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ReportageNucléaire

Greenpeace en procès : les craintes des antinucléaires jugées « légitimes »

Des activistes étaient jugés le 29 juin 2021 pour intrusion dans une centrale nucléaire en 2020.

Des militants de l’ONG Greenpeace comparaissaient au tribunal correctionnel de Valence (Drôme) pour s’être introduits dans la centrale EDF du Tricastin. Une occasion, pour les prévenus, de parler du vieillissement des installations dans les tribunaux. Le procureur a requis des peines modérées, estimant leurs inquiétudes légitimes.

Valence (Drôme), reportage

« Le nucléaire révèle la face sombre de l’État : c’est l’opacité sur les décisions, l’absence de transparence et la répression des militants qui essaient d’avoir une voix discordante sur l’industrie nucléaire. » Jean-François Julliard, président de Greenpeace France, a donné le ton lors de l’ouverture du procès du tribunal correctionnel de Valence.

Trente-quatre activistes de l’ONG, âgés de 28 à 70 ans, étaient jugés, le 29 juin, pour s’être introduits dans l’enceinte de la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme), le 21 février 2020, « pour dénoncer sa dangerosité et son vieillissement ». Ils sont informaticien, musicien, charpentier, ébéniste ou encore ingénieur, et sont venus de toute la France. Tous assument leurs actes pour cette opération de communication effectuée à visage découvert. Pour eux, le débat démocratique autour de la principale source d’énergie en France, « le pays le plus nucléarisé au monde », ne peut se faire sans passer par des actions médiatiques et sans risquer une condamnation en justice.

Le magistrat a requis de simples amendes pour les militants sans casier judiciaire. Pour ceux ayant déjà « l’inscription Greenpeace sur leur casier » des jours-amendes. Concernant l’association, citée à comparaître comme personne morale par EDF, il a proposé une « condamnation modérée ». La décision sera rendue publique le 7 septembre.

Des motivations politiques et un débat de fond

« Vous êtes l’un des rares tribunaux qui s’intéressent au mobile des infractions et qui nous autorisent à plaider sur les raisons qui ont mené les militants de Greenpeace à cet acte », a dit l’avocat des prévenus Me Alexandre Faro, à la cour. « Trop souvent, on dépolitise le débat et, en cela, EDF cherche à criminaliser, à traiter les militants comme de simples délinquants de droit commun. »

Les débats, qui ont duré plusieurs heures, ont permis de cerner les motivations politiques des trente-quatre personnes qui reconnaissent avoir participé à cette action de désobéissance civile. S’introduire dans les centrales nucléaires pour dénoncer leur faille de sécurité est une pratique courante chez Greenpeace. À nouveau, pour ce procès, l’ONG a plaidé « l’état de nécessité » et a cherché à démontrer le caractère urgent et proportionné de cette action.

Jean-François Julliard, président de Greenpeace France, au micro, avant son entrée dans le tribunal. © Estelle Pereira/Reporterre

Mis en route entre 1980 et 1981, les quatre réacteurs de 900 mégawatts (MW) de la centrale du Tricastin ont été conçus pour fonctionner quarante ans. L’échéance à peine passée, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a publié, en février dernier, une décision générique ouvrant la voie à la prolongation de sa durée de vie, ainsi que celles des 28 autres réacteurs français de la même génération.

Les deux témoins choisis par les prévenus ont été invités par la présidente à ouvrir les débats. Le philosophe Dominique Bourg, coauteur de l’ouvrage Désobéir pour la Terre — Défense de l’état de nécessité, (PUF, 2021), a évoqué l’importance des actions de désobéissance civile pour prévenir d’éventuels accidents industriels. « Historiquement, la mise en place de plans de gestion de risques est toujours intervenue après un accident. Par définition, la loi s’adapte toujours a posteriori. » L’ancien membre du conseil sociétal d’EDF a pris l’exemple de l’accident nucléaire de Fukushima, en 2011, qui a donné lieu à des mises aux normes — partiellement réalisées à ce jour — dans les centrales françaises. « S’il y avait eu de la désobéissance civile à Fukushima, il n’y aurait pas eu cette catastrophe. […] De telles actions visent à faire évoluer la loi », a-t-il appuyé. « Il n’y a pas de société démocratique qui n’autoriserait pas la désobéissance civile, sinon ça s’appelle une dictature. »

Les débats, qui ont duré plusieurs heures, ont permis de cerner les motivations politiques des trente-quatre activites. © Estelle Pereira/Reporterre

Le philosophe a également pointé les changements de statuts opérés chez EDF avec l’ouverture du marché de l’énergie, et son entrée en bourse en 2005. « L’arrivée de la logique économique de rentabilité n’est pas totalement compatible avec le pacte nucléaire qui consiste à atteindre le risque zéro. Car la sécurité en matière nucléaire coûte cher. » Pour la seule centrale du Tricastin, la troisième plus âgée du parc nucléaire français, EDF a estimé le coût de la rénovation à 3,2 milliards d’euros afin de prolonger son exploitation pendant dix ans.

Le deuxième témoin, le physicien Yves Marignac, a quant à lui mis en doute la capacité d’EDF à entretenir ses centrales vieillissantes. D’abord parce que, malgré les milliards promis, certaines pièces usées ne sont pas remplaçables. C’est le cas des cuves renfermant le cœur des réacteurs. La n°1 de la centrale du Tricastin est d’ailleurs celle enregistrant le plus de microfissures en France. Le spécialiste de la sûreté nucléaire a évoqué le risque de séisme en faisant référence au tremblement de terre de magnitude 5,4, du 11 novembre 2019, dont l’épicentre se situait à vingt kilomètres de la centrale. « Par chance la digue a tenu. La centrale est construite au-dessous du niveau du Rhône, si la digue en remblai avait cédé, on aurait pu vivre la même situation qu’à Fukushima. » Il a également pointé les 150 pièces non conformes aux exigences réglementaires fournies par l’usine Creusot Forge, installées sur la centrale. « Il n’y a pas eu d’évaluation de l’impact de ces malfaçons dans le cadre de la prise de décision de prolonger la durée de vie des centrales », a-t-il regretté.

« Le risque industriel n’est pas une fantaisie d’écolo »

Pour des militants qui n’ont plus confiance en EDF pour les protéger d’un éventuel accident, la barre a été pour cinq d’entre eux l’occasion de se confier sur leurs inquiétudes. « L’accident nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux en 1969, la Loire polluée au plutonium en 1980, le Rainbow Warrior coulé en 1983 : le voilà le nucléaire de mon enfance ! Le risque industriel n’est pas une fantaisie d’écolo », a clamé Étienne, ingénieur dans les énergies renouvelables. Laura, étudiante en CAP boulangerie, a choisi la poésie pour exprimer sa crainte : « EDF, pour ses intérêts personnels, me prive du droit d’enfanter sereinement sans faire porter à mon enfant le risque de connaître un accident nucléaire », a-t-elle écrit sur un papier, serré dans ses mains, quand elle a fait face à la juge.

« Je me suis juste demandé les arguments qui ont poussés les Français à choisir cette énergie », racontait Antoine, dernier prévenu à prendre la parole. « Je n’en ai trouvé aucun, parce qu’on ne nous a jamais demandé notre avis, ni à moi, ni mes parents ou mes grands-parents. »

Les militants voulaient faire du procès une vitrine de leur revendication en matière de sûreté nucléaire. © Estelle Pereira/Reporterre

Du côté de la défense, EDF attaque sur le portefeuille en réclamant à Greenpeace la somme minimum de 500 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral. « Il y a un moment, ça suffit », a tonné Me de Montbrial à propos des intrusions de Greenpeace dans les centrales. « Pour la quinzième fois depuis 2003, les mêmes auteurs pour les mêmes victimes », a-t-il insisté en qualifiant Greenpeace « d’association délinquante ». « Tant qu’on aura 500 euros d’amende, des peines peu dissuasives, il y aura récidive », a-t-il lancé en direction de prévenus.

À la surprise générale, le procureur Michel Coste n’a pas été aussi vindicatif envers les prévenus. Il a estimé que ces derniers étaient « des activistes déterminés avec des interrogations sérieuses ».

Rappelant que dans ce même tribunal, EDF a parfois été condamné pour des infractions, il a axé son réquisitoire sur l’image d’EDF et plus largement du nucléaire. Cette dernière n’a pas eu besoin de Greenpeace pour être, selon lui, entachée. Il a notamment cité l’exemple de l’EPR de Flamanville ainsi que les trois catastrophes nucléaires de Three Mile Island (États-Unis), Tchernobyl (Ukraine) et Fukushima (Japon).

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