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ReportageDéchets nucléaires

Face à l’État brutal, les hiboux de Bure manifestent leur sagesse

Malgré la présence massive de gendarmes et l’interdiction de manifester, les opposants à l’enfouissement de déchets radioactifs se sont retrouvés près de Bure samedi 3 mars et dimanche. Ils ont mené une marche sereine, contrée par les forces de l’ordre, qui ont investi le village dimanche. Récit en images.

  • Mandres-en-Barrois (Meuse), reportage

Le rendez-vous était prévu depuis longtemps : le week-end des 3 et 4 mars serait une réunion de discussion et de réflexion des comités de lutte contre le projet d’enfouissement des déchets à Bure (Meuse). La brutale expulsion du 22 février n’a pas abattu le moral collectif, et plusieurs centaines de personnes venues de toute la France se retrouvent dans le village de Mandres-en-Barrois samedi matin.

Pourtant, la préfecture de la Meuse a publié des arrêtés préfectoraux interdisant toute manifestation et circulation sur les routes avoisinantes. Le gouvernement maintient une pression policière permanente depuis des mois.

Un lourd dispositif de forces de l’ordre est visible partout dans le village et alentour, oppressant. 500 gendarmes seraient mobilisés.

Le matin s’est tenue dans une maison du village la réunion des comités, malgré un froid glacial. En début d’après-midi, Hiboux et élus tiennent une conférence de presse dans la rue, à deux pas de la mairie. « Ce n’est pas l’opposition qui se radicalise », dit Jean-Marc Fleury (photo), de l’Eodra (Coordination nationale des élus opposés à l’enfouissement des déchets radioactifs), « mais le gouvernement. Il s’est placé dans une impasse, il n’y a pas d’alternative : pour lui, c’est Bure ou Bure. On ne peut pas discuter avec des gens qui nous expulsent. On soutient toutes les façons de s’exprimer. »

La marche se prépare. Il s’agit d’aller installer une vigie sur un terrain privé, d’où il sera possible d’observer les mouvements autour du bois Lejus. Paradoxe : le gouvernement interdit d’aller sur un terrain privé, et défend l’accès au bois, dont la propriété par l’Andra est incertaine, car encore en débat devant la justice. Le droit de propriété semble fonctionner à deux vitesses...

Une certaine appréhension est ressentie. Mais tout le monde est déterminé à avancer ensemble, pacifiquement, pour poser cette vigie.

Avant la manifestation, on se prend en photo avec les plaques sur lesquelles a été fixée une photo du ministre de la Transition écologique. La photo le montre portant une affiche sur laquelle est écrit : « Cigéo Bure, je dis non ». Nicolas Hulot a choisi de se faire photographier ainsi en 2016. Le gouvernement empêche donc des manifestants de proclamer ce que pense son ministre d’Etat...

À 15 h, la marche quitte le village, en direction du terrain privé proche du bois Lejus.

Poutres, plaques de contreplaqué, fenêtres : ce sont les éléments de la vigie, petite tour à construire. On les porte tranquillement, dans l’atmosphère humide.

La petite route serpente à travers les champs. Entre trois cents et cinq cents personnes participent à la marche, de tous les âges et de toute la France. Certains crient avec ardeur, « on est plus chaud que Cigéo », d’autres chantent : « Occupons la forêt, récupérons les champs, il n’y aura jamais de nucléaire à Bure. »

On ressent une sereine allégresse, malgré l’hélicoptère qui tourne en bourdonnant au-dessus, observant le cortège. Une petite sono accompagne celui-ci, tirée comme une valise, et joue une musique roborative.

Mais un dispositif policier très important a été établi, à environ deux kilomètres du départ.

Au bout du chemin, où l’on arrive à 15 h 40, les gendarmes sont là, avec un camion à eau.

Le cortège ne cherche pas l’affrontement, il part en file sur la droite, dans le champ

La marche se détend tranquillement. En parallèle, les gendarmes se déploient eux aussi en file.

Le heurt se produit à 15 h 50, entre l’avant de la manifestation qui tente de déborder les gendarmes, et ceux-ci. Mais ces derniers sont trop nombreux. Dans un porte-voix, un gradé lance les sommations : « Au nom de la loi, dispersez-vous, on va faire usage de la force. »

Et ils lancent des grenades lacrymogènes :

Devant la violence, les manifestants reculent rapidement — il est 16 h — et forment un grand cercle autour des éléments de la vigie, en se tenant par la main.

Mais les gendarmes lancent encore des grenades lacrymogènes, alors le cortège décide de se replier calmement. Un manifestant, assez âgé, a été blessé à la tête par une grenade. Il est emmené par l’équipe médicale.

Et l’on rentre à Mandres, suivi par les camions des gendarmes. « Au nom de du peuple, dit un manifestant, on a fait usage de la sagesse. »


DIMANCHE : QUAND LES GENDARMES GAZENT UN VILLAGE

L’auteur du reportage ci-dessus n’était plus présent dimanche 4 mars à Mandres-en-Barrois. Les faits rapportés ci-dessous ont été recueillis en interrogeant divers témoins.

Dimanche matin, une nouvelle réunion des comités de lutte s’est tenue, et a poursuivi les discussions pour définir les axes des actions à venir. Vers 11 h, une centaine de personnes ont décidé d’aller observer ce qui se passait au bois Lejus, en empruntant un autre chemin que la veille. Ils ont été contrés par les gendarmes et refoulés vers le village. Mais les gendarmes ont pénétré dans le village, n’hésitant pas à larguer des grenades lacrymogènes au milieu des habitations et dans les jardins. Un habitant, Marcel Durand, joint au téléphone par Reporterre, raconte : « Les forces de l’ordre ont chargé, il ont lâché des gaz lacrymogènes un peu partout, ces gaz sont rentrés dans la maison, même fenêtres fermées, ils rentraient par les bouches d’aération. Ma maman est gravement malade et ma grand-mère est cardiaque, c’était juste pas possible avec tout ça. La plus grande violence vient des forces de l’ordre, qui ont chargé alors que tout se passait bien. »

M. Durand a tourné depuis sa fenêtre une vidéo, qui montre l’ambiance créée par les gendarmes :

Vers 14h30, les gendarmes se sont retirés, mais tout en maintenant leur présence.

Malgré la pression policière — il y a eu huit interpellations et quatre blessés légers dont un gendarme, selon la préfecture —, le week-end est jugé positif : « On mûrit, dit un porte-parole des Hiboux. On a su reculer à temps, tout en montrant qu’on était déterminé ». Les discussions des comités ont bien avancé. Et une manifestation de réoccupation du bois Lejus est envisagée pour le printemps.

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