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Luttes

Pourquoi la désobéissance civile pourrait s’intensifier

Des membres d'Extinction Rebellion ont bloqué la place du Châtelet, à Paris, en 2019.

Face à l’inaction des dirigeants sur la question climatique, les mouvements choisissant la désobéissance civile se multiplient. Jusqu’ici perçu comme « radical », ce mode d’action se popularise. Une Rencontre de Reporterre a exploré ce thème.

Après un mois de grève de la faim aux côtés d’autres activistes, Thomas Brail envisage une grève de la soif, à partir du 3 octobre, contre la construction de l’autoroute A69. « Il se joue là quelque chose de vraiment important, dans un contexte de lutte écologiste extrêmement forte », expose Hervé Kempf, directeur de la rédaction de Reporterre, lors d’une rencontre organisée par le média de l’écologie au Festival du livre et de la presse d’écologie, le 30 septembre, dans une salle pleine. Quelque chose de l’ordre d’un mode d’action fulgurant, porté par des collectifs militants qui revendiquent le recours à la désobéissance civile. Voire à la mise en danger de leur propre intégrité physique…

L’apparition de ce type d’action, « avec des structures d’organisation très souples, va s’intensifier, estime Mathilde Caillard, membre d’Alternatiba Paris. Car nous sommes dans une impasse politique extrêmement angoissante pour un tas de personnes ».

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Plusieurs étapes ont marqué l’émergence de cette nouvelle dynamique : la Conférence de Paris sur le climat en 2015, avec la force de mobilisation d’Alternatiba et ANV-COP21 ; ou encore la démission de Nicolas Hulot en 2018, qui a engendré de grandes marches pour le climat.

La désobéissance civile, « parce que c’est nécessaire »

Les activistes réunis autour de cette table ronde s’accordent à dire que la multiplication de leurs organisations n’est pas synonyme de division, mais gage de complémentarité. « On a des différences dans la manière de concevoir les luttes, mais il n’y a rien qui nous divise fondamentalement », pense Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. « On a déjà mené des actions avec Attac, Greenpeace, Dernière rénovation… Il faut se concentrer sur ce qui nous rassemble », ajoute Cythère d’Extinction Rebellion (XR), un mouvement né en 2018.

Ce renouvellement de l’activisme a toutefois fait bouger des lignes. En premier lieu sur la désobéissance civile. Il y a dix ans, « nous avions de grands débats pour savoir si c’était le bon outil. La désobéissance civile était encore vue comme un mouvement de niche, portée par des radicaux », analyse Gabriel Mazzolini, porte-parole des Amis de la Terre France, une organisation quinquagénaire comme Greenpeace.

De g. à d. : Hervé Kempf, Cythère, Gabriel Mazzolini, Rachel, Mathilde Caillard et Jean-François Julliard. © Éric Coquelin

Certes, ce mode d’action n’a pas attendu XR ou Dernière rénovation pour exister : Greenpeace était déjà connue pour ses actions spectaculaires. Mais elles étaient menées par une grappe de personnes extrêmement entraînées. « Il nous a fallu dénouer cette idée que la désobéissance civile était une affaire de professionnels, et non un mode d’action de masse », se souvient Gabriel Mazzolini.

Si aujourd’hui ce mode d’action est privilégié par les collectifs émergents, « ce n’est pas pour le plaisir de faire des centaines d’heures de garde à vue, mais parce que c’est nécessaire », dit Rachel, condamnée à deux mois de prison avec sursis pour des actions menées avec Dernière rénovation. Elle ajoute : « J’ai 21 ans et quand je vois la situation climatique, je me dis qu’il n’y a quasiment aucune chance que je meure de vieillesse. »

« En matière de désobéissance civile, on a beaucoup à apprendre »

Ce choix stratégique n’empêche pas Dernière rénovation de travailler étroitement avec la Fondation Abbé Pierre, une organisation historique de lutte contre le mal-logement. La posture des ONG plus traditionnelles est double. D’abord, il y a le partage d’expérience : « On a soutenu ces nouveaux mouvements dès le début, en termes de moyens, de plaidoyers, mais aussi de défense juridique dans les tribunaux », dit Jean-François Julliard.

Et puis il y a l’apprentissage : « En matière de désobéissance civile, on a beaucoup à apprendre. Greenpeace a toujours su mettre des grimpeurs sur un mur pour y accrocher une banderole ; en revanche, on ne savait pas mettre 500 personnes ensemble devant le siège d’une multinationale. Aujourd’hui, on a appris », assure le directeur général de Greenpeace. De quoi élargir la palette des actions possibles.

Jean-François Julliard, de Greenpeace. © Éric Coquelin

Les ONG historiques ont également été bousculées dans leurs schémas décisionnels. XR a débarqué avec un mode de gouvernance décentralisé, basé sur des mandats locaux restreints à quelques mois. Le but : éviter toute forme de « prise de pouvoir », selon Cythère. « Il y a dix ans, les groupes locaux de Greenpeace en région étaient là pour faire ce que le siège parisien leur demandait, pour relayer les campagnes nationales… », se souvient Jean-François Julliard. Aujourd’hui, ces groupes ont « toute latitude pour s’engager sur des luttes locales ».

Faire face à une « surenchère de la criminalisation »

Vieux ou jeunes, les mouvements écologistes actuels font face à une « surenchère de la criminalisation », observe Mathilde Caillard, d’Alternatiba Paris. Des lois spécifiques pour répliquer aux nouveaux modes d’action sont votées : par exemple, des amendes contre la perturbation des événements sportifs visant Dernière rénovation.

La limite entre violence et non-violence est aussi remise en question : en témoigne la commission d’enquête parlementaire sur « les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences » qui a convoqué XR et Dernière rénovation — commission dont le député écologiste Aymeric Caron a estimé qu’elle revenait à « installer l’idée que le mouvement écologiste est une nébuleuse, dans laquelle la limite avec la violence est toujours floue ». Sans compter, enfin, la dissolution des Soulèvements de la Terre dont le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a fait son cheval de bataille pendant des mois.

Mathilde Caillard, d’Alternatiba Paris. © Éric Coquelin


Face à cette séquence répressive qui n’en finit plus, « la diversité n’est-elle pas un éparpillement ? » interroge Hervé Kempf, de Reporterre. « Parfois, on a un éparpillement de nos messages », reconnaît Jean-François Julliard, de Greenpeace, citant par exemple différentes actions fortes menées le même jour. « La réponse au durcissement de nos adversaires, c’est une meilleure coordination, des alliances ponctuelles pour avoir une plus grande force de frappe », soutient Gabriel Mazzolini, des Amis de la Terre.

« S’engouffrer dans la brèche »

Interrogé sur la lutte des grévistes de la faim contre l’A69, Clément Beaune, ministre chargé des Transports, a annoncé le 26 septembre que plusieurs projets d’autoroutes, dans les cartons depuis des années, seraient abandonnés.

« On voit bien qu’il y a des moments où il faut s’engouffrer dans la brèche, faire pression à plusieurs ! affirme Mathilde Caillard d’Alternatiba Paris. C’est comme ça que les sujets deviennent suffisamment importants pour obliger des ministres à se positionner. » À l’image de ce qu’il s’est passé dans la lutte contre les mégabassines, qui a cristallisé une galaxie d’acteurs et fait réagir jusqu’au plus haut niveau de l’État.

Reste un autre axe de travail pour renforcer sa force de frappe collective : impliquer les premières personnes concernées. Sur la rénovation thermique par exemple, « qui touche les étudiants blancs de classe moyenne, mais aussi les habitants des quartiers populaires vivant dans des passoires thermiques, rappelle Gabriel Mazzolini. Travailler sur ces enjeux sans eux, c’est travailler contre eux ».

Pour le porte-parole des Amis de la Terre, il est aussi nécessaire de renforcer les liens avec les collectifs de lutte contre les violences policières. Lorsque les premiers concernés défendent leurs droits aux côtés des grandes organisations écologistes (en majorité blanches), « c’est là que nous devenons un vrai danger ».

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