme de 75 ans, les yeux bleus pétillants. Sur sa route, il a rencontré une ancienne trapéziste qui vivait dans les bois, dans l’est de la France. C’est cette histoire d’amour, aux allures de conte, qui lui a donné envie de lancer un cirque « à l’ancienne » avec des chevaux et des roulottes. Et ce, alors qu’il n’avait aucune expérience dans le domaine.

François Rauline, dit « François Bidon », est sur la route depuis 1976. © Mathieu Génon/Reporterre

La love story s’est finalement terminée, mais l’idée ne l’a pas quitté. François a repris la route et formé sa troupe avec des couples de musiciens rencontrés au fil du voyage, et sa nouvelle compagne. Il a acheté quelques chevaux, et fabriqué lui-même les roulottes. Autodidacte, la bande d’amis a appris sur le tas différents numéros. « On n’arrivait même pas à jongler avec trois massues, les gens étaient morts de rire. Ils rigolaient plus que dans le cirque traditionnel », s’amuse François. D’où le nom, « cirque Bidon », qui est resté depuis.

Quarante-six ans plus tard, après des milliers de kilomètres parcourus, la troupe a beaucoup changé. La bande d’amis s’est séparée, de nouveaux saltimbanques sont allés, venus, repartis. Cette année, le groupe (une douzaine de personnes) a été entièrement renouvelé. Point d’amateurs cette fois, la plupart des artistes sont passés par des écoles du cirque ou des conservatoires. « Mais on ne met pas la technique en avant, on ne prétend pas être les meilleurs, souligne François. Ce qu’on veut, c’est surprendre les gens, les toucher. »

François Bidon : « Ce qu’on veut, c’est surprendre les gens, les toucher. » © Mathieu Génon/Reporterre

Éloge de la lenteur

Cette année, jusqu’en septembre, le cirque Bidon va parcourir la région Centre-Val de Loire, traversant l’Indre, le Cher, la Nièvre, l’Allier et la Creuse. La cadence de la tournée est déterminée par le pas des chevaux : ils n’effectuent que 25 kilomètres maximum par jour, et restent plusieurs jours dans la même ville. Le matériel trop lourd pour eux, ou trop encombrant pour les roulottes, est acheminé en amont par un camion. Un rythme qui force à célébrer la lenteur.

En roulottes, ils n’effectuent pas plus de 25 kilomètres par jour. © DR

« Avant, on se déplaçait comme ça, rappelle Daniele, 27 ans, accordéoniste pour le cirque Bidon. C’est fascinant, c’est long, c’est opposé avec le style de vie “normal” où il faut aller vite. Ici, il faut prévoir une journée pour aller d’une ville à une autre. Cette limite t’impose un rythme plus sain, tu es plus dans l’instant présent. » « On se déconnecte, les artistes comme les personnes qui viennent nous voir, confirme Luna, trapéziste de 28 ans. C’est une petite bulle qui se déplace à la vitesse des sabots. »

Non familiers des chevaux, les circassiens ont dû apprendre à les guider. © Mathieu Génon/Reporterre

Sur les douze coups de midi, après quelques couacs — une jument qui s’est retrouvée en liberté sur la route et une roulotte qui a manqué de finir dans le fossé — le cortège parvient enfin à Châteaumeillant (Cher), petite ville de presque 1 800 habitants. Là, le cirque attire tous les regards. Une dame âgée les observe passer devant sa fenêtre, un homme accoudé à son portail leur fait signe, deux femmes s’approchent pour les filmer et les saluer. « On se déplace là où vivent les gens », expose François. « Je trouve ça génial d’aller dans des endroits “paumés”, où il n’y a pas forcément une salle de spectacles, abonde la violoniste Amandine, 32 ans. On rencontre des gens qu’on n’a pas l’habitude de voir, de milieux sociaux qu’on ne côtoie pas d’habitude. Ça casse les barrières. »

Jongle, trapèze, accordéon... les talents des circassiens sont variés. © Mathieu Génon/Reporterre

Une fois devant la place principale, il est temps de dételer les chevaux, monter les mâts, la piste, les gradins… Les artistes vivront là, dans leurs roulottes, pendant une semaine, avant de tout démonter et reprendre la route vers Lignières (près de 1 400 habitants). « Dans le monde du spectacle, c’est fréquent de faire 500 kilomètres, jouer deux dates et rentrer à la maison, déplore Ephraïm, le fildefériste [1] de 26 ans. Dans ces cas-là, on vit moins la représentation, il y a moins de densité. Ici, c’est différent. » En tout, plus d’une centaine de dates du spectacle — baptisé « Chacun ses rêves » — sont prévues de mai à septembre.

Le cirque Bidon a prévu plus d’une centaine de dates du spectacle en 2022. © Mathieu Génon/Reporterre

Vivre en communauté

D’ici là, il va falloir apprendre à vivre sur la route, tous ensemble. Au cirque Bidon, contrairement à d’autres cirques, tout le monde doit participer. Chacun s’est vu attribuer il y a un mois et demi un cheval dont il faut s’occuper, chacun doit aider aux tâches domestiques, au montage du cirque, au démontage... Pas évident, quand la plupart des membres de la troupe n’ont jamais attelé un cheval ou monté un mât de leur vie.

Parmi les tâches des circassiens : le montage et démontage du cirque. © Mathieu Génon/Reporterre

Les débuts semblent un brin difficiles : des éclats de voix s’échappent parfois des roulottes. Mais les circassiens restent optimistes. « On apprend à se connaître, à voir les limites de chacun. Ça va nous souder », assure Amandine. « C’est en faisant qu’on se professionnalise. Plus on va s’entraîner ensemble, moins ce sera stressant », confirme Océane, jongleuse de 28 ans.

Le cirque Bidon installé à Châteaumeillant, fin mai 2022. © Mathieu Génon/Reporterre

Avant de monter en piste, tous leurs obstacles disparaissent — comme par magie. Dans une bonne humeur communicative, les artistes alternent entre des numéros de voltige équestre, de fil, de cerceau aérien et des petits sketchs — le tout accompagné en direct par les musiciens. « On propose aux gens des images qui font rêver, inattendues, sans rajouter des artifices ou des effets spéciaux, précise François. Le but est d’emmener les gens avec nous. » La formule séduit : à Châteaumeillant, petits et grands se disent séduits par la représentation. Et, peut-être plus encore, par l’univers qui leur est proposé. Les yeux brillants, certains montrent du doigt les roulottes. Comme s’ils rêvaient, eux aussi, de partir sur la route.


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