Géothermie dans le Puy-de-Dôme : un village en ébullition

Saint-Pierre-Roche (Puy-de-Dome). - Flickr / CC BY-SA 2.0 / bebatut
Saint-Pierre-Roche (Puy-de-Dome). - Flickr / CC BY-SA 2.0 / bebatut
Durée de lecture : 8 minutes
ÉnergieUn projet de géothermie profonde pour de l’électricité locale et propre. Voilà ce qu’on a vendu aux habitants de Saint-Pierre-Roche dans le Puy-de-Dome. Ils ne sont pas convaincus.
Saint-Pierre-Roche (Puy-de-Dome), reportage
Tasse de thé dans la main, Claudine regarde son nouveau paysage par la fenêtre. Cette habitante de Saint-Pierre-Roche (430 habitants) repense souvent à sa joie de découvrir un projet de géothermie près de chez elle. « Je suis écolo dans l’âme, je défends les énergies renouvelables. Quand j’ai reçu ce prospectus annonçant l’enquête publique, j’étais ravie. De l’électricité fournie grâce aux eaux des sous-sols, c’était parfait. » Mais alors qu’elle assistait à une réunion publique dans sa petite commune dans le Puy-de-Dôme, elle vit débarquer un jeune homme qui pointait du doigt les patrons de GLS Géothermics et de Storengy (filiale d’Engie) en charge du projet — les deux entreprises ont depuis fusionné en Geopulse. « Il les a traités de menteurs, disait qu’ils avaient voulu s’implanter en Creuse, et que la géothermie profonde n’avait rien de propre. »

Plusieurs habitants se sont regardés médusés. Et ont commencé à se renseigner. Sur la géothermie profonde en premier lieu. Cette nouvelle technologie consiste à récupérer l’eau chaude dans les sous-sols, à plus de 4 000 mètres de profondeur. Ces derniers sont nettoyés par des acides, puis de l’eau est envoyée dans les forages. Par un jeu de vases communicants, l’eau chaude remonte par un autre puits et se transforme en vapeur. Grâce à un alternateur, elle alimente le réseau électrique. Pour Jacques Adam, de France Nature Environnement 63, « la géothermie profonde n’a rien de renouvelable, elle cause des microséismes, voire des séismes, comme ça s’est produit en Alsace ou en Suisse où les projets ont dû être stoppés. On envoie de l’acide dans les sols, et en plus, dans le cas de Saint-Pierre-Roche, on assécherait la rivière la Miouze. On n’a aucun exemple de géothermie profonde réussie, tous les projets ont dû être stoppés. »

« Cela gênera forcément la faune nocturne »
Les habitants ont alors créé l’association des citoyens responsables des volcans pour lutter contre l’implantation du projet. En parallèle, Géopulse est entré en contact avec des agriculteurs. « Il fallait notre accord pour leur plan environnemental : accepter que les pies-grièches migrent dans notre champ », dit l’un deux, qui préfère taire son nom. En effet, en plus d’un permis de recherche, l’entreprise doit monter un dossier environnemental démontrant son respect de la biodiversité. Un couple de pies-grièches sur le terrain du projet devra donc migrer sur le champ d’en face, appartenant à un agriculteur.
Le petit terrain qui accueillera le projet, juste en face du village, a été vendu par une des habitantes. Même Mickaël Rouvière, le directeur de Storengy en charge du projet Géopulse, le confirme à Reporterre. « Il y aura des nuisances, c’est évident, explique-t-il à Reporterre. Nous allons d’abord creuser un puits exploratoire afin d’être sûrs que la roche corresponde et qu’il y ait assez de réserves d’eau assez chaude. Ce puits sera éclairé 24 heures sur 24. Cela gênera forcément la faune nocturne. Et peut-être un peu les habitants. »

La phase exploratoire, si elle est concluante, conduira à la mise en place des trois autres puits sur le terrain afin de procéder à la géothermie profonde. Le préfet vient juste de donner son accord. Selon Jacques Adam, de FNE, « ce genre de projet est évidemment soutenu par l’État. D’ailleurs, si Engie [dont le principal actionnaire est l’État français] se met dans le renouvelable avec Storengy, ce n’est pas pour rien. Ces projets sont subventionnés et sont vite rentables. » En effet, Géopulse nous confirme que l’Agence de la transition écologique (Ademe) a versé 4,4 millions d’euros pour lancer le projet. « C’est une avance remboursable. Si la phase d’exploration nous permet de mener notre projet [1], on doit les rembourser. Si, en revanche, on se rend compte que le site n’est pas propice, cela devient une subvention et on n’aura rien à rendre. » Un projet au fort potentiel rémunérateur et sans aucune prise de risque donc.

« Nous pourrons alimenter l’électricité de 35 000 personnes »
Actuellement, les prix de l’électricité sur les marchés de gros se situent entre 200 et 300 euros par mégawattheure. Géopulse estime pouvoir produire à l’année plus de 80 000 mégawattheures. À titre de comparaison, le département a produit 550 000 mégawattheures en 2020. « Nous pourrons alimenter l’électricité de 35 000 personnes, soit 5,3 % des habitants du Puy-de-Dôme. Seuls 10 % de la production sont faits sur place dans le département, alors ça vaut le coup », s’enorgueillit le directeur du projet.
Dans le village, de nombreux habitants ne l’entendent pas de cette oreille. « Dans le rapport de l’enquête publique, on peut lire que des recherches minières connexes seront faites, notamment en matière de lithium », explique Claudine. « C’est vrai qu’au départ, on a écrit ça sur notre projet, mais on a très vite oublié l’idée », assure Mickaël Rouvière. « On n’est pas sûrs qu’il y en ait, et s’il y en a, on ne sait pas l’extraire. On n’a d’ailleurs pas déposé de permis de recherche minier en ce sens. »

« Certes », répond Jacques Adam, « mais, s’ils trouvent du lithium, on peut être sûrs qu’ils le diront à une de ces obscures entreprises minières sans scrupules qui viendra extraire ce métal. Et là, en matière de pollution, ça prend une autre ampleur. » Certains habitants redoutent effectivement que les recherches permettent d’analyser les sols. Selon une étude menée en 2018 par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), une grande partie des réserves françaises en lithium se trouverait sous le Massif central. « Le gouvernement ne laissera pas passer la chance d’exploiter un tel métal sur son territoire. On en entend de plus en plus parler. Ainsi, les recherches auront été subventionnées par l’État, et permettront à des entreprises d’exploiter. C’est bien joué », ironise Jacques Adam. Autres craintes pointées par les opposants : la pollution visuelle, le bruit, la circulation des camions...
Pourtant, un homme y croit dur comme fer : Joël Flandin, le maire du village. C’est lui qui a, dans un premier temps, convaincu une partie de ses administrés. Puis, petit à petit, à force de recherches et d’enquêtes, quelques habitants se sont opposés au projet. Des marches sont organisées, regroupant quelques centaines d’habitants de la commune et des villages alentours. « Nous n’avons réalisé que des actions pacifistes », explique l’un des habitants. « On a mis des affiches sur le bord des routes. Le maire nous a menacés d’amende, disant qu’on polluait visuellement le parc des Volcans, c’est sûr que nos pancartes polluent plus que les RIG qui seront mis sur le terrain. » « Il avait peur qu’on fasse une Zad car des inscriptions en ce sens avaient été écrites un jour sur la route. »
L’ambiance dans le village s’est fortement tendue. Le maire, lui, a envoyé une lettre, prévenant que les affiches, considérées comme de la publicité, devaient être enlevées sous peine d’amende (1 500 euros). Et a même accroché des caméras sur sa maison dont certaines donnent sur la maison de Claudine, selon cette dernière. Elle-même a été condamnée pour outrage, détérioration de biens publics et menaces de mort envers le maire (qu’elle conteste).
C’est dans cette ambiance que Géopulse devrait prochainement implanter son puits d’exploration. « Nous sommes conscients que nous n’avons pas agi correctement », regrette le directeur de Géopulse. « Les habitants ont appris trop tardivement notre arrivée, en même temps que le démarrage de l’enquête publique, en 2021, alors que notre projet date de bien plus longtemps. Ça a créé des incompréhensions, et des peurs. Mais, nous ne voulons pas détruire le territoire ni la vie de ces gens. »
Pour Jacques Adam, c’est toujours la même rengaine : « Ils essaient d’appliquer l’acceptation sociale, et si ça ne marche pas, utilisent la répression. Ils savent très bien que ça crée du tort sur le territoire. Les maisons deviendront invendables avec une vue sur ce genre de terrain. Mais attention au retour de bâton : un territoire c’est de l’affect. Alors si les habitants prennent conscience qu’ils détruisent leur paysage pour du profit, ça peut vite dégénérer. »
D’autres projets de géothermie profonde, encore plus vastes, sont en discussion sur le Puy-de-Dôme, notamment sur les failles de la Limagne, du côté de Riom. « Nos volcans ne sont pas à piller », conclut Jacques.