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Épargner pour sa retraite est mauvais pour le climat

La réforme des retraites va nous inciter à épargner, auprès de banques, d’assurances ou de fonds de pension. Or ces acteurs financiers investissent énormément dans les énergies fossiles.

À chaque réforme, elles fleurissent plus discrètement que les banderoles syndicales : les publicités pour les produits d’épargne retraite. « Capitaliser à l’échelle individuelle devient une nécessité », peut-on lire sur le site de La Voix du Nord. « L’utilité d’une épargne supplémentaire n’est plus à démontrer », renchérit le magazine Capital. Défiscalisation, « rente à vie »… banques et assurances ne manquent pas d’arguments alléchants. Mais ils omettent un élément important— vital même : ces produits financiers sont extrêmement polluants.

Pendant longtemps, l’épargne retraite est restée portion congrue, dans notre pays attaché à la répartition — les cotisations des actifs financent les pensions des retraités. Mais de plus en plus de Français cèdent aux sirènes de la capitalisation. Plus de 6 millions de personnes possédaient un plan épargne retraite en 2022. Le marché est florissant, porté par les réformes gouvernementales : « On a eu une augmentation de quasiment 80 % entre décembre et janvier du nombre de demandes sur notre site internet », s’enthousiasme ainsi un gestionnaire d’actifs interrogé par Franceinfo.

Bien que le projet de loi contesté sur la réforme des retraites ne comporte aucun article sur le sujet, il risque en effet de pousser les Français dans les bras des assureurs et autres fonds de pension [1]. « Reculer l’âge de départ à retraite, c’est rendre inatteignable l’objectif d’une retraite digne, rappelle Agathe, du collectif Nos retraites. Cela crée une anxiété chez les gens, qui va les inciter à investir en complément dans des produits d’épargne. » En particulier celles et ceux qui auront assez d’argent à mettre de côté.

Des millions de dollars dans les énergies fossiles

Pour les sociétés d’assurance, cette réforme est du pain béni. « Ces compagnies ont des besoins financiers importants et croissants, notamment pour couvrir les dégâts causés par le réchauffement climatique, analyse Agathe. L’argent des retraites représente une manne énorme, plus de 300 milliards d’euros, qui aujourd’hui échappe encore largement au marché. »

Les sociétés se frottent les mains, mais le climat, lui, fait grise mine. « Les gérants de l’épargne retraite et salariale investissent à rebours des injonctions climatiques », alerte Reclaim Finance dans une note dédiée. L’ONG s’est penchée sur les mesures écologiques mises en place par les dix plus gros acteurs français du secteur [2]. Axa, AG2R, Generali, Natixis, et des filiales des banques Crédit agricole, Crédit mutuel et BNP.

Axa, AG2R, Crédit agricole, Crédit mutuel... Les acteurs du secteur investissent massivement dans les énergies fossiles. © Reclaim Finance

Conclusion : aucune de ces entreprises « n’a adopté d’engagements mettant fin au développement des projets de production et de transport du pétrole et du gaz ni permettant une sortie progressive du secteur ». Pire, seuls 2 des 10 sociétés étudiées ont adopté des politiques robustes afin de ne plus soutenir le charbon. Le fonds d’investissement de la BNP détenait ainsi plus de 2 700 millions de dollars de participations dans les énergies fossiles en septembre dernier.

« Elles utilisent l’argent qui est placé chez elles pour financer des projets pétroliers, gaziers ou des entreprises qui développent ces projets », précise Paul Schreiber, de Reclaim Finance. Investir dans des majors pétrolières s’avère en effet une stratégie juteuse, au vu des mégaprofits dégagés l’an dernier et des dividendes records distribués à leurs actionnaires.

Des actionnaires proclimat moins soutenus

Autre raison expliquant cette addiction des assurances et des banques aux fossiles : elles sont souvent étroitement liées aux majors. « Elles gèrent leurs comptes — le Crédit agricole Amundi gère par exemple l’épargne salariale de TotalÉnergies —, ont des actionnaires et des administrateurs en commun, elles assurent par ailleurs certaines de leurs activités, dit Paul Schreiber. Et puis elles considèrent souvent qu’en finançant Total ou d’autres, elles aident la transition énergétique, puisque ces multinationales investissent aussi dans les énergies renouvelables ! »

Au-delà des compagnies financières françaises, d’autres géants de l’épargne retraite toquent à la porte du marché hexagonal. Or ces fonds de pension, comme la multinationale BlackRock, sont « encore moins vertueux », selon Reclaim Finance. Dans un rapport, l’association a notamment montré comment la firme étasunienne avait tout fait pour ralentir l’adoption de régulations financières en matière climatique au niveau européen. L’an dernier, BlackRock a aussi diminué son soutien à ses actionnaires proclimat.

La marche forcée vers l’épargne retraite n’est donc pas une bonne nouvelle pour le climat. Cela ne devrait pas pour autant ralentir nos dirigeants. La semaine dernière, comme un prélude à la réforme du gouvernement, un petit texte de loi est furtivement arrivé à l’Assemblée, qui « vise notamment à accompagner l’essor de la retraite par capitalisation à l’échelle européenne », selon le journaliste Erwan Manac’h.

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