Perturber un événement sportif pourrait être durement réprimé

Cette militante de Dernière Rénovation s'est enchaînée le cou au filet du court d'une demi-finale Roland-Garros pour alerter sur l'urgence climatique, en juin 2022. - © RYAN PIERSE / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP
Cette militante de Dernière Rénovation s'est enchaînée le cou au filet du court d'une demi-finale Roland-Garros pour alerter sur l'urgence climatique, en juin 2022. - © RYAN PIERSE / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP
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Luttes Sports LibertésÀ l’approche des JO de 2024, le gouvernement veut punir plus sévèrement les intrusions dans les enceintes sportives. Un mode d’action qu’utilisent régulièrement les activistes écologistes.
Les interruptions d’évènements sportifs ont la cote auprès des activistes écologistes. Le 6 juin 2022, une militante du collectif Dernière rénovation s’était introduite sur un court de tennis de Roland-Garros afin d’alerter sur l’urgence climatique. D’autres membres du groupe avaient réitéré en juillet, cette fois en neutralisant une étape du Tour de France.
Continueront-ils à utiliser ce mode d’action lors des Jeux de Paris de 2024 ? Le projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques, qui sera discuté au Sénat à partir du 24 janvier, pourrait plus sévèrement les réprimer.
6 mois de prison, 7 500 € d’amende
Ce texte, présenté par la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, propose de créer deux nouveaux délits en cas d’intrusion dans un stade, un court ou un gymnase, pendant et après les Jeux olympiques. S’il est commis en récidive ou en réunion, « le fait de pénétrer ou de tenter de pénétrer par force ou par fraude dans une enceinte sportive » lors d’une compétition pourrait être puni de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende, dit l’article 12.
Le fait de « pénétrer ou de se maintenir sans motif légitime » sur une aire de compétition lors d’une épreuve serait quant à lui passible de 7 500 euros d’amende. Autrement dit, si un activiste se collait la main à une piste d’athlétisme, un bassin ou un tatami, la facture pourrait être salée.

Le fait de pénétrer dans une enceinte sportive n’est aujourd’hui puni que s’il trouble le déroulement d’une compétition, qu’il porte atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, ou qu’il est commis en état d’ivresse. « Le gouvernement veut enlever ces conditions », dit Anne-Sophie Simpere, co-autrice de Comment l’État s’attaque à nos libertés (Plon, 2022). Ce qui pourrait, selon elle, nuire à la liberté d’expression et au droit de manifester : « Plus la sanction est élevée, plus on peut hésiter avant de se lancer dans une action. »
De nombreuses inconnues demeurent quant au champ d’application de ce texte. La volonté de faire passer un message sur le changement climatique constitue-t-elle un « motif légitime », permettant aux militants d’échapper à d’éventuelles poursuites ? « Ce sera laissé à l’appréciation des juges », présume la spécialiste des libertés publiques. À ce stade, dit-elle, le texte est encore « très flou ». « Mais des lois floues ont déjà été utilisées pour poursuivre des activistes. »
Des militants et écolos déjà ciblés
En 2019, Camille Halut, étudiante en droit et observatrice pour la Ligue des droits de l’Homme à Montpellier, avait ainsi été poursuivie pour « entrave à la circulation » en marge d’une manifestation des Gilets jaunes, alors qu’elle ne faisait, selon ses dires, que remplir sa mission d’observatrice. Durant la COP21, en 2015, 26 écologistes avaient été assignés à résidence au nom de l’état d’urgence.
S’il était adopté, le projet de loi sur les Jeux olympiques pourrait lui aussi être détourné pour poursuivre plus facilement des militants, estime Anne-Sophie Simpere. « Il faut faire attention. D’autant plus que ce texte doit encore être discuté à l’Assemblée et au Sénat. Nous ne sommes pas à l’abri d’un renforcement répressif. »
Contacté par Reporterre, le ministère des Sports n’a pas souhaité commenter son projet de loi. L’étude d’impact qui l’accompagne le justifie par la nécessité de réprimer des comportements pouvant « porter atteinte au bon déroulement » et « troubler la tranquillité » des Jeux olympiques. Sont évoqués en exemple les personnes tentant de pénétrer dans un stade sans billet, ou d’y rester une fois la compétition terminée. Les militants écologistes n’y sont pas explicitement mentionnés.

« La simultanéité entre cette proposition de loi et nos actions est assez claire, pense malgré tout Nicolas, militant au sein de Dernière rénovation. Notre cercle juridique est conscient que ce texte cible très clairement notre campagne et d’autres associations qui ont des modes d’actions similaires. » « C’est assez révélateur du comportement des pouvoirs publics face au changement climatique, estime Franck, activiste au sein d’Extinction Rebellion. La réponse n’est pas d’agir sur l’origine du problème, mais d’essayer de trouver de nouveaux moyens de répression pour éviter d’en parler. »
Les deux militants assurent cependant être prêts à faire face aux poursuites judiciaires. « Ce ne sont pas six mois de prison qui vont nous stopper, affirme Nicolas, de Dernière rénovation. Ce qui nous préoccupe, c’est que l’on puisse vivre dans un monde à peu près vivable. Tant qu’on n’aura pas obtenu ça, on continuera, peu importe les obstacles. Ce sera peut-être plus difficile, mais on continuera. »
Les Jeux olympiques, prétexte à une débauche sécuritaire ?
Une autre disposition du projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques inquiète la société civile : l’autorisation, prévue par l’article 7, du traitement des images de vidéosurveillance par des systèmes d’intelligence artificielle. « C’est ce que l’on appelle la surveillance automatisée ou algorithmique, traduit Noémie Levain, chargée d’analyses juridiques et politiques à La Quadrature du Net. L’idée est de faire reconnaître à un algorithme un certain type d’images sur les flux de vidéo, pour qu’il puisse donner des alertes à la police en cas de comportements considérés comme suspects. »
L’adoption de cette mesure constituerait selon elle « un passage à l’échelle dans la surveillance de masse » : « Le projet de loi prétend qu’il ne s’agirait que d’une expérimentation jusqu’en 2025. Mais on l’a vu avec les boîtes noires [qui permettent aux services de renseignement d’analyser automatiquement les métadonnées des communications Internet] ou l’état d’urgence : ces dispositifs supposément temporaires sont toujours pérennisés. »