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Nature

Escalade : les falaises ferment, les grimpeurs s’inquiètent

Qui doit endosser la responsabilité en cas de chute ? Presles, et d'autres falaises, ont été fermées aux grimpeurs. La législation manque de clareté.

Plusieurs falaises ont été interdites aux grimpeurs car leurs propriétaires ou les fédérations craignent d’avoir à endosser la responsabilité en cas d’accident. « Risquer sa vie est une liberté », arguent certains grimpeurs.

C’est une histoire qui secoue le monde de l’escalade depuis plusieurs mois. Presles, les Goudes, Aureilles… Toutes ces falaises bien connues des grimpeurs et grimpeuses sont désormais interdites à la pratique. En cause : plus personne ne souhaite endosser la responsabilité en cas d’accident. Ni la Fédération française de la montagne et de l’escalade (FFME) — autrefois responsable de la sécurité des sites — ni les propriétaires des falaises qui peuvent désormais être traînés devant les tribunaux en cas de chute accidentelle de pierre.

Pour comprendre pourquoi une quinzaine de sites ont été fermés en Bourgogne, Ariège, Ardèche, Vendée, ou encore en Isère, il faut se plonger dans la loi. Ces lieux sont en effet soumis au principe de responsabilité sans faute, inscrit dans le Code civil (Art 1242 du code civil). Cette disposition vise à indemniser les victimes en cas d’accident sans responsable. Par exemple, si vous êtes blessé par la chute d’un pot de fleur dans la rue, le propriétaire du pot est considéré comme responsable et pourrait vous dédommager si vous portez plainte. C’est la même chose pour les falaises. Et les propriétaires, refusant d’assumer le risque, ont fermé certains sites.

La responsabilité échoit désormais aux propriétaires de falaises, qui commencent à s’inquiéter. Camp to camp / Lulu002 / CC BY NC ND 3.0

Auparavant, cette responsabilité était assumée par les fédérations d’escalade, notamment la FFME et la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM) via des conventions passées avec les propriétaires. Mais en 2010, un accident sur la falaise de Vingrau à côté de Perpignan (Pyrénées-Orientales) a tout chamboulé. Un couple de grimpeurs avait gravement été blessé lors d’une chute de pierre. La FFME, gestionnaire de Vingrau, avait été condamnée à payer des dommages et intérêts à hauteur de 1,7 million d’euros. Une petite fortune représentant dix années de cotisations de ses adhérents. « Jusqu’à présent, nous n’avions jamais perdu de procès et c’est d’ailleurs le seul accident grave que nous ayons à déplorer en trente ans », explique Pierre-Henri Paillasson, le directeur technique national de la FFME.

Le risque juridique pour les petites communes

Depuis cette condamnation, la fédération s’est désengagée de pratiquement toutes les falaises qu’elle conventionnait — soit environ 1 000 sites sur les 2 500 existant en France [1] — c’est-à-dire des sites pour lesquels elle assumait la responsabilité juridique. Ladite responsabilité échoit désormais aux propriétaires de falaises, qui commencent à s’inquiéter. « Il est clair et net que la commune de Saffres ne peut pas prendre en charge le coût [d’une éventuelle condamnation]. Notre budget annuel est de 70 000 euros, il faudrait que je ne fasse plus de travaux de voiries, plus rien pour le village, pour m’occuper de la falaise », expliquait Patricia Nore, la maire de Saffres, un petit village de Bourgogne bien connu des grimpeurs, au site Planet grimpe. Depuis cette déclaration, la maire a trouvé un accord avec son assurance pour rouvrir la falaise.

On aimerait « un système où le pratiquant accepterait d’assumer le risque »

Dans le Code du sport, un article stipule que « le gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à un pratiquant […] lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée ». Une disposition trop floue pour rassurer. « On essaye d’obtenir une exonération totale de responsabilité des propriétaires. D’avoir un système où le pratiquant accepterait d’assumer le risque », dit Pierre-Henri Paillasson de la FFME. Il souhaiterait notamment que la législation soit calquée sur celle du kayak, où ceux qui possèdent les rivières ne sont pas responsables en cas d’accident. Autre solution : que les collectivités locales, si le propriétaire est un particulier, assument le risque juridique, comme elles le font déjà pour les piscines ou les stades municipaux.

La falaise, une installation sportive comme les autres ?

Ainsi, la falaise ne serait plus un élément naturel mais un terrain de sport, comme n’importe quel gymnase ou piste d’athlétisme, qui devrait être encadré par des strictes normes. Selon Stéphanie Bodet, c’est une fausse bonne idée, qui ne prend pas en compte la réalité de la nature, qui est en perpétuelle évolution. « Les rochers bougent avec le temps, même sur une falaise très fréquentée et régulièrement entretenue. L’alternance du gel et du dégel, l’évolution aussi de la végétation font que des blocs peuvent se décrocher, d’autant plus avec les grandes périodes de sécheresse que nous vivons. »

« Nous sommes confrontés à une évolution globale du système de responsabilité en France. Il faut que quelqu’un paie lorsqu’il se passe quelque chose. Les juristes des assurances ou les avocats spécialisés poussent leurs clients en leur disant qu’ils peuvent récupérer de l’argent », poursuit Pierre-Henri Paillasson. Dans l’accident de Vingrau, l’une des victimes, Jacques Prat, a raconté avoir été incité par un avocat à porter l’affaire devant la justice. « Nous, on était absolument pour rien dans le déclenchement de cette procédure. Les choses se sont engagées, on nous a complètement coachés, on n’était capables de rien », a expliqué cet ancien guide de montagne dans un entretien au site Montagnes Magazine.

Abandon des falaises au profit des JO ?

La situation pourrait sans douter évoluer d’ici le printemps. « Saffres et Vieux château en Bourgogne viennent de rouvrir. Nous sommes sur le point de trouver une solution pour Presles et tous les autres sites car nous sommes en discussion continuelle avec les propriétaires », promet Pierre-Henri Paillasson. Il n’empêche que cet imbroglio juridique ainsi que la fermetures de certains sites ont lancé de vifs débats au sein de la communauté des grimpeuses et grimpeurs. Sur les forums spécialisés, certains accusent la FFME d’abandonner l’escalade en falaise au profit de la pratique en salle, moins dangereuse, plus aseptisée. « Le but de la FFME était d’avoir de l’escalade aux Jeux olympiques. Depuis que c’est le cas, elle a déconventionné. À l’origine, c’est une fédération de montagne et d’escalade. Je trouve qu’elle est en train de perdre ses racines minérales et la diversité des escalades », estime Antoine Le Ménestrel, l’un des meilleurs grimpeurs français des années 1980-1990 et l’un des rares à avoir refusé de faire de la compétition.

Rochers de Presles et falaises d’Urgonien. « Nous sommes sur le point de trouver une solution pour Presles et tous les autres sites car nous sommes en discussion continuelle avec les propriétaires. »

Une accusation démentie par la fédération. « C’est un procès d’intention de certains pratiquants qui n’est pas fondé. Nous restons une fédération de pleine nature. Mais c’est dans les salles que nous gagnons le plus de licenciés et que notre budget grossit. Ce qui permet de financer l’ensemble de nos activités. Nous comptons aujourd’hui 110 000 licenciés, plutôt des grimpeurs de ville, pour environ un millions de pratiquants en France. Ce n’est pas logique qu’ils assument le risque pour ceux qui ne sont pas licenciés », poursuit Pierre-Henri Paillasson.

Pour le directeur technique national de la FFME, ce sujet montre aussi une évolution de notre rapport à la liberté et au risque. « Nous sommes en train de perdre le droit de risquer sa vie ou d’avoir un accident. Cela devient quelque chose de presque condamnable alors que l’escalade et la montagne, ce sont des activités à risque. Mais c’est nous qui décidons de le prendre ou pas. C’est une liberté. » À la FFME comme dans le reste de la communauté, beaucoup estiment que les pratiquants devraient être responsables juridiquement et assumer les conséquences de leur sport. « Prendre des risques, cela me rend vivant. Le risque zéro pour moi signifie la mort », conclut Antoine Le Ménestrel.

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