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Les Caillard, une mère et une fille en lutte pour l’écologie

L’une a 24 ans, l’autre 66. La première est en alternance à Greenpeace, l’autre était psychologue. Mère et fille, Véronique et Mathilde Caillard militent ensemble pour l’écologie. Rencontre.

Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), reportage

« Militer avec ma mère, ça n’a fait que renforcer nos liens. » C’est une évidence : Mathilde Caillard, 24 ans, est faite du même bois que sa mère Véronique, 66 ans. Elles partagent les mêmes iris bleu cristal, ces deux femmes assises sur le canapé de leur maison traversante et lumineuse, où elles ont reçu Reporterre à Noisy-le-Sec, en région parisienne.

Elles se sentent habitées par un sens des responsabilités et par des angoisses communes face au changement climatique et à a destruction du vivant. En elles brûle un même feu lorsqu’elles évoquent leurs combats. Au point que, pour Véronique et Mathilde Caillard, désobéir pour l’écologie est devenu une affaire de famille.

Mathilde et Véronique Caillard, dans la maison familiale. © Mathieu Génon/Reporterre

Elles se souviennent, comme si c’était hier, du mardi 26 octobre 2021. « La garde à vue de maman ? J’étais si inquiète », soupire Mathilde, aujourd’hui en alternance à Greenpeace. Le matin, Véronique Caillard s’était embarquée, avec une troupe d’activistes écolos, dans une mission périlleuse. L’objectif : interrompre le discours du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, lors du Climate Finance Day, pour exiger que les acteurs financiers cessent d’investir dans les énergies fossiles, moteur du changement climatique.

Une fois leur forfait accompli — avec brio — et le ministre évacué de la salle, Véronique et neuf autres activistes ont été placés en garde à vue et privés de liberté pendant 24 heures. Une expérience « éprouvante », se remémore-t-elle, dans une cellule froide, éclairée sans relâche par une lumière blafarde, où « pour chaque besoin vital il [fallait] demander la permission ». Mathilde, elle, se sentait « impuissante et révoltée que [sa] mère soit enfermée alors qu’elle agissait contre la destruction du monde ». Elle se tourne vers sa mère avec, dans le regard, un entrelacs d’admiration et de tendresse. « Et en même temps, maman, j’étais très fière de toi. »

Mathilde : « J’étais très fière de toi. » © Mathieu Génon/Reporterre

À sa sortie de « GAV », Véronique s’est blottie dans l’étreinte réconfortante de ses filles — Pauline, son aînée, est également activiste — qui trépignaient d’impatience. Près d’un mois plus tard, elle a été convoquée devant le procureur de la République.

« Tout ça pour un peu de mélasse répandue sur la moquette, facile à nettoyer, pour symboliser les énergies sales qui compromettent l’avenir de nos enfants », raconte la sexagénaire, retraitée après une carrière de psychologue. Elle a écopé d’un stage de citoyenneté, « alors que son acte était profondément citoyen », tempête Mathilde. Ces sermons n’ont pas ébranlé la détermination qui anime Véronique. « Je recommencerais sans hésiter », affirme-t-elle sans sourciller.

© Mathieu Génon/Reporterre

« Chez nous, en toile de fond, il y avait l’urgence écolo »

Comment Véronique — certes engagée de longue date au sein du mouvement pour la décroissance, ou encore de l’association Nous voulons des coquelicots, contre les pesticides —, s’est-elle retrouvée à enfreindre des lois ? « Nos dirigeants ont tous les éléments en main, savent que le mur est déjà là, et pourtant ils ne font rien, ou si peu, s’insurge-t-elle, avant de siroter son thé. C’est insupportable. Ils ne nous laissent pas le choix. Il ne nous reste que la désobéissance. »

Véronique : « Il ne nous reste que la désobéissance. » © Mathieu Génon/Reporterre

Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Mathilde a « toujours grandi dans une famille ancrée à gauche, féministe ». Plongeant dans les arômes de son enfance, elle se rappelle avoir été bercée par les chansons d’Anne Sylvestre, chanteuse engagée. L’un des tout premiers souvenirs de sa vie est sa première manifestation, le 1er mai 2002, quand plus d’un million de personnes ont défilé pour dire « Non » au Front national (FN), qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle.

Livres écolos et chansons d’Anne Sylvestre ont bercé l’enfance de Mathilde. © Mathieu Génon/Reporterre

« Chez nous, en toile de fond, il y avait aussi l’urgence écolo », ajoute-t-elle, montrant des livres qui trainaient, çà et là, à la maison. « Avec Marc, mon mari, nous étions attachés à ce que nos filles sachent dans quel monde elles mettaient les pieds », dit Véronique.

Les sœurs Pauline, l’aînée, et Mathilde. © Mathieu Génon/Reporterre

Mais « à ce moment-là, nous étions plutôt dans l’écologie des petits gestes », précise-t-elle, tenant à la main son livre 365 gestes pour sauver la planète, qu’elle tentait assidûment d’accomplir. « Si seulement ça suffisait », s’amuse aujourd’hui sa fille. « On ne savait pas encore par quel bout prendre le problème », reconnaît sa mère.

« Il était temps d’acculer les décideurs »

L’électrochoc, la famille Caillard l’a eu le 28 août 2018, quand le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot [1] a annoncé, sur France Inter, qu’il quittait le gouvernement. « On a vu le mur se rapprocher, dit Véronique. On savait que la marge de manœuvre de Hulot dans le gouvernement Macron était limitée, mais là c’était vraiment le signe que pour s’en sortir, il allait falloir que les citoyens prennent les choses en main. » Mathilde approuve et ajoute, avec aplomb : « Il était temps d’acculer les décideurs. »

© Mathieu Génon/Reporterre

Actions en famille, pancartes faites maison

Le 8 septembre suivant, ni une ni deux, toute la famille défilait contre l’inaction climatique dans les rues de Paris. « Ma grande sœur, Pauline, s’est alors mise en quête d’une association pour s’engager, se rappelle Mathilde. Elle a terminé la manifestation en aidant les militants d’Alternatiba à ranger leurs banderoles. Après elle, nous avons toutes sauté dedans ! On s’est senti participer à quelque chose de grand. »

Véronique a d’abord été sollicitée par ses filles pour bricoler des drapeaux et des banderoles. « C’est la reine de la récup’, avec un fort syndrome de Diogène », dit sa fille, avec un brin malice. « Je garde tout, et n’empêche, c’est bien utile ! » lui renvoie sa mère, dans un clin d’œil. « De fil en aiguille, je suis allée jusqu’à participer aux actions », blague celle qui a, depuis, concocté une centaine de coussins pour que les activistes puissent s’asseoir pendant les longues journées d’occupation. « Sérieusement, le fait que mes filles prennent ça à cœur, ça m’a touchée. »

Coquelicot fabriqué par Véronique. © Mathieu Génon/Reporterre

Depuis, il est devenu rare, pour les journalistes de Reporterre, de couvrir une action de désobéissance civile ou une manifestation climat parisienne sans apercevoir une représentante du clan Caillard, voire les quatre en même temps — quand le papa Marc, musicien, s’y colle aussi.

Parmi celles-ci : les grèves étudiantes du vendredi, l’occupation des tours de La Défense lors de l’action Bloquons la République des pollueurs, la neutralisation du centre commercial Italie 2, la mise à l’arrêt d’un entrepôt Amazon, la remise du prix Pinocchio au Salon de l’agriculture, les décrochages de portrait de Macron, les camps climat, les vélorutions... Elles y étaient et, immanquablement, désobéissaient en dansant et en chantant.

L’écologie, jusque sur la boîte aux lettres. © Mathieu Génon/Reporterre

« Ma mère est devenue une figure du mouvement »

De ces moments de lutte, elles ressortent transformées. « Ils nous ont permis de dépasser la sidération, dit Mathilde. L’urgence écologique, ce sont des vies brisées, des famines, de mauvaises nouvelles qui s’accumulent et il est difficile de ne pas sombrer dans l’écoanxiété ou même le nihilisme, pour se protéger. Lutter, c’est rester à flot, ça nous permet de lier nos colères pour construire un mouvement commun. » Étudiante en droit du plaidoyer et affaires publiques, en contrat d’alternance à Greenpeace, elle s’est jurée de consacrer sa vie professionnelle au combat écologique. « Je veux être un caillou dans la chaussure des pollueurs. Je m’interroge encore sur la forme : où sera ma capacité transformatrice la plus forte ? Faut-il rester dans le mouvement social ou entrer au sein de l’appareil ? »

Quant à Véronique, elle se dit bouleversée par le courage des jeunes femmes du mouvement climat qui, « au-delà de l’écologie, luttent ardemment contre les dominations sexistes » : « Elles osent prendre la parole, dénoncer, verbaliser, plus que nous le faisions dans ma jeunesse, dit-elle, submergée par l’émotion. Cela m’aide aussi à prendre conscience de certains renoncements que j’ai pu faire dans ma vie, en tant que femme... », explique-t-elle, les yeux nappés de larmes. Mathilde lui prend la main.

« Elle s’est déployée, n’a plus peur de prendre de la place »

« Depuis que maman milite, je l’ai rencontrée différemment, dit-elle, émue. Quand on est une femme, encore plus dans sa génération, on nous apprend à nous faire toutes petites. Ma mère ne voulait pas faire de vagues, elle était toujours discrète. Depuis qu’elle met son corps en lutte dans l’espace public, elle dégage une force nouvelle. Elle s’est déployée, n’a plus peur de prendre de la place. Je le vois dans le regard des autres activistes : par sa créativité, son sang-froid et sa capacité d’improviser quand les actions semblent tourner au vinaigre, elle est devenue une figure du mouvement. »

© Mathieu Génon/Reporterre

Les deux femmes sortent dans le jardin, leurs pas crépitant sur les brindilles, les morceaux d’écorce et les feuilles mortes de leur jardin « punk » — c’est-à-dire le moins entretenu possible —, un ancien verger où se mêlent joyeusement le pépiement des oiseaux et le roulis des tilleuls, et un fier saule pleureur, chevelure végétale ballottée par le vent.

Ensemble, elles se prêtent pour Reporterre au jeu des photos avec une évidente complicité, sinuant dans un tissage serré d’arbres auxquels sont accrochés des petits abris pour les oiseaux. L’endroit idéal pour recharger ses batteries, avant d’aborder la manifestation climat du samedi 12 mars. Les deux femmes assurent avec enthousiasme qu’elles seront « évidemment » dans le cortège. « Plus déterminées que jamais, disent à l’unisson les Caillard. Il est plus que temps de faire pencher la balance du bon côté ! »


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