Grève de la soif, manifs... La mobilisation contre l’A69 s’intensifie

Un rassemblement à Toulouse, le 4 octobre, a rassemblé plusieurs centaines de personnes mobilisées contre l'autoroute A69. - © Alain Pitton / Reporterre
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Trois grévistes de la faim contre l’A69 prévoient une grève de la soif. Les autorités sont inflexibles mais « on a gagné la bataille de l’opinion publique », disent les opposants. Ils préparent la manifestation du 21 et 22 octobre.
Toulouse, reportage
La main tendue a finalement été rejetée. Après un temps de réflexion, le pouvoir a fait le choix de l’entêtement, au mépris des vies humaines. Face aux grévistes de la faim, il n’a rien voulu céder, préférant laisser pourrir la situation et attiser la colère. La présidente socialiste de la région Occitanie Carole Delga et le gouvernement ont refusé toute « pause » et toute forme de « médiation » sur le projet d’autoroute A69. Le chantier doit continuer coûte que coûte, le bitume couler, les arbres tomber. Sans délai et sans attendre l’examen sur le fond des recours juridiques qui contestent le projet.

En face, la sidération règne. Pendant un mois, les militants du collectif La Voie est libre et du GNSA – le Groupe national de surveillance des arbres, dont Thomas Brail est le fondateur — ont tout fait pour maintenir le dialogue et laisser des portes de sortie aux autorités. Ils ont multiplié les alertes, les tribunes de scientifiques et de personnalités, et même amoindri leur revendication en ne demandant plus qu’une suspension temporaire des chantiers. Mais l’élue ne les a pas écoutés. Et s’est enferrée dans le déni.
« Les autorités sont complètement irresponsables »
Dans un communiqué, publié mercredi 4 octobre dans l’après-midi, Carole Delga affirme qu’« il n’existe aucune autre alternative crédible pour désenclaver le sud Tarn » et que « 40 % des crédits ont déjà été engagés ». Bref, qu’il est trop tard. Consciente des polémiques que suscite le projet, elle propose toutefois la mise en place de groupes de travail pour « partager des évolutions sur les compensations environnementales et sur la tarification de l’usager ». Elle dit travailler aussi sur un service de bus à hydrogène à bas prix sur l’A69. Elle acte « un désaccord majeur » avec les collectifs d’opposants qui, selon elle, prônent « la décroissance pour notre société », « l’immobilisme » et « le déclin ».
• Le courrier de Carole Delga :
Cette position a suscité la bronca des opposants. « En proposant des groupes de travail, ils veulent qu’on s’associe à leur projet alors qu’on exige l’arrêt pur et simple des travaux, ils n’ont décidément rien compris, s’insurge Gilles, de La Voie est libre. Les autorités sont complètement irresponsables, poursuit-il. C’est inacceptable d’en arriver là après tant de rendez-vous. Le résultat est nul et non avenu. On reste sans voix. »
C’est comme si les opposants et les autorités vivaient dans deux mondes parallèles. « On leur parle de réchauffement climatique, de mobilités douces et d’alternatives mais eux ne jurent que par la croissance économique. Or, c’est ce modèle qui nous a conduit droit dans le mur. C’est fou de devoir encore le rappeler en 2023 », s’étrangle-t-il.

Les négociations sont dans l’impasse et les grévistes de la faim ont assuré vouloir continuer leur combat. Thomas Brail en est à son 35e jour de grève, Olga à son 28e, Marion et Reva à leur 24e. Victoria et Mathieu à leur 23e, Bernard et Célik à leur 22e. Le moment est critique. Contactée par Reporterre, la médecin qui les suit sonne l’alarme. « Leur état de santé se dégrade rapidement même si leur détermination reste sans faille », dit-elle.
« Leur état de santé se dégrade rapidement »
Les pertes de poids ont été rapides. Les premiers grévistes ont perdu plus de 10 % de leur masse corporelle, ce qui constitue une alerte au niveau médical. Les analyses biologiques révèlent des anomalies liées à la privation de nourriture — certaines pourraient même se traduire par des lésions irréversibles. La médecin pointe notamment un « affaiblissement du système immunitaire », des « problèmes de reins » et « des risques accrus d’infarctus ». « Cette lutte est riche en humanité mais la situation actuelle est très dangereuse, prévient-elle. Nous arrivons à un stade où tout peut dérailler très vite. »
« Les gens sont obligés de mettre leur corps en jeu »
Au cours d’un rassemblement à Toulouse, mercredi 4 au soir, qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes, Thomas Brail a fait part de sa lassitude et de sa colère. « Il y a un moment où il faut qu’on arrête de se moquer de nous. » Le grimpeur arboriste a lancé un ultimatum. Il a décidé d’entrer en grève de la soif avec deux de ses camarades, Célik et Réva, lundi prochain à partir de 14 heures. « L’eau est au centre des débats. Nous risquons tous d’en manquer dans les temps qui viennent avec les sécheresses et le réchauffement climatique. Les politiques doivent se le mettre dans la tête. La grève de la soif est une manière de leur rappeler. Ils doivent agir vite avant que cela devienne irréversible », a-t-il déclaré.

La foule a acclamé les grévistes. Mais l’inquiétude était palpable. Autour des manifestants, des dizaines de gendarmes patrouillaient avec des mitrailleuses, bien en évidence, donnant au rassemblement un air dystopique. « On en est là. Face à l’obstination du pouvoir, les gens sont obligés de mettre leur corps en jeu et en danger, nous n’avons plus que ça », regrettait une femme âgée. Dans les prochains jours, la grève de la faim pourrait prendre de l’ampleur. Extinction Rebellion a appelé ce dimanche 8 octobre à « une journée nationale de jeûne collectif et solidaire contre l’autoroute A69 ».
« En un mois, nous avons gagné la bataille de l’opinion publique, se félicite Marion, une gréviste, paysanne boulangère. La population a pris conscience du caractère écocide et antisocial du projet, c’est encourageant. Il manque plus qu’à faire plier les autorités. »

Pour y arriver, les opposants misent sur les prochaines mobilisations de masse, sur le terrain. Le week-end dernier, plus de 300 membres des Soulèvements de la Terre se sont réunis pour réfléchir à la suite du mouvement. Ils ont décidé de faire de « Ramdam sur le macadam » — les 21 et 22 octobre — une manifestation d’envergure nationale. Des moyens logistiques vont être déployés et des milliers de personnes sont attendues dans le sud-ouest avec la ferme intention de « bloquer physiquement » le chantier.

« S’ils construisent l’autoroute, on ira nous-mêmes la démonter »
« Nous sommes prêts à entrer dans une logique de confrontation beaucoup plus offensive, a déclaré hier au micro un membre du collectif La Voie est libre. On est nombreux et nombreuses et on ne s’arrêtera pas là. Faisons du 21 et 22 octobre un moment très puissant d‘affirmation de la lutte et de la force qu’on représente. »
Vendredi 6 octobre, un référé-suspension sera également examiné par la justice sur l’abattage des arbres d’alignement. Le délibéré devrait être rendu une semaine plus tard. Contrairement à ce qu’affirment le gouvernement et Carole Delga, plusieurs recours n’ont toujours pas été examinés : deux sur l’autorisation environnementale et les mesures de compensation, une plainte au pénal et plusieurs référés-suspensions.
« On sait au fond que cette autoroute sera déclarée tôt ou tard illégale, assure Olga, une gréviste de 21 ans. S’ils la construisent, on ira nous-mêmes la démonter ! »